Alors comme ça on veut faire du droit ?
Code is Law est une bien étrange expression. Désignant à la base la capacité qu’ont les systèmes informatiques connectés à simultanément contenir et appliquer des conceptions politiques très identifiables ; “CIL”est devenu un espèce de slogan politico-technique de geek en mal de pouvoir. C’est un OVNI politique en plus d’être un beau produit de son époque.
Bon, je vais jouer cartes sur table, je n’y crois pas une seule seconde. Faire du code une loi d’airain pose immensément plus de problèmes que ça n’en résout. Les idéologues à l’origine du concept ont en plus beau jeu de se présenter comme les porte-voix de tous les techos, catégorie très peu habituée et surtout formée à se positionner politiquement…
Dans le crypto manifesto de 1988 on peut lire ceci :
Ces évolutions altéreront complètement la nature des législations gouvernementales, la capacité à taxer et contrôler les interactions économiques, la capacité à garder l’information secrète et altéreront même la nature de la confiance et de la réputation.
Je n’y lis pas d’ambition de substitution à l’état mais celle de sa modulation et d’une certaine manière de son affranchissement, ce qui est lié me direz-vous mais l’annoncer n’est pas neutre.
Il n’empêche, concevoir un code comme une loi (ou l’inverse) a un intérêt certain et de la même manière que Bitcoin questionne efficacement les principes de la monnaie “Code is Law” permet d’aborder la loi sous un angle nouveau.
Et bon dieu qu’est-ce qu’elle en a besoin !
Is Law Law ?
La question est mille fois légitime, le XXIème siècle est celui de la mutation du droit qui passe, pour reprendre les mots de Jacques Commaille dans son essai À qui nous sert le droit ? (2015), du statut de norme à celui de ressource.
Mondialisation, mise en concurrence des législations, inflation normative, apparition du “droit mou” (c’est-à-dire uniquement déclaratif et in fine inapplicable)… Tous ces phénomènes sonnent le glas d’une conception très académique, positiviste et internaliste de la loi : En un mot stop penser que le droit est un espace clôt qui n’obéit qu’à sa propre logique.
C’est donc à un droit en crise que le code de Code is law souhaite se substituer.
Mais ça va pas marcher. Enfin pas comme vous l’entendez. Je précise que quand je dis “vous” je m’adressent aux idéologues qui soutiennent cette idée et qui sont finalement assez peu. La plupart des techniciens sont dans un premier temps séduits par l’idée qui les valorise mais en reviennent très vite, conscients des limites de leur outil.
Quand j’écris Code avec une majuscule c’est le Code de Code is law, c’est-à-dire celui qui se veut Loi. Sans majuscule il ne désignera que son aspect technique. Ce n’est pas une proposition, simplement une convention pour ces lignes.
Allez c’est parti !
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1) Code is Law origins
C’est en janvier 2000 que Lawrence Lessing, professeur de droit des affaires, publie Code is Law – On Liberty in Cyberspace dans le très chic Harvard Magazine.
https://harvardmagazine.ce.com/2000/01/code-is-law-html
Pour commencer sur de bonnes bases je vais en citer pour les commenter de larges extraits à partir de la traduction proposée par Framablog et titrée Le code fait loi, ce qui n’est déjà plus la même chose mais ne chipotons pas.
https://framablog.org/2012010/05/22/code-is-law-lessig/
Basiquement, l’article introduit l’émergence d’un nouvel organe de contrôle, spécifique au XXIème siècle:
Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.
Ce Code-régulateur va devoir se positionner par rapport aux valeurs défendues jusque là, jusqu’à entrer en concurrence avec celles-ci :
Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera.
L’urgence est donc de prendre conscience de cet état de fait pour organiser tant que faire se peut la perpétuations des valeurs traditionnelles dans le cyberespace, un territoire toujours en friche.
Le Code joue en fait sur la faisabilité des opérations qui relèvent classiquement de l’Etat, au premier rang desquelles l’identification des intervenants. Se déplace alors le curseur entre régulabilité et irrégulabilité:
Dans certains contextes, et pour certaines personnes, cette irrégulabilité est un bienfait. C’est cette caractéristique du Net, par exemple, qui protège la liberté d’expression. Elle code l’équivalent d’un Premier amendement dans l’architecture même du cyberespace, car elle complique, pour un gouvernement ou une institution puissante, la possibilité de surveiller qui dit quoi et quand.
Ces notions ne sont pas politiquement neutres. Le choix de l’architecture relève dès lors de l’option sociale.
Quand vient par exemple le moment de la certification on peut opter pour la « moindre révélation » ou pour le « une carte pour tout », ce sont deux conceptions radicalement opposées qui ont des répercussions… Le curseur sera ici le respect de la vie privée. Celle-ci n’est alors pas « proclamée » ni « élevée au rang de valeur fondamentale » mais bien inscrite dans l’architecture, immédiatement opérante.
Le même raisonnement se pose pour la question hautement actuelle de la collecte des données.
Le Code, comme la Loi, n’est pas immuable. C’est une superposition de protocoles et Lessig met en garde contre… contre ce qui allait arriver.
On voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.
L’élaboration de cette loi nouvelle, dès lors, est aux mains du codeur, au sens le plus large: du pisseur de code au décisionnaire final.
Et c’est là que les choses se compliquent. Le Législateur est identifié, cela fait parti de ses attributs, le droit tire sa légitimité de sa source : de la Coutume (usages ininterrompus) aux lois codifiées émanants d’une représentation nationale.
Qu’en est-il des codeurs ? Qu’est-ce qui les guide et d’où tirent-t-ils leur légitimité ?
Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.
Lessing voit donc plutôt le codeur comme un prestataire ou un entrepreneur qui peut créer non pas en fonction des incitations mais en réaction aux exigences de la compliance, qui sont des politiques bien étatiques émanants des acteurs traditionnels.
L’article conclut sur la nécessité d’identifier et d’assumer le rôle que nous aurons à jouer dans ce contexte :
Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions. Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons hérité. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.
Alors quelle architecture pour quelle loi ?
Celle programmée par Mr Anderson, qui a un numéro de sécurité sociale, qui paye ses impôts et qui propose à sa logeuse de descendre ses poubelles ?
Ou celle de Neo, virtuellement coupable de tous les crimes informatiques punis par la loi.
MetaCortex ou Nabuchodonosor ?
La question n’est pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.
Mon commentaire général de cet article c’est que Lessing expose un cas particulier, applique la règle générale dont je vous parle souvent et qui reste, selon moi, LA clé de lecture de Bitcoin et des cryptos en générale, la phrase de McLuhan : Le médium c’est le message.
Cf. 6 RSLC Vol.3 : https://www.jeuxvideo.com/forums/42-3011927-55294972-1-0-1-0-6-reflexions-sur-les-cryptos-vol-3.htm
On peut même ici dégager différents niveaux d’application de cette loi : Dans un premier temps la possibilité d’édicter des règles d’application immédiate dans le cyberespace constitue un « message » au sens de Luhan en ce qu’elles vont concurrencer l’autorité des états dans cet espace. Nous serons alors sur des enjeux de souveraineté.
Dans un second temps la manière dont les architectures sont conçues vont quand à elles avoir un impact sur la gestion des données privées et sur l’anonymat des intervenants, portant alors un autre type de “message”, celui du droit à la vie privée ou non.
Dans une perspective de bitcoiner le codeur peut très bien créer et proposer une architecture qui intégrera sa propre irrégulabilité, profitant de la désunion des états, via la décentralisation en tirant profit de la conjonction des intérêts.
Il est comique à ce sujet de voir Libra affronter tous les politiciens de Washington, des congressmen qui se rendent compte, au passage, qu’ils ne peuvent tuer Bitcoin, pour les mêmes raisons qu’ils peuvent tuer Libra.
TL; DR: Internet et “la blockchain” sont deux espaces politiques à conquérir.
Dédi à JordanBelfort, l’étoile montante du forum finance.
NB: Décider de qui choisit nos valeurs à notre place est, par ailleurs, un des thèmes de Matrix.
2) Code is Claw
L’article de Lessing est brillant et traite d’un enjeu dont l’importance va croissant. Ce n’est cependant pas vraiment ce qu’on entend aujourd’hui par Code is Law… Surtout dans le milieu des cryptos. Ou plutôt, de « Code is Law » nous sommes passés à « Code is Law ! ».
Car magie de la ponctuation, mettre un point d’exclamation à n’importe quelle courte phrase en fait un slogan.
Exemple :
Peut-être est-ce quelque chose que Lessing n’avait pas anticipé dans son papier (qui ne visait de toute façon pas l’exhaustivité): Plutôt que d’essayer d’influer sur la politique du code par des pressions externes (appel à la régulation, sensibilisation de l’usager) pourquoi ne pas s’emparer directement de cet espace de pouvoir pour le déclarer souverain ?
C’était somme toute prévisible: il n’y a pas d’espace de pouvoir sans lutte de pouvoir.
Ainsi les codeurs, qui sont des gens très premier-degré, se sont-ils pris pour des législateurs dans ce que Maël Rolland nomme « un rigorisme à la Szabo ». Ils vont mettre en avant la supériorité technique de leur système sur celui de l’État pour en démontrer l’inévitable victoire politique, avec des phrases telles que « un code bugé est plus fiable qu’une institution humaine. » Quand on ne part pas carrément dans des délires d’IA gérant l’humanité dans son ensemble…
Le tout teinté de libertarianisme et d’un certain rejet des valeurs traditionnelles qui ne commencent pas par « liberté de… ».
Il y a tout un travail de généalogie politique à effectuer sur les mouvements cyberpunks (au pluriel) qui consiste en la recherche des sources du bidule, des mouvements qui le préfigurent. Je m’attends à trouver une bonne dose d’anarchisme à l’américaine mais aussi, comme toujours, deux ou trois surprises…
Ce travail de généalogie politique se double d’un travail plus Nietzschéen de généalogie de la morale, (Genealogie der Moral (quand vous citez un concept du moustachu mettez toujours le nom allemand entre parenthèses, ça fait bien)).
Il s’agit tout simplement de se demander quelles sont “les valeurs de ses valeurs” pour dégager les intentions derrière les postures…
Et c’est peut-être dans cette optique que CIL prend tout son sens en ce qu’elle est la réponse à une contradiction fondamentale de l’anarchisme en général et du cyberpunkisme en particulier: comment exercer le pouvoir sans avoir l’air d’y toucher.
Jusque là les cypher-punks, selon la formule consacrée, "avaient les mains propres mais n’avaient pas de mains”. Mais si le coder devient législateur alors là c’est champagne !
Ainsi le Code devient-il à la fois un outil de propagande et d’exercice du pouvoir, une arme dialectique, une griffe (claw, vous suivez ?).
Ont-ils dès lors raison de considérer que le code peut se muer en loi autonome ? Ou même l’inverse, que la loi puisse se coder pour se suffire à elle-même ?
Dédi à CZ-roule-en-CX qui est décidément bien informé.
NB: Je me suis beaucoup inspiré des conférences de Maël Rolland pour écrire ces lignes, elles sont disponibles sur la chaîne YouTube de bitcoin.fr et je vous les recommande chaudement.
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3) Code is very law
Car après tout pourquoi pas !
Le raisonnement juridique est un raisonnement par syllogisme:
Si A=B et B=C alors A=C
Voilà ça n’a rien d’ésotérique et c’est au premier abord traduisible en 0 et en 1.
Il faut commencer par reconnaitre au code un pouvoir phénoménal dans sa sphère d’application : Il contient et applique la règle simultanément. C’est exactement ce qui manque à la loi. C’est ce qui la rend en réalité si vulnérable au Pouvoir.
Dans son article écrit en 1996 Let Them Eat Cake, “Qu’ils mangent de la brioche’’, référence à Marie-Antoinette, Susan Silbey écrit :
“Il importe de se souvenir que la loi l’emporte uniquement par son ubiquité, non pas grâce à son omnipotence.”
Car en effet, le droit est partout (ubiquité) mais il n’est pas tout-puissant (omnipotence), son élaboration et son application passent par tout un processus impliquant multitude d’acteurs différemment impliqués.
“Quand on en vient aux notions de Pouvoir et de Justice, l’histoire sociolégale démontre clairement et sans ambiguïté que la loi ne suffit pas.”
L’article : https://www.jstor.org/stable/3053925?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents
Mais le Code est plus qu’autonome… pour faire simple il est divin. Dans sa sphère d’application il est omnipotent au sens formel et théologique : Il peut effectuer tout ce qui ne lui est pas intrinsèquement impossible. Dans son exécution le Code s’assure du fondement même du pouvoir judiciaire: la coercition.
Quelle portée donner à la condamnation d’emprisonnement si une police n’est pas là pour écrouer le coupable ? Quel sens a la décision ordonnant le remboursement d’un emprunt si on ne peut pas au besoin saisir les biens du débiteur ?
On peut y rajouter quelques caractéristiques alléchantes, qu’elles soient réelles ou supposées : Sans-biais, égalitariste, “cartésienne”, prédictible, parfois même je lis “scientifique”… jusqu’à confondre neutralité technique et politique.
De ce point de vu le Code est fascinant, il va cependant falloir redescendre sur terre, le système n’a rien de miraculeux…
Sans se poser la question de la justice (qui demanderait un volume complet), on ne peut ignorer deux problèmes bien plus terre-à-terre: La fiabilité du code et le sens qu’on veut bien lui donner.
Tl;DR : le code peut être une loi bien velue.
Dédi à Rissou qui me doit un kebab (si si)
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4) Code is low
C’est simultanément sur PlayStation 2, Xbox, GameCube et PC que sort, en 2003, le fabuleux jeu Enter The Matrix. Basé sur la trilogie des soeurs Wachowski, il met en scène l’équipage du Logos : Niobe, Ghost et Sparks. C’est en fait Matrix Reloaded de leur point de vue…
Et putain ce que c’était bien ! En préparant le volume j’ai découvert avec effarement (oui carrément) que le jeu était considéré comme une bouse, un navet… Bon il était pas parfait, les séquences en bagnole c’était un petit enfer et les roues étaient carrées, mais bon Dieu quel pied ! Quel plaisir de jeu ! Ce gameplay de chorégraphe !
On a jamais été vraiment sûrs du degré d’implication des soeurs dans le développement du jeu mais il contient, excusez du peu, des scènes réelles tournées avec les acteurs authentiques et par l’équipe du film, bon ok par l’équipe B (celle qui tourne les plans d’exposition).
Toujours est-il qu’une cinématique, qu’un dialogue en particulier ne m’a jamais quitté :
https://www.youtube.com/watch?v=6sZ_qJuPOyQ&feature=youtu.be&t=215
(avec le timecode)
Ghost et Niobe se trouvent dans la Structure (the Construct, en anglais), le programme de simulation et de chargement de matériel dans la Matrice et qui se présente par défaut comme une pièce blanche infinie.
Pour les besoins de la mission ils chargent flingues et vêtements stylés tandis que Ghost, qui agit toujours comme le plus militarisé du duo, vérifie le chargement de ses armes.
S’en suit ce dialogue :
Niobe: Why do you do that?
Ghost: Do what?
Niobe: Check your guns?
Ghost: You never know.
Niobe: Its a program. They get loaded every time the exact same way.
Ghost: Hume teaches us that no matter how many times you drop a stone and it falls to the floor. You never know what'll happen the next time you drop it. It might fall to the floor, but then again it might float to the ceiling. Past experience can never prove the future.
Niobe: So?
Ghost: So you never know.
Et c’est Bitcoin.
Non je déconne cette fois, c’est une référence à la fourchette de Hume.
David Hume est un philosophe écossais du XVIIIème qui portait très bien le turban. Il est considéré avec Locke et Berkeley comme le “fondateur de l’empirisme moderne” et comme l’un des pères de la méthode scientifique. Hume, dans ses travaux, s’interroge sur l’épistémologie: il se demande, en gros, comment on sait ce que l’on sait et comment savoir mieux.
Il développe pour cela une conception duale de la vérité : Ce qui n’est ni vérité logique ni fait est dénué de sens. C’est la fourchette.
Ce qu’il souligne aussi, et c’est à ce point que Ghost fait référence, c’est que notre foi dans les relations de cause à effet entre les événements est bien plus basée sur l’habitude, nous dirions aujourd’hui sur des biais d’ancrage, que sur la raison : avoir toujours vu les pierres retomber quand nous les lançons ne suffit pas à déduire qu’elles le feront pour toujours et de la même façon.
Hume nous met en garde contre notre propension à prendre des situations pour acquises dès lors qu’on en a l’habitude et à voir des liens de causalités sans pour autant faire l’effort de les démontrer.
Ce qui s’est passé dans le passé, en tant que tel, ne nous renseigne que sur le passé. Comme le résume Ghost avec cette phrase que nous connaissons si bien en finance :
Past experience can never prove the future.
Et oui Jamie ! Ce que nous prenons pour une bête mention légale est en réalité une des phrases fondatrices de l’épistémologie telle que dégagée 3 siècles auparavant.
Le dialogue, comme quasiment tous les dialogues importants de Matrix, met en perspective deux systèmes de croyance :
Lequel a raison ? Celui qui cite un grand auteur, bien entendu…
Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans le cadre de ce volume c’est que nous nous trouvons dans un programme, la Structure en est un. C’est de surcroit un programme de hacking, on peut supposer qu’il exploite des failles dans la Matrice elle-même… Une brèche ça ne se fix pas ?
C’est là que le bât blesse pour les codeurs. Même pour quelque chose d’aussi stable que les phénomènes physiques nous ne pouvons nous en remettre à la seule expérience. Alors pour un code… il se test, certes, c’est bien ça le problème… tester ce n’est qu’accumuler les expériences, dans l’absolu cela ne nous renseigne que sur le fonctionnement du code au moment de son testing et les usages émergents du Code en fragilisent la prévisibilité.
J’ai bien peur que le testing soit une heuristique insuffisante quand on touche à des notions de justice.
Pour le dire simplement, vos productions sont merdiques. Pas merdiques en elles-même, jamais je n’oserai… mais elles ne rencontrent pas le niveau de standard requis pour vos ambitions.
Parce qu’en réalité les smart contracts portent bien mal leur nom… c’est con comme une bite un smart contract… et l’hilarant épisode du hack de The DAO en est une démonstration éclatante.
Pour un résumé complet et une bonne tranche de rigolade : https://youtu.be/4MZQRMVrTEw
Bien entendu que l’exploitation de la fonction récursive permettant de siphonner les fonds sous séquestre ne faisait pas partie de l’intention des développeurs, mais ça n’a aucune importance !
C’est un sujet un peu tabou dans la cryptosphère : La possibilité de coder un programme destiné à gérer de manière complexe des valeurs à hauteur de plusieurs millions de dollars avec un niveau de sécurité satisfaisant reste encore à démontrer.
Pour appréhender Code is Law partons de cette idée toute simple : tout ce qu’il est possible de faire sera fait, rien ni personne ne pourra l’empêcher et Sorry for your loss.
Sommes-nous censés regarder ailleurs ? Faire comme si les avantages promis compensaient cette insécurité structurelle ?
Ce qui est rigolo avec Code is law c’est qu’il est surtout brandi quand le code a été défaillant, comme un équivalent de “dura lex sed lex”… sauf que la Loi tire normalement sa légitimité d’autre chose que de sa sévérité…
Au final CIL apparait comme une légitimation de l’abus de droit et ce n’est intellectuellement pas satisfaisant. C’est une doctrine qui cache en réalité bien mal un “fétichisme du code” qui me semble hors de propos.
TL;DR : So you never know.
Dédi à Dry que j’ai l’honneur de compter parmi mes lecteurs désormais.
NB: Je sais qu’on ne code pas en 0 et 1 c’est pour la blague.
NB2: Pour revenir sur le parallèle monde physique/ monde cryptographique se référer à mon topic “Noé” cité plus bas.
5) Eul’code lô
Mais SOIT ! Ok, mettons que vous pondiez un code fiable à 100%, vérifié par l’IA, test formel et continu et tout … reste qu’on ne peut pas faire exécuter des idées complexes à partir d’un système basique. Enfin si, on peut, mais ce seront des idées différentes qui sortiront à chaque fois...
C’est contre-intuitif mais du point du vu du droit ce n’est pas ce qui est écrit qui importe le plus, c’est ce qui a été voulu au moment de la rédaction qui prime, la sacro-sainte “volonté”.
Le contrat qui stipule “Allez à l’épicerie acheter 6 oeufs, s’ils vendent des yaourts en prendre 12” peut se lire de 2 manières dont une seule des deux “tombe sous le sens”. (Pour les plus lents : celle qui ne revient pas avec 12 oeufs.)
Croire que le code est un instrument plus efficace que la langue pour exprimer une volonté est un non-sens, croire que le code n’ouvre pas la voie à l’interprétation l’est tout autant. Fondamentalement, le droit, ça s’interprète et faites-moi confiance, s’il y a bien une catégorie de la population qui peut tout faire dire à toutes choses, c’est bien celle des juristes !
La guerre de Troie n’aura pas lieu est une pièce de théâtre écrite dans l’entre-deux guerres par Jean Giraudoux et qui commence par ce spoil mythologique :
ANDROMAQUE
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre !
CASSANDRE
Je te tiens un pari, Andromaque.
C’est une hilarante et prophétique tragicomédie sur le cynisme des hommes de pouvoir et leur manipulation des faits et du droit, sur l’inévitable et le destin, aussi.
Racontée du point de vue des Troyens, l’histoire se concentre sur leurs tentatives ridicules et désespérées d’éviter la guerre, avec le résultat que l’on sait.
À la scène 5 de l’acte II une expédition “diplomatique” menée par Ulysse vogue vers 3 pour parlementer, jamais la paix n’aura été aussi proche. Problème, elle se conduit de manière insultante et belliqueuse et on demande à Busiris, très grand juriste de passage dans la cité, d’éclairer la situation.
Son avis est clair, les grecs se rendent coupables de trois offenses envers les troyens et les laisser débarquer serait un déshonneur aux yeux du monde:
Difficile de se méprendre sur les intentions grecques et pourtant il FAUT les laisser accoster pour rendre Hélène et négocier la paix.
On demande alors au juriste de démontrer qu’aucune offense n’a en réalité été commise, tout en le menaçant de prison s’il ne parvient pas à “forger” cette vérité nouvelle.
Il s’exécute :
BUSIRIS
Pour le premier manquement, par exemple, ne peut-on interpréter dans certaines mers bordées de régions fertiles le salut au bateau chargé de bœufs comme un hommage de la marine à l’agriculture ? (…) Sans compter qu’une cargaison de bétail peut être une cargaison de taureaux. L’hommage en ce cas touche même à la flatterie.
HECTOR
Voilà. Tu m’as compris. Nous y sommes.
BUSIRIS
Quant à la formation de face, il est tout aussi naturel de l’interpréter comme une avance que comme une provocation. Les femmes qui veulent avoir des enfants se présentent de face, et non de flanc. (…) D’autant que les Grecs ont à leur proue des nymphes sculptées gigantesques. Il est permis de dire que le fait de présenter aux Troyens, non plus le navire en tant qu’unité navale, mais la nymphe en tant que symbole fécondant, est juste le contraire d’une insulte. Une femme qui vient vers vous nue et les bras ouverts n’est pas une menace, mais une offre. Une offre à causer, en tout cas...
Concernant la troisième offense elle est d’office disqualifiée en ce que “c’est un manquement qui n’a pas été fait dans les formes.” Et l’on se demande bien quelles formes doit remplir un gradé se dirigeant vers une cité en promettant d’en tuer le prince pour que son offense soit prise en compte…
HECTOR
Et voilà notre honneur sauf.
Ce passage est une illustration littéraire de la puissance de l’interprétation, à laquelle le Droit est extrêmement perméable. Et ça n’a rien de scandaleux ! On applique très souvent des textes juridiques à des situations auxquelles les auteurs n’avaient jamais pensées, encore heureux ! C’est ce qu’on appelle une “interprétation téléologique de la loi”, qui recherche l’intention de l’auteur derrière le sens des mots et des formulations employées.
HECTOR
Mon cher Busiris, nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.
Il en va de même pour ce qui est de rendre la justice à propos de l’application d’un contrat. Un juge, pour rendre sa décision, ira rechercher dans la formulation l’intention des parties au moment de la rédaction du contrat. Il ne le fera pas nécessairement en fonction de ce que vont lui déclarer les parties au procès, tout simplement parce qu’elles vont chacune prétendre avoir voulu ce qui les arrange le plus maintenant…
Que ce contrat soit écrit en grec, latin, dans la langue de Molière ou celle d’Hal 9000 ne change rien: en dernière instance c’est l’interprétation du juge qui compte et cette interprétation peut se baser sur des choses telles que la documentation afférente au code.
“Documentation is law ?” Ça devient casse-gueule…
Les éventuelles actions exécutées précédemment par le smart-contrat pourront éventuellement être renversées, si ce n’est pas possible alors une compensation financière sera prononcée.
Pour faire simple : coder vos contrats ne vous soustrait ni au pouvoir du juge ni aux mécanismes interprétatifs qui en découlent. Il en va de cette phrase toute nietzschéenne: il n’y a pas de vérité, seulement des interprétations.
MAIS OK OK soit, mettons qu’ils vous laissent tranquilles (ils ne le feront jamais), mettons que vous organisiez efficacement votre injusticiabilité… Accepteriez-vous d’être partie d’un contrat à hauteur de plusieurs millions de $ sans possibilité de recours en cas de bug ?
Dédi à legrandsingebtc qui, je l’espère, ne se tire pas trop les cheveux en me lisant.
NB: Pour la petite histoire c’est avec autant de courage que les troyens que le pouvoir français accueillit la décision hitlérienne de remilitariser la Rhénanie en 1936… le ministre britannique des affaires étrangères alla jusqu’à déclarer “ne pas regretter la situation mais bien la méthode employée”, ben voyons…
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6) Code is judge
En mon sens donc, Code restera Code et Law restera Law. Tout n’est pas perdu pour autant ! Bitcoin peut et va apporter énormément à la pratique juridique, au point d’en transformer certains aspects.
La plupart de ces transformations, et c’est heureux, sont imprévisibles mais à moyen terme il y en a deux qui me viennent à l’esprit.
La première d’entre elles vient de la force probante de la blockchain et du fait qu’avec Bitcoin, enfin, nous sommes capables de réifier des objets numériques, de garantir leur intégrité sans tiers de confiance.
Ce processus de réification à l’oeuvre et son lien avec la notion de preuve je l’explique à partir d’un texte sumérien du -IIIème millénaire dans le topic Comment Bitcoin a-t-il été été inventé il y a 5 000 ans par Noé:
Qui devait être à la base un chapitre du présent volume.
Je ne vais pas développer plus que ça, pas aujourd’hui en tout cas, sachez seulement que la question de la preuve est en réalité la question centrale de toute décision au point que pour le juge civil on considère que ce qui n’a pas été prouvé n’existe simplement pas.
Le second aspect est une considération de procédure dans ce qu’elle a de plus fondamentale : Qui qui règle le conflit ? Est-ce toujours le juge, qui est toujours bien occupé ailleurs ? Pourquoi pas un “arbitre” ?
Ah l’arbitrage ! Que ne lit-on pas sur ça…
Dans le jargon c’est ce qu’on nomme une « méthode non-juridictionnelle de résolution des conflits ». Le principe est de ne pas s’infliger une longue coûteuse procédure judiciaire (devant un juge) mais de mandater une groupe d’arbitre pour qu’ils statuent sur la cas et rendent une décision.
Le rôle du juge est alors réduit à celui de l’homologation : il vérifie que la composition de l’instance arbitrale est loyale (elle doit être composée de gens intègres, compétents et sans conflits d’intérêts) et que sa décision ne viole pas “l’ordre public” de son pays.
Si les conditions sont remplies alors il donne à la décision force exécutoire et les huissiers peuvent venir chez toi.
Bien entendu les parties n’ont pas le droit de porter leur affaire devant les juridictions si l’issue de l’arbitrage ne leur convient pas… elles peuvent toutefois vouloir faire annuler la décision si elles estiment l’instance arbitrale non-loyale sur la base de nouveaux éléments (si ils se rendent compte qu’ils sont victimes d’une escroquerie à l’arbitrage quoi…).
Et ça marche pas mal !
En tout cas dans son domaine privilégié d’application : Le commerce international, où les parties sont des professionnels qui ont besoin qu’on statue rapidement sur des questions juridiquement extrêmement complexes.
Le problème, c’est quand on veut en faire une modalité de résolution des conflits presqu’au même titre que la voie juridictionnelle …
La justice en France, on va pas se le cacher, c’est le tiers-monde et sa lenteur est une atteinte grave aux droits fondamentaux en ce qu’elle décourage le quidam de réclamer jugement. Pour répondre à cela les pouvoirs publics, au lieu de donner aux juges les moyens de faire leur travail, poussent vers le recours plus régulier à ces instances arbitrales.
Dans ce contexte il est inutile d’agiter les bras tout fort en hurlant à la privatisation mais plutôt se demander comment on a pu accepter de se retrouver dans une telle situation.
Là c’est le moment où on cite l’affaire Tapie pour illustrer tout ce qui ne va pas dans cette solution “de simplicité” qui crée en réalité plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Alors Bitcoin dans tout ça ?
Et bien plusieurs choses !
D’abord nous l’avons vu, les “décisions” d’un smart contract peuvent s’exécuter sans intervention extérieures (on parle d’ailleurs volontiers de contrats auto-exécutants) où la coercition porte sur le transfert irréversible des fonds sous séquestre. Même plus besoin de l’autorité du juge pour faire respecter la décision. Le SC est “juge et bourreau”.
Ensuite, puisque l’identité des arbitres pose problème en ce qu’il devient possible de les “placer” ou de les corrompre pourquoi ne pas remettre la décision de son litige entre les innombrables et anonymes mains de la “communauté” des possesseurs de jetons, qui voteront sur l’issue de tel ou tel litige. C’est une solution qui réglerait la faiblesse principale de l’instance arbitrale, une sorte de justice décentralisée qui fonctionne comme un oracle.
Alors attention nous ne sommes pas DU TOUT dans Code Is Law mais dans l’instauration via le code d’une nouvelle instance. Cette dernière aura bien entendu ses tropismes, ses biais, son bifsteak à défendre et toutes les mécaniques interprétatives qui vont avec (cf plus haut).
Feront-ils plus volontiers que les juges “classiques” pencher la balance du côté du plus vulnérable ? Rien n’est moins sûr…
Enfin oui, bien évidemment, le code peut être une loi. Mais une loi bien particulière, celle des parties: “Pacta sunt servanda”;”Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” (Article 1103 du Code civil). Notez que les termes “légalement formés” renvoient au contrôle par le juge.
On peut imaginer dans ce cadre une certaine automatisation des sanctions qui pousserait deux co-contractants à respecter les “bonnes pratiques commerciales” (au premier rang desquelles on trouve la ponctualité des paiements).
Car automaticité ne veut pas nécessairement dire injustice et certains litiges simples se règlent en donnant raison à “la partie la plus diligente”, celle qui a le plus “joué le jeu”. Voilà ce qui en mon sens peut advenir de plus proche de Code is Law: un contrat qui est élevé, même pour le juge, au rang de loi rendue auto-exécutante par le code.
Mais encore une fois attention, je parle de fonctions très simples, basiques, et identifiées en parties désireuses de délaisser la souplesse qu’offrent les relations contractuelles “classiques” pour au contraire se diriger vers la loi d’airain du Code auto-exécutant. À elles de peser le pour et le contre et d’agir en fonction de leurs intérêts mais nous sommes bien loins d’un Code englobant censé remplacer la loi…
Dans tous les cas, et ce sera ma conclusion, se soustraire intégralement à l’autorité judiciaire n’est ni simple ni neutre. Cette dernière aura toujours la volonté de s’assurer que “l’ordre public” est bien respecté, car après tout c’est sa raison d’être…
Nous touchons aux questionnements habituels des cryptos : jusqu’à quel point les états défendront-ils ces pans de souveraineté qui leur sont ôtés ?
En tout état de cause vous lirez encore dans la documentation de vos shitcoins favorites, même celles qui se veulent les plus décentralisées, des “mentions légales” plus ou moins bien dissimulées.
Avec toutes ces idées en tête difficile d’envisager un code qui se substitue efficacement à la loi. Pour autant les enjeux de la coopération entre les deux sphères, code et law, seront probablement centraux dans les décennies à venir.
Sur quoi cette coopération va-t-elle déboucher ? Peut-on rêver d’un système juridique qui se saisisse dès aujourd’hui de la question pour proposer un cadre attractif et innovant ? Pour aboutir à quoi ?
Je ne connais pas l’avenir. Je ne suis pas venu vous dire comment ça fini, je suis venu vous dire comment ça a commencé.
Voilà c’était un volume dense et un peu aride mais ce sont vraiment des notions simples, si vous n’avez pas compris quelque chose c’est que je me suis mal exprimé alors n’hésitez pas à poser des questions je prendrai soin d’y répondre !
J’ai laissé quelques fautes aussi pour faire plaisir à Burger.
Le prochain épisode sera un retour critique sur mes 11 premiers volumes et la clôture du second cycle. Je reviendrai sur les prédictions de 6 RSC 6 et j’en ferai de nouvelles.
T'avais pas plus long ? C'est trop synthétique encore
Bien sûr que si
Ca paraît assez évident que le code ne pourra jamais remplacer la loi. Par contre il peut en devenir une émanation (application pratique de règles instituées par le législateur)
Mais pour moi l'intérêt de "code is law" réside dans les smart contracts. Ceux-ci n'ont cependant aucune légitimité à déroger aux règles d'ordre public, par contre il peuvent fixer les règles supplétives de volonté déterminées par les parties dans un contrat précis.
L'auto exécution permettant d'anticiper les éventuels litige au moment de la réalisation du contrat.
L'autre intérêt est de déterminer la réalisation ou non ainsi que cette date de réalisation de conditions suspensives au sein des dits contrats.
En définitive, à mon avis les smart contracts et le "code is law" ne remplacera jamais la loi telle qu'on la connaît mais doit s'inscrire à un niveau inférieur à la loi (respect des règles d'ordre public), définir et horodater/valider les éléments attestant de la réalisation du contrat puis réaliser les clauses du contrat.
Enfin, l'immutabilité offerte par une blockchain sécurisée permet au juge de statuer rapidement et avec certitude en cas de litige. On pourrait même imaginer la création d'un tribunal spécifique d'application des smarts contracts.
Le 16 novembre 2019 à 10:26:21 Kheyoudlespace a écrit :
Ca paraît assez évident que le code ne pourra jamais remplacer la loi. Par contre il peut en devenir une émanation (application pratique de règles instituées par le législateur)Mais pour moi l'intérêt de "code is law" réside dans les smart contracts. Ceux-ci n'ont cependant aucune légitimité à déroger aux règles d'ordre public, par contre il peuvent fixer les règles supplétives de volonté déterminées par les parties dans un contrat précis.
L'auto exécution permettant d'anticiper les éventuels litige au moment de la réalisation du contrat.
L'autre intérêt est de déterminer la réalisation ou non ainsi que cette date de réalisation de conditions suspensives au sein des dits contrats.
En définitive, à mon avis les smart contracts et le "code is law" ne remplacera jamais la loi telle qu'on la connaît mais doit s'inscrire à un niveau inférieur à la loi (respect des règles d'ordre public), définir et horodater/valider les éléments attestant de la réalisation du contrat puis réaliser les clauses du contrat.
Enfin, l'immutabilité offerte par une blockchain sécurisée permet au juge de statuer rapidement et avec certitude en cas de litige. On pourrait même imaginer la création d'un tribunal spécifique d'application des smarts contracts.
Pour la synthèse voyez avec Kheyou
Le 16 novembre 2019 à 10:01:20 8CmDeDouceur7 a écrit :
T'avais pas plus long ? C'est trop synthétique encore
lire les topic de fauno
Le 16 novembre 2019 à 12:32:33 DannyTheBull a écrit :
Le 16 novembre 2019 à 10:01:20 8CmDeDouceur7 a écrit :
T'avais pas plus long ? C'est trop synthétique encorelire les topic de fauno
il y en a même un qui les a écrit
Pour tout vraiment synthétisé on peut dire que le smart contract sera le notaire 2.0 dans un futur plus ou moins proche..
http://image.noelshack.com/fichiers/2017/07/1487017422-156464651646846516516.png. C est bien écrit mais j'ai rien compris.
Le 16 novembre 2019 à 09:57:16 FaunoLeFaune a écrit :
Alors comme ça on veut faire du droit ?Code is Law est une bien étrange expression. Désignant à la base la capacité qu’ont les systèmes informatiques connectés à simultanément contenir et appliquer des conceptions politiques très identifiables ; “CIL”est devenu un espèce de slogan politico-technique de geek en mal de pouvoir. C’est un OVNI politique en plus d’être un beau produit de son époque.
Bon, je vais jouer cartes sur table, je n’y crois pas une seule seconde. Faire du code une loi d’airain pose immensément plus de problèmes que ça n’en résout. Les idéologues à l’origine du concept ont en plus beau jeu de se présenter comme les porte-voix de tous les techos, catégorie très peu habituée et surtout formée à se positionner politiquement…
Dans le crypto manifesto de 1988 on peut lire ceci :
Ces évolutions altéreront complètement la nature des législations gouvernementales, la capacité à taxer et contrôler les interactions économiques, la capacité à garder l’information secrète et altéreront même la nature de la confiance et de la réputation.
Je n’y lis pas d’ambition de substitution à l’état mais celle de sa modulation et d’une certaine manière de son affranchissement, ce qui est lié me direz-vous mais l’annoncer n’est pas neutre.
Il n’empêche, concevoir un code comme une loi (ou l’inverse) a un intérêt certain et de la même manière que Bitcoin questionne efficacement les principes de la monnaie “Code is Law” permet d’aborder la loi sous un angle nouveau.
Et bon dieu qu’est-ce qu’elle en a besoin !
Is Law Law ?
La question est mille fois légitime, le XXIème siècle est celui de la mutation du droit qui passe, pour reprendre les mots de Jacques Commaille dans son essai À qui nous sert le droit ? (2015), du statut de norme à celui de ressource.Mondialisation, mise en concurrence des législations, inflation normative, apparition du “droit mou” (c’est-à-dire uniquement déclaratif et in fine inapplicable)… Tous ces phénomènes sonnent le glas d’une conception très académique, positiviste et internaliste de la loi : En un mot stop penser que le droit est un espace clôt qui n’obéit qu’à sa propre logique.
C’est donc à un droit en crise que le code de Code is law souhaite se substituer.
Mais ça va pas marcher. Enfin pas comme vous l’entendez. Je précise que quand je dis “vous” je m’adressent aux idéologues qui soutiennent cette idée et qui sont finalement assez peu. La plupart des techniciens sont dans un premier temps séduits par l’idée qui les valorise mais en reviennent très vite, conscients des limites de leur outil.
Quand j’écris Code avec une majuscule c’est le Code de Code is law, c’est-à-dire celui qui se veut Loi. Sans majuscule il ne désignera que son aspect technique. Ce n’est pas une proposition, simplement une convention pour ces lignes.
Allez c’est parti !
___________________________________________________________________________________________1) Code is Law origins
C’est en janvier 2000 que Lawrence Lessing, professeur de droit des affaires, publie Code is Law – On Liberty in Cyberspace dans le très chic Harvard Magazine.
https://harvardmagazine.ce.com/2000/01/code-is-law-html
Pour commencer sur de bonnes bases je vais en citer pour les commenter de larges extraits à partir de la traduction proposée par Framablog et titrée Le code fait loi, ce qui n’est déjà plus la même chose mais ne chipotons pas.
https://framablog.org/2012010/05/22/code-is-law-lessig/Basiquement, l’article introduit l’émergence d’un nouvel organe de contrôle, spécifique au XXIème siècle:
Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.
Ce Code-régulateur va devoir se positionner par rapport aux valeurs défendues jusque là, jusqu’à entrer en concurrence avec celles-ci :
Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera.
L’urgence est donc de prendre conscience de cet état de fait pour organiser tant que faire se peut la perpétuations des valeurs traditionnelles dans le cyberespace, un territoire toujours en friche.Le Code joue en fait sur la faisabilité des opérations qui relèvent classiquement de l’Etat, au premier rang desquelles l’identification des intervenants. Se déplace alors le curseur entre régulabilité et irrégulabilité:
Dans certains contextes, et pour certaines personnes, cette irrégulabilité est un bienfait. C’est cette caractéristique du Net, par exemple, qui protège la liberté d’expression. Elle code l’équivalent d’un Premier amendement dans l’architecture même du cyberespace, car elle complique, pour un gouvernement ou une institution puissante, la possibilité de surveiller qui dit quoi et quand.
Ces notions ne sont pas politiquement neutres. Le choix de l’architecture relève dès lors de l’option sociale.
Quand vient par exemple le moment de la certification on peut opter pour la « moindre révélation » ou pour le « une carte pour tout », ce sont deux conceptions radicalement opposées qui ont des répercussions… Le curseur sera ici le respect de la vie privée. Celle-ci n’est alors pas « proclamée » ni « élevée au rang de valeur fondamentale » mais bien inscrite dans l’architecture, immédiatement opérante.
Le même raisonnement se pose pour la question hautement actuelle de la collecte des données.
Le Code, comme la Loi, n’est pas immuable. C’est une superposition de protocoles et Lessig met en garde contre… contre ce qui allait arriver.
On voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.
L’élaboration de cette loi nouvelle, dès lors, est aux mains du codeur, au sens le plus large: du pisseur de code au décisionnaire final.
Et c’est là que les choses se compliquent. Le Législateur est identifié, cela fait parti de ses attributs, le droit tire sa légitimité de sa source : de la Coutume (usages ininterrompus) aux lois codifiées émanants d’une représentation nationale.Qu’en est-il des codeurs ? Qu’est-ce qui les guide et d’où tirent-t-ils leur légitimité ?
Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.
Lessing voit donc plutôt le codeur comme un prestataire ou un entrepreneur qui peut créer non pas en fonction des incitations mais en réaction aux exigences de la compliance, qui sont des politiques bien étatiques émanants des acteurs traditionnels.L’article conclut sur la nécessité d’identifier et d’assumer le rôle que nous aurons à jouer dans ce contexte :
Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions. Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons hérité. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.
Alors quelle architecture pour quelle loi ?Celle programmée par Mr Anderson, qui a un numéro de sécurité sociale, qui paye ses impôts et qui propose à sa logeuse de descendre ses poubelles ?
Ou celle de Neo, virtuellement coupable de tous les crimes informatiques punis par la loi.
MetaCortex ou Nabuchodonosor ?
La question n’est pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.
Mon commentaire général de cet article c’est que Lessing expose un cas particulier, applique la règle générale dont je vous parle souvent et qui reste, selon moi, LA clé de lecture de Bitcoin et des cryptos en générale, la phrase de McLuhan : Le médium c’est le message.
Cf. 6 RSLC Vol.3 : https://www.jeuxvideo.com/forums/42-3011927-55294972-1-0-1-0-6-reflexions-sur-les-cryptos-vol-3.htm
On peut même ici dégager différents niveaux d’application de cette loi : Dans un premier temps la possibilité d’édicter des règles d’application immédiate dans le cyberespace constitue un « message » au sens de Luhan en ce qu’elles vont concurrencer l’autorité des états dans cet espace. Nous serons alors sur des enjeux de souveraineté.
Dans un second temps la manière dont les architectures sont conçues vont quand à elles avoir un impact sur la gestion des données privées et sur l’anonymat des intervenants, portant alors un autre type de “message”, celui du droit à la vie privée ou non.
Dans une perspective de bitcoiner le codeur peut très bien créer et proposer une architecture qui intégrera sa propre irrégulabilité, profitant de la désunion des états, via la décentralisation en tirant profit de la conjonction des intérêts.
Il est comique à ce sujet de voir Libra affronter tous les politiciens de Washington, des congressmen qui se rendent compte, au passage, qu’ils ne peuvent tuer Bitcoin, pour les mêmes raisons qu’ils peuvent tuer Libra.
TL; DR: Internet et “la blockchain” sont deux espaces politiques à conquérir.
Dédi à JordanBelfort, l’étoile montante du forum finance.
NB: Décider de qui choisit nos valeurs à notre place est, par ailleurs, un des thèmes de Matrix.
+1
Le 16 novembre 2019 à 09:57:29 FaunoLeFaune a écrit :
2) Code is Claw
L’article de Lessing est brillant et traite d’un enjeu dont l’importance va croissant. Ce n’est cependant pas vraiment ce qu’on entend aujourd’hui par Code is Law… Surtout dans le milieu des cryptos. Ou plutôt, de « Code is Law » nous sommes passés à « Code is Law ! ».Car magie de la ponctuation, mettre un point d’exclamation à n’importe quelle courte phrase en fait un slogan.
Exemple :
- Des frites à la cantine.
- Des frites à la cantine !
Peut-être est-ce quelque chose que Lessing n’avait pas anticipé dans son papier (qui ne visait de toute façon pas l’exhaustivité): Plutôt que d’essayer d’influer sur la politique du code par des pressions externes (appel à la régulation, sensibilisation de l’usager) pourquoi ne pas s’emparer directement de cet espace de pouvoir pour le déclarer souverain ?
C’était somme toute prévisible: il n’y a pas d’espace de pouvoir sans lutte de pouvoir.
Ainsi les codeurs, qui sont des gens très premier-degré, se sont-ils pris pour des législateurs dans ce que Maël Rolland nomme « un rigorisme à la Szabo ». Ils vont mettre en avant la supériorité technique de leur système sur celui de l’État pour en démontrer l’inévitable victoire politique, avec des phrases telles que « un code bugé est plus fiable qu’une institution humaine. » Quand on ne part pas carrément dans des délires d’IA gérant l’humanité dans son ensemble…
Le tout teinté de libertarianisme et d’un certain rejet des valeurs traditionnelles qui ne commencent pas par « liberté de… ».Il y a tout un travail de généalogie politique à effectuer sur les mouvements cyberpunks (au pluriel) qui consiste en la recherche des sources du bidule, des mouvements qui le préfigurent. Je m’attends à trouver une bonne dose d’anarchisme à l’américaine mais aussi, comme toujours, deux ou trois surprises…
Ce travail de généalogie politique se double d’un travail plus Nietzschéen de généalogie de la morale, (Genealogie der Moral (quand vous citez un concept du moustachu mettez toujours le nom allemand entre parenthèses, ça fait bien)).
Il s’agit tout simplement de se demander quelles sont “les valeurs de ses valeurs” pour dégager les intentions derrière les postures…
Et c’est peut-être dans cette optique que CIL prend tout son sens en ce qu’elle est la réponse à une contradiction fondamentale de l’anarchisme en général et du cyberpunkisme en particulier: comment exercer le pouvoir sans avoir l’air d’y toucher.
Jusque là les cypher-punks, selon la formule consacrée, "avaient les mains propres mais n’avaient pas de mains”. Mais si le coder devient législateur alors là c’est champagne !
Ainsi le Code devient-il à la fois un outil de propagande et d’exercice du pouvoir, une arme dialectique, une griffe (claw, vous suivez ?).
Ont-ils dès lors raison de considérer que le code peut se muer en loi autonome ? Ou même l’inverse, que la loi puisse se coder pour se suffire à elle-même ?
Dédi à CZ-roule-en-CX qui est décidément bien informé.
NB: Je me suis beaucoup inspiré des conférences de Maël Rolland pour écrire ces lignes, elles sont disponibles sur la chaîne YouTube de bitcoin.fr et je vous les recommande chaudement.___________________________________________________________________________________________
3) Code is very law
Car après tout pourquoi pas !Le raisonnement juridique est un raisonnement par syllogisme:
Si A=B et B=C alors A=C
- Socrate est un homme,
- tous les hommes sont mortels,
- Socrate est donc mortel.
- Bob a chourré la trousse d’Alice quand elle avait le dos tourné.
- Le vol est défini à l’article Article 311-1 du Code pénal comme la “soustraction frauduleuse de la chose d’autrui”.
- L’acte de bob est une soustraction (il s’approprie le bien) frauduleuse (elle avait le dos tourné).
- Bob est coupable de vol au sens de l’article 311-1.
Voilà ça n’a rien d’ésotérique et c’est au premier abord traduisible en 0 et en 1.
Il faut commencer par reconnaitre au code un pouvoir phénoménal dans sa sphère d’application : Il contient et applique la règle simultanément. C’est exactement ce qui manque à la loi. C’est ce qui la rend en réalité si vulnérable au Pouvoir.
Dans son article écrit en 1996 Let Them Eat Cake, “Qu’ils mangent de la brioche’’, référence à Marie-Antoinette, Susan Silbey écrit :
“Il importe de se souvenir que la loi l’emporte uniquement par son ubiquité, non pas grâce à son omnipotence.”
Car en effet, le droit est partout (ubiquité) mais il n’est pas tout-puissant (omnipotence), son élaboration et son application passent par tout un processus impliquant multitude d’acteurs différemment impliqués.“Quand on en vient aux notions de Pouvoir et de Justice, l’histoire sociolégale démontre clairement et sans ambiguïté que la loi ne suffit pas.”
L’article : https://www.jstor.org/stable/3053925?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents
Mais le Code est plus qu’autonome… pour faire simple il est divin. Dans sa sphère d’application il est omnipotent au sens formel et théologique : Il peut effectuer tout ce qui ne lui est pas intrinsèquement impossible. Dans son exécution le Code s’assure du fondement même du pouvoir judiciaire: la coercition.
Quelle portée donner à la condamnation d’emprisonnement si une police n’est pas là pour écrouer le coupable ? Quel sens a la décision ordonnant le remboursement d’un emprunt si on ne peut pas au besoin saisir les biens du débiteur ?
On peut y rajouter quelques caractéristiques alléchantes, qu’elles soient réelles ou supposées : Sans-biais, égalitariste, “cartésienne”, prédictible, parfois même je lis “scientifique”… jusqu’à confondre neutralité technique et politique.
De ce point de vu le Code est fascinant, il va cependant falloir redescendre sur terre, le système n’a rien de miraculeux…
Sans se poser la question de la justice (qui demanderait un volume complet), on ne peut ignorer deux problèmes bien plus terre-à-terre: La fiabilité du code et le sens qu’on veut bien lui donner.
Tl;DR : le code peut être une loi bien velue.
Dédi à Rissou qui me doit un kebab (si si)
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4) Code is low
C’est simultanément sur PlayStation 2, Xbox, GameCube et PC que sort, en 2003, le fabuleux jeu Enter The Matrix. Basé sur la trilogie des soeurs Wachowski, il met en scène l’équipage du Logos : Niobe, Ghost et Sparks. C’est en fait Matrix Reloaded de leur point de vue…
Et putain ce que c’était bien ! En préparant le volume j’ai découvert avec effarement (oui carrément) que le jeu était considéré comme une bouse, un navet… Bon il était pas parfait, les séquences en bagnole c’était un petit enfer et les roues étaient carrées, mais bon Dieu quel pied ! Quel plaisir de jeu ! Ce gameplay de chorégraphe !
On a jamais été vraiment sûrs du degré d’implication des soeurs dans le développement du jeu mais il contient, excusez du peu, des scènes réelles tournées avec les acteurs authentiques et par l’équipe du film, bon ok par l’équipe B (celle qui tourne les plans d’exposition).
Toujours est-il qu’une cinématique, qu’un dialogue en particulier ne m’a jamais quitté :
https://www.youtube.com/watch?v=6sZ_qJuPOyQ&feature=youtu.be&t=215
(avec le timecode)Ghost et Niobe se trouvent dans la Structure (the Construct, en anglais), le programme de simulation et de chargement de matériel dans la Matrice et qui se présente par défaut comme une pièce blanche infinie.
Pour les besoins de la mission ils chargent flingues et vêtements stylés tandis que Ghost, qui agit toujours comme le plus militarisé du duo, vérifie le chargement de ses armes.
S’en suit ce dialogue :
Niobe: Why do you do that?
Ghost: Do what?
Niobe: Check your guns?
Ghost: You never know.
Niobe: Its a program. They get loaded every time the exact same way.
Ghost: Hume teaches us that no matter how many times you drop a stone and it falls to the floor. You never know what'll happen the next time you drop it. It might fall to the floor, but then again it might float to the ceiling. Past experience can never prove the future.
Niobe: So?
Ghost: So you never know.Et c’est Bitcoin.
Non je déconne cette fois, c’est une référence à la fourchette de Hume.
David Hume est un philosophe écossais du XVIIIème qui portait très bien le turban. Il est considéré avec Locke et Berkeley comme le “fondateur de l’empirisme moderne” et comme l’un des pères de la méthode scientifique. Hume, dans ses travaux, s’interroge sur l’épistémologie: il se demande, en gros, comment on sait ce que l’on sait et comment savoir mieux.
Il développe pour cela une conception duale de la vérité : Ce qui n’est ni vérité logique ni fait est dénué de sens. C’est la fourchette.
Ce qu’il souligne aussi, et c’est à ce point que Ghost fait référence, c’est que notre foi dans les relations de cause à effet entre les événements est bien plus basée sur l’habitude, nous dirions aujourd’hui sur des biais d’ancrage, que sur la raison : avoir toujours vu les pierres retomber quand nous les lançons ne suffit pas à déduire qu’elles le feront pour toujours et de la même façon.
Hume nous met en garde contre notre propension à prendre des situations pour acquises dès lors qu’on en a l’habitude et à voir des liens de causalités sans pour autant faire l’effort de les démontrer.
Ce qui s’est passé dans le passé, en tant que tel, ne nous renseigne que sur le passé. Comme le résume Ghost avec cette phrase que nous connaissons si bien en finance :
Past experience can never prove the future.
Et oui Jamie ! Ce que nous prenons pour une bête mention légale est en réalité une des phrases fondatrices de l’épistémologie telle que dégagée 3 siècles auparavant.
Le dialogue, comme quasiment tous les dialogues importants de Matrix, met en perspective deux systèmes de croyance :
- Niobe qui, par habitude, considère la fiabilité du programme comme acquise
- Ghost qui s’en remet à son scepticisme
Lequel a raison ? Celui qui cite un grand auteur, bien entendu…
Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans le cadre de ce volume c’est que nous nous trouvons dans un programme, la Structure en est un. C’est de surcroit un programme de hacking, on peut supposer qu’il exploite des failles dans la Matrice elle-même… Une brèche ça ne se fix pas ?
C’est là que le bât blesse pour les codeurs. Même pour quelque chose d’aussi stable que les phénomènes physiques nous ne pouvons nous en remettre à la seule expérience. Alors pour un code… il se test, certes, c’est bien ça le problème… tester ce n’est qu’accumuler les expériences, dans l’absolu cela ne nous renseigne que sur le fonctionnement du code au moment de son testing et les usages émergents du Code en fragilisent la prévisibilité.
J’ai bien peur que le testing soit une heuristique insuffisante quand on touche à des notions de justice.
Pour le dire simplement, vos productions sont merdiques. Pas merdiques en elles-même, jamais je n’oserai… mais elles ne rencontrent pas le niveau de standard requis pour vos ambitions.
Parce qu’en réalité les smart contracts portent bien mal leur nom… c’est con comme une bite un smart contract… et l’hilarant épisode du hack de The DAO en est une démonstration éclatante.
Pour un résumé complet et une bonne tranche de rigolade : https://youtu.be/4MZQRMVrTEw
Bien entendu que l’exploitation de la fonction récursive permettant de siphonner les fonds sous séquestre ne faisait pas partie de l’intention des développeurs, mais ça n’a aucune importance !
C’est un sujet un peu tabou dans la cryptosphère : La possibilité de coder un programme destiné à gérer de manière complexe des valeurs à hauteur de plusieurs millions de dollars avec un niveau de sécurité satisfaisant reste encore à démontrer.
Pour appréhender Code is Law partons de cette idée toute simple : tout ce qu’il est possible de faire sera fait, rien ni personne ne pourra l’empêcher et Sorry for your loss.
Sommes-nous censés regarder ailleurs ? Faire comme si les avantages promis compensaient cette insécurité structurelle ?
Ce qui est rigolo avec Code is law c’est qu’il est surtout brandi quand le code a été défaillant, comme un équivalent de “dura lex sed lex”… sauf que la Loi tire normalement sa légitimité d’autre chose que de sa sévérité…
Au final CIL apparait comme une légitimation de l’abus de droit et ce n’est intellectuellement pas satisfaisant. C’est une doctrine qui cache en réalité bien mal un “fétichisme du code” qui me semble hors de propos.
TL;DR : So you never know.
Dédi à Dry que j’ai l’honneur de compter parmi mes lecteurs désormais.
NB: Je sais qu’on ne code pas en 0 et 1 c’est pour la blague.
NB2: Pour revenir sur le parallèle monde physique/ monde cryptographique se référer à mon topic “Noé” cité plus bas.
je préfère cette partie perso
Le 16 novembre 2019 à 15:36:13 FaunoLeFaune a écrit :
Le 16 novembre 2019 à 09:57:29 FaunoLeFaune a écrit :
2) Code is Claw
L’article de Lessing est brillant et traite d’un enjeu dont l’importance va croissant. Ce n’est cependant pas vraiment ce qu’on entend aujourd’hui par Code is Law… Surtout dans le milieu des cryptos. Ou plutôt, de « Code is Law » nous sommes passés à « Code is Law ! ».Car magie de la ponctuation, mettre un point d’exclamation à n’importe quelle courte phrase en fait un slogan.
Exemple :
- Des frites à la cantine.
- Des frites à la cantine !
Peut-être est-ce quelque chose que Lessing n’avait pas anticipé dans son papier (qui ne visait de toute façon pas l’exhaustivité): Plutôt que d’essayer d’influer sur la politique du code par des pressions externes (appel à la régulation, sensibilisation de l’usager) pourquoi ne pas s’emparer directement de cet espace de pouvoir pour le déclarer souverain ?
C’était somme toute prévisible: il n’y a pas d’espace de pouvoir sans lutte de pouvoir.
Ainsi les codeurs, qui sont des gens très premier-degré, se sont-ils pris pour des législateurs dans ce que Maël Rolland nomme « un rigorisme à la Szabo ». Ils vont mettre en avant la supériorité technique de leur système sur celui de l’État pour en démontrer l’inévitable victoire politique, avec des phrases telles que « un code bugé est plus fiable qu’une institution humaine. » Quand on ne part pas carrément dans des délires d’IA gérant l’humanité dans son ensemble…
Le tout teinté de libertarianisme et d’un certain rejet des valeurs traditionnelles qui ne commencent pas par « liberté de… ».Il y a tout un travail de généalogie politique à effectuer sur les mouvements cyberpunks (au pluriel) qui consiste en la recherche des sources du bidule, des mouvements qui le préfigurent. Je m’attends à trouver une bonne dose d’anarchisme à l’américaine mais aussi, comme toujours, deux ou trois surprises…
Ce travail de généalogie politique se double d’un travail plus Nietzschéen de généalogie de la morale, (Genealogie der Moral (quand vous citez un concept du moustachu mettez toujours le nom allemand entre parenthèses, ça fait bien)).
Il s’agit tout simplement de se demander quelles sont “les valeurs de ses valeurs” pour dégager les intentions derrière les postures…
Et c’est peut-être dans cette optique que CIL prend tout son sens en ce qu’elle est la réponse à une contradiction fondamentale de l’anarchisme en général et du cyberpunkisme en particulier: comment exercer le pouvoir sans avoir l’air d’y toucher.
Jusque là les cypher-punks, selon la formule consacrée, "avaient les mains propres mais n’avaient pas de mains”. Mais si le coder devient législateur alors là c’est champagne !
Ainsi le Code devient-il à la fois un outil de propagande et d’exercice du pouvoir, une arme dialectique, une griffe (claw, vous suivez ?).
Ont-ils dès lors raison de considérer que le code peut se muer en loi autonome ? Ou même l’inverse, que la loi puisse se coder pour se suffire à elle-même ?
Dédi à CZ-roule-en-CX qui est décidément bien informé.
NB: Je me suis beaucoup inspiré des conférences de Maël Rolland pour écrire ces lignes, elles sont disponibles sur la chaîne YouTube de bitcoin.fr et je vous les recommande chaudement.___________________________________________________________________________________________
3) Code is very law
Car après tout pourquoi pas !Le raisonnement juridique est un raisonnement par syllogisme:
Si A=B et B=C alors A=C
- Socrate est un homme,
- tous les hommes sont mortels,
- Socrate est donc mortel.
- Bob a chourré la trousse d’Alice quand elle avait le dos tourné.
- Le vol est défini à l’article Article 311-1 du Code pénal comme la “soustraction frauduleuse de la chose d’autrui”.
- L’acte de bob est une soustraction (il s’approprie le bien) frauduleuse (elle avait le dos tourné).
- Bob est coupable de vol au sens de l’article 311-1.
Voilà ça n’a rien d’ésotérique et c’est au premier abord traduisible en 0 et en 1.
Il faut commencer par reconnaitre au code un pouvoir phénoménal dans sa sphère d’application : Il contient et applique la règle simultanément. C’est exactement ce qui manque à la loi. C’est ce qui la rend en réalité si vulnérable au Pouvoir.
Dans son article écrit en 1996 Let Them Eat Cake, “Qu’ils mangent de la brioche’’, référence à Marie-Antoinette, Susan Silbey écrit :
“Il importe de se souvenir que la loi l’emporte uniquement par son ubiquité, non pas grâce à son omnipotence.”
Car en effet, le droit est partout (ubiquité) mais il n’est pas tout-puissant (omnipotence), son élaboration et son application passent par tout un processus impliquant multitude d’acteurs différemment impliqués.“Quand on en vient aux notions de Pouvoir et de Justice, l’histoire sociolégale démontre clairement et sans ambiguïté que la loi ne suffit pas.”
L’article : https://www.jstor.org/stable/3053925?read-now=1&seq=1#page_scan_tab_contents
Mais le Code est plus qu’autonome… pour faire simple il est divin. Dans sa sphère d’application il est omnipotent au sens formel et théologique : Il peut effectuer tout ce qui ne lui est pas intrinsèquement impossible. Dans son exécution le Code s’assure du fondement même du pouvoir judiciaire: la coercition.
Quelle portée donner à la condamnation d’emprisonnement si une police n’est pas là pour écrouer le coupable ? Quel sens a la décision ordonnant le remboursement d’un emprunt si on ne peut pas au besoin saisir les biens du débiteur ?
On peut y rajouter quelques caractéristiques alléchantes, qu’elles soient réelles ou supposées : Sans-biais, égalitariste, “cartésienne”, prédictible, parfois même je lis “scientifique”… jusqu’à confondre neutralité technique et politique.
De ce point de vu le Code est fascinant, il va cependant falloir redescendre sur terre, le système n’a rien de miraculeux…
Sans se poser la question de la justice (qui demanderait un volume complet), on ne peut ignorer deux problèmes bien plus terre-à-terre: La fiabilité du code et le sens qu’on veut bien lui donner.
Tl;DR : le code peut être une loi bien velue.
Dédi à Rissou qui me doit un kebab (si si)
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4) Code is low
C’est simultanément sur PlayStation 2, Xbox, GameCube et PC que sort, en 2003, le fabuleux jeu Enter The Matrix. Basé sur la trilogie des soeurs Wachowski, il met en scène l’équipage du Logos : Niobe, Ghost et Sparks. C’est en fait Matrix Reloaded de leur point de vue…
Et putain ce que c’était bien ! En préparant le volume j’ai découvert avec effarement (oui carrément) que le jeu était considéré comme une bouse, un navet… Bon il était pas parfait, les séquences en bagnole c’était un petit enfer et les roues étaient carrées, mais bon Dieu quel pied ! Quel plaisir de jeu ! Ce gameplay de chorégraphe !
On a jamais été vraiment sûrs du degré d’implication des soeurs dans le développement du jeu mais il contient, excusez du peu, des scènes réelles tournées avec les acteurs authentiques et par l’équipe du film, bon ok par l’équipe B (celle qui tourne les plans d’exposition).
Toujours est-il qu’une cinématique, qu’un dialogue en particulier ne m’a jamais quitté :
https://www.youtube.com/watch?v=6sZ_qJuPOyQ&feature=youtu.be&t=215
(avec le timecode)Ghost et Niobe se trouvent dans la Structure (the Construct, en anglais), le programme de simulation et de chargement de matériel dans la Matrice et qui se présente par défaut comme une pièce blanche infinie.
Pour les besoins de la mission ils chargent flingues et vêtements stylés tandis que Ghost, qui agit toujours comme le plus militarisé du duo, vérifie le chargement de ses armes.
S’en suit ce dialogue :
Niobe: Why do you do that?
Ghost: Do what?
Niobe: Check your guns?
Ghost: You never know.
Niobe: Its a program. They get loaded every time the exact same way.
Ghost: Hume teaches us that no matter how many times you drop a stone and it falls to the floor. You never know what'll happen the next time you drop it. It might fall to the floor, but then again it might float to the ceiling. Past experience can never prove the future.
Niobe: So?
Ghost: So you never know.Et c’est Bitcoin.
Non je déconne cette fois, c’est une référence à la fourchette de Hume.
David Hume est un philosophe écossais du XVIIIème qui portait très bien le turban. Il est considéré avec Locke et Berkeley comme le “fondateur de l’empirisme moderne” et comme l’un des pères de la méthode scientifique. Hume, dans ses travaux, s’interroge sur l’épistémologie: il se demande, en gros, comment on sait ce que l’on sait et comment savoir mieux.
Il développe pour cela une conception duale de la vérité : Ce qui n’est ni vérité logique ni fait est dénué de sens. C’est la fourchette.
Ce qu’il souligne aussi, et c’est à ce point que Ghost fait référence, c’est que notre foi dans les relations de cause à effet entre les événements est bien plus basée sur l’habitude, nous dirions aujourd’hui sur des biais d’ancrage, que sur la raison : avoir toujours vu les pierres retomber quand nous les lançons ne suffit pas à déduire qu’elles le feront pour toujours et de la même façon.
Hume nous met en garde contre notre propension à prendre des situations pour acquises dès lors qu’on en a l’habitude et à voir des liens de causalités sans pour autant faire l’effort de les démontrer.
Ce qui s’est passé dans le passé, en tant que tel, ne nous renseigne que sur le passé. Comme le résume Ghost avec cette phrase que nous connaissons si bien en finance :
Past experience can never prove the future.
Et oui Jamie ! Ce que nous prenons pour une bête mention légale est en réalité une des phrases fondatrices de l’épistémologie telle que dégagée 3 siècles auparavant.
Le dialogue, comme quasiment tous les dialogues importants de Matrix, met en perspective deux systèmes de croyance :
- Niobe qui, par habitude, considère la fiabilité du programme comme acquise
- Ghost qui s’en remet à son scepticisme
Lequel a raison ? Celui qui cite un grand auteur, bien entendu…
Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans le cadre de ce volume c’est que nous nous trouvons dans un programme, la Structure en est un. C’est de surcroit un programme de hacking, on peut supposer qu’il exploite des failles dans la Matrice elle-même… Une brèche ça ne se fix pas ?
C’est là que le bât blesse pour les codeurs. Même pour quelque chose d’aussi stable que les phénomènes physiques nous ne pouvons nous en remettre à la seule expérience. Alors pour un code… il se test, certes, c’est bien ça le problème… tester ce n’est qu’accumuler les expériences, dans l’absolu cela ne nous renseigne que sur le fonctionnement du code au moment de son testing et les usages émergents du Code en fragilisent la prévisibilité.
J’ai bien peur que le testing soit une heuristique insuffisante quand on touche à des notions de justice.
Pour le dire simplement, vos productions sont merdiques. Pas merdiques en elles-même, jamais je n’oserai… mais elles ne rencontrent pas le niveau de standard requis pour vos ambitions.
Parce qu’en réalité les smart contracts portent bien mal leur nom… c’est con comme une bite un smart contract… et l’hilarant épisode du hack de The DAO en est une démonstration éclatante.
Pour un résumé complet et une bonne tranche de rigolade : https://youtu.be/4MZQRMVrTEw
Bien entendu que l’exploitation de la fonction récursive permettant de siphonner les fonds sous séquestre ne faisait pas partie de l’intention des développeurs, mais ça n’a aucune importance !
C’est un sujet un peu tabou dans la cryptosphère : La possibilité de coder un programme destiné à gérer de manière complexe des valeurs à hauteur de plusieurs millions de dollars avec un niveau de sécurité satisfaisant reste encore à démontrer.
Pour appréhender Code is Law partons de cette idée toute simple : tout ce qu’il est possible de faire sera fait, rien ni personne ne pourra l’empêcher et Sorry for your loss.
Sommes-nous censés regarder ailleurs ? Faire comme si les avantages promis compensaient cette insécurité structurelle ?
Ce qui est rigolo avec Code is law c’est qu’il est surtout brandi quand le code a été défaillant, comme un équivalent de “dura lex sed lex”… sauf que la Loi tire normalement sa légitimité d’autre chose que de sa sévérité…
Au final CIL apparait comme une légitimation de l’abus de droit et ce n’est intellectuellement pas satisfaisant. C’est une doctrine qui cache en réalité bien mal un “fétichisme du code” qui me semble hors de propos.
TL;DR : So you never know.
Dédi à Dry que j’ai l’honneur de compter parmi mes lecteurs désormais.
NB: Je sais qu’on ne code pas en 0 et 1 c’est pour la blague.
NB2: Pour revenir sur le parallèle monde physique/ monde cryptographique se référer à mon topic “Noé” cité plus bas.
je préfère cette partie perso
Je supprime si tu veux, ça pollue un bel effort agrémenté d'une belle plume
Très intéressant comme d'habitude, c'est toujours appréciable de lire un travail ayant des références qui éclaire une problématique donnée.
Toutefois, puisqu'aujourd'hui les applications du smart contract se retrouvent majoritairement dans le monde des affaires, j'aurais aimé que tu fasses le lien entre cette technologie et la théorie des coûts de transaction de Coase, ainsi que toutes les recherches qui en ont découlé (cf. Williamson, Holmstrom, Hart, Akerloff, Jensen & Meckling). En somme, dans un monde où les entreprises sont considérées comme des noeuds de contrats, quelles sont les conséquences du smart contract
je préfère cette partie perso
Je supprime si tu veux, ça pollue un bel effort agrémenté d'une belle plume
non laisse ya pas de soucis
Le 16 novembre 2019 à 15:40:39 HmmmH a écrit :
Très intéressant comme d'habitude, c'est toujours appréciable de lire un travail ayant des références qui éclaire une problématique donnée.Toutefois, puisqu'aujourd'hui les applications du smart contract se retrouvent majoritairement dans le monde des affaires, j'aurais aimé que tu fasses le lien entre cette technologie et la théorie des coûts de transaction de Coase, ainsi que toutes les recherches qui en ont découlé (cf. Williamson, Holmstrom, Hart, Akerloff, Jensen & Meckling). En somme, dans un monde où les entreprises sont considérées comme des noeuds de contrats, quelles sont les conséquences du smart contract
Ah ben j'irai voir
Je n'ai pas pu parler de tout ce dont je voulais non plus, c'est déjà très très long. D'ailleurs je ne suis pas 100% satisfait de mes deux derniers points mais bon ... pour une prochaine fois !
Le 16 novembre 2019 à 09:57:51 FaunoLeFaune a écrit :
5) Eul’code lô
Mais SOIT ! Ok, mettons que vous pondiez un code fiable à 100%, vérifié par l’IA, test formel et continu et tout … reste qu’on ne peut pas faire exécuter des idées complexes à partir d’un système basique. Enfin si, on peut, mais ce seront des idées différentes qui sortiront à chaque fois...C’est contre-intuitif mais du point du vu du droit ce n’est pas ce qui est écrit qui importe le plus, c’est ce qui a été voulu au moment de la rédaction qui prime, la sacro-sainte “volonté”.
Le contrat qui stipule “Allez à l’épicerie acheter 6 oeufs, s’ils vendent des yaourts en prendre 12” peut se lire de 2 manières dont une seule des deux “tombe sous le sens”. (Pour les plus lents : celle qui ne revient pas avec 12 oeufs.)
Croire que le code est un instrument plus efficace que la langue pour exprimer une volonté est un non-sens, croire que le code n’ouvre pas la voie à l’interprétation l’est tout autant. Fondamentalement, le droit, ça s’interprète et faites-moi confiance, s’il y a bien une catégorie de la population qui peut tout faire dire à toutes choses, c’est bien celle des juristes !
La guerre de Troie n’aura pas lieu est une pièce de théâtre écrite dans l’entre-deux guerres par Jean Giraudoux et qui commence par ce spoil mythologique :
ANDROMAQUE
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre !
CASSANDRE
Je te tiens un pari, Andromaque.C’est une hilarante et prophétique tragicomédie sur le cynisme des hommes de pouvoir et leur manipulation des faits et du droit, sur l’inévitable et le destin, aussi.
Racontée du point de vue des Troyens, l’histoire se concentre sur leurs tentatives ridicules et désespérées d’éviter la guerre, avec le résultat que l’on sait.
À la scène 5 de l’acte II une expédition “diplomatique” menée par Ulysse vogue vers 3 pour parlementer, jamais la paix n’aura été aussi proche. Problème, elle se conduit de manière insultante et belliqueuse et on demande à Busiris, très grand juriste de passage dans la cité, d’éclairer la situation.
Son avis est clair, les grecs se rendent coupables de trois offenses envers les troyens et les laisser débarquer serait un déshonneur aux yeux du monde:
- Ils se dirigent vers la cité avec “leur pavillon au ramat et non à l’écoutière”, ce qui ne se fait que quand on croise un navire chargé de bétail.
- Ils se déplacent en adoptant la position “de face”, c’est-à-dire une formation de guerre.
- Un des navires grecques a accosté sans permission non loin et son capitaine “monte vers la ville en semant le scandale et la provocation, et criant qu’il veut tuer Pâris.”
Difficile de se méprendre sur les intentions grecques et pourtant il FAUT les laisser accoster pour rendre Hélène et négocier la paix.
On demande alors au juriste de démontrer qu’aucune offense n’a en réalité été commise, tout en le menaçant de prison s’il ne parvient pas à “forger” cette vérité nouvelle.
Il s’exécute :
BUSIRIS
Pour le premier manquement, par exemple, ne peut-on interpréter dans certaines mers bordées de régions fertiles le salut au bateau chargé de bœufs comme un hommage de la marine à l’agriculture ? (…) Sans compter qu’une cargaison de bétail peut être une cargaison de taureaux. L’hommage en ce cas touche même à la flatterie.
HECTOR
Voilà. Tu m’as compris. Nous y sommes.
BUSIRIS
Quant à la formation de face, il est tout aussi naturel de l’interpréter comme une avance que comme une provocation. Les femmes qui veulent avoir des enfants se présentent de face, et non de flanc. (…) D’autant que les Grecs ont à leur proue des nymphes sculptées gigantesques. Il est permis de dire que le fait de présenter aux Troyens, non plus le navire en tant qu’unité navale, mais la nymphe en tant que symbole fécondant, est juste le contraire d’une insulte. Une femme qui vient vers vous nue et les bras ouverts n’est pas une menace, mais une offre. Une offre à causer, en tout cas...Concernant la troisième offense elle est d’office disqualifiée en ce que “c’est un manquement qui n’a pas été fait dans les formes.” Et l’on se demande bien quelles formes doit remplir un gradé se dirigeant vers une cité en promettant d’en tuer le prince pour que son offense soit prise en compte…
HECTOR
Et voilà notre honneur sauf.Ce passage est une illustration littéraire de la puissance de l’interprétation, à laquelle le Droit est extrêmement perméable. Et ça n’a rien de scandaleux ! On applique très souvent des textes juridiques à des situations auxquelles les auteurs n’avaient jamais pensées, encore heureux ! C’est ce qu’on appelle une “interprétation téléologique de la loi”, qui recherche l’intention de l’auteur derrière le sens des mots et des formulations employées.
HECTOR
Mon cher Busiris, nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.Il en va de même pour ce qui est de rendre la justice à propos de l’application d’un contrat. Un juge, pour rendre sa décision, ira rechercher dans la formulation l’intention des parties au moment de la rédaction du contrat. Il ne le fera pas nécessairement en fonction de ce que vont lui déclarer les parties au procès, tout simplement parce qu’elles vont chacune prétendre avoir voulu ce qui les arrange le plus maintenant…
Que ce contrat soit écrit en grec, latin, dans la langue de Molière ou celle d’Hal 9000 ne change rien: en dernière instance c’est l’interprétation du juge qui compte et cette interprétation peut se baser sur des choses telles que la documentation afférente au code.
“Documentation is law ?” Ça devient casse-gueule…
Les éventuelles actions exécutées précédemment par le smart-contrat pourront éventuellement être renversées, si ce n’est pas possible alors une compensation financière sera prononcée.
Pour faire simple : coder vos contrats ne vous soustrait ni au pouvoir du juge ni aux mécanismes interprétatifs qui en découlent. Il en va de cette phrase toute nietzschéenne: il n’y a pas de vérité, seulement des interprétations.
MAIS OK OK soit, mettons qu’ils vous laissent tranquilles (ils ne le feront jamais), mettons que vous organisiez efficacement votre injusticiabilité… Accepteriez-vous d’être partie d’un contrat à hauteur de plusieurs millions de $ sans possibilité de recours en cas de bug ?
Dédi à legrandsingebtc qui, je l’espère, ne se tire pas trop les cheveux en me lisant.
NB: Pour la petite histoire c’est avec autant de courage que les troyens que le pouvoir français accueillit la décision hitlérienne de remilitariser la Rhénanie en 1936… le ministre britannique des affaires étrangères alla jusqu’à déclarer “ne pas regretter la situation mais bien la méthode employée”, ben voyons…
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6) Code is judge
En mon sens donc, Code restera Code et Law restera Law. Tout n’est pas perdu pour autant ! Bitcoin peut et va apporter énormément à la pratique juridique, au point d’en transformer certains aspects.
La plupart de ces transformations, et c’est heureux, sont imprévisibles mais à moyen terme il y en a deux qui me viennent à l’esprit.
La première d’entre elles vient de la force probante de la blockchain et du fait qu’avec Bitcoin, enfin, nous sommes capables de réifier des objets numériques, de garantir leur intégrité sans tiers de confiance.
Ce processus de réification à l’oeuvre et son lien avec la notion de preuve je l’explique à partir d’un texte sumérien du -IIIème millénaire dans le topic Comment Bitcoin a-t-il été été inventé il y a 5 000 ans par Noé:
Qui devait être à la base un chapitre du présent volume.
Je ne vais pas développer plus que ça, pas aujourd’hui en tout cas, sachez seulement que la question de la preuve est en réalité la question centrale de toute décision au point que pour le juge civil on considère que ce qui n’a pas été prouvé n’existe simplement pas.
Le second aspect est une considération de procédure dans ce qu’elle a de plus fondamentale : Qui qui règle le conflit ? Est-ce toujours le juge, qui est toujours bien occupé ailleurs ? Pourquoi pas un “arbitre” ?
Ah l’arbitrage ! Que ne lit-on pas sur ça…
Dans le jargon c’est ce qu’on nomme une « méthode non-juridictionnelle de résolution des conflits ». Le principe est de ne pas s’infliger une longue coûteuse procédure judiciaire (devant un juge) mais de mandater une groupe d’arbitre pour qu’ils statuent sur la cas et rendent une décision.
Le rôle du juge est alors réduit à celui de l’homologation : il vérifie que la composition de l’instance arbitrale est loyale (elle doit être composée de gens intègres, compétents et sans conflits d’intérêts) et que sa décision ne viole pas “l’ordre public” de son pays.
Si les conditions sont remplies alors il donne à la décision force exécutoire et les huissiers peuvent venir chez toi.
Bien entendu les parties n’ont pas le droit de porter leur affaire devant les juridictions si l’issue de l’arbitrage ne leur convient pas… elles peuvent toutefois vouloir faire annuler la décision si elles estiment l’instance arbitrale non-loyale sur la base de nouveaux éléments (si ils se rendent compte qu’ils sont victimes d’une escroquerie à l’arbitrage quoi…).
Et ça marche pas mal !
En tout cas dans son domaine privilégié d’application : Le commerce international, où les parties sont des professionnels qui ont besoin qu’on statue rapidement sur des questions juridiquement extrêmement complexes.
Le problème, c’est quand on veut en faire une modalité de résolution des conflits presqu’au même titre que la voie juridictionnelle …
La justice en France, on va pas se le cacher, c’est le tiers-monde et sa lenteur est une atteinte grave aux droits fondamentaux en ce qu’elle décourage le quidam de réclamer jugement. Pour répondre à cela les pouvoirs publics, au lieu de donner aux juges les moyens de faire leur travail, poussent vers le recours plus régulier à ces instances arbitrales.
Dans ce contexte il est inutile d’agiter les bras tout fort en hurlant à la privatisation mais plutôt se demander comment on a pu accepter de se retrouver dans une telle situation.
Là c’est le moment où on cite l’affaire Tapie pour illustrer tout ce qui ne va pas dans cette solution “de simplicité” qui crée en réalité plus de problèmes qu’elle n’en résout.
Alors Bitcoin dans tout ça ?
Et bien plusieurs choses !
D’abord nous l’avons vu, les “décisions” d’un smart contract peuvent s’exécuter sans intervention extérieures (on parle d’ailleurs volontiers de contrats auto-exécutants) où la coercition porte sur le transfert irréversible des fonds sous séquestre. Même plus besoin de l’autorité du juge pour faire respecter la décision. Le SC est “juge et bourreau”.
Ensuite, puisque l’identité des arbitres pose problème en ce qu’il devient possible de les “placer” ou de les corrompre pourquoi ne pas remettre la décision de son litige entre les innombrables et anonymes mains de la “communauté” des possesseurs de jetons, qui voteront sur l’issue de tel ou tel litige. C’est une solution qui réglerait la faiblesse principale de l’instance arbitrale, une sorte de justice décentralisée qui fonctionne comme un oracle.
Alors attention nous ne sommes pas DU TOUT dans Code Is Law mais dans l’instauration via le code d’une nouvelle instance. Cette dernière aura bien entendu ses tropismes, ses biais, son bifsteak à défendre et toutes les mécaniques interprétatives qui vont avec (cf plus haut).
Feront-ils plus volontiers que les juges “classiques” pencher la balance du côté du plus vulnérable ? Rien n’est moins sûr…
Enfin oui, bien évidemment, le code peut être une loi. Mais une loi bien particulière, celle des parties: “Pacta sunt servanda”;”Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits” (Article 1103 du Code civil). Notez que les termes “légalement formés” renvoient au contrôle par le juge.
On peut imaginer dans ce cadre une certaine automatisation des sanctions qui pousserait deux co-contractants à respecter les “bonnes pratiques commerciales” (au premier rang desquelles on trouve la ponctualité des paiements).
Car automaticité ne veut pas nécessairement dire injustice et certains litiges simples se règlent en donnant raison à “la partie la plus diligente”, celle qui a le plus “joué le jeu”. Voilà ce qui en mon sens peut advenir de plus proche de Code is Law: un contrat qui est élevé, même pour le juge, au rang de loi rendue auto-exécutante par le code.
Mais encore une fois attention, je parle de fonctions très simples, basiques, et identifiées en parties désireuses de délaisser la souplesse qu’offrent les relations contractuelles “classiques” pour au contraire se diriger vers la loi d’airain du Code auto-exécutant. À elles de peser le pour et le contre et d’agir en fonction de leurs intérêts mais nous sommes bien loins d’un Code englobant censé remplacer la loi…
Dans tous les cas, et ce sera ma conclusion, se soustraire intégralement à l’autorité judiciaire n’est ni simple ni neutre. Cette dernière aura toujours la volonté de s’assurer que “l’ordre public” est bien respecté, car après tout c’est sa raison d’être…
Nous touchons aux questionnements habituels des cryptos : jusqu’à quel point les états défendront-ils ces pans de souveraineté qui leur sont ôtés ?
En tout état de cause vous lirez encore dans la documentation de vos shitcoins favorites, même celles qui se veulent les plus décentralisées, des “mentions légales” plus ou moins bien dissimulées.
Avec toutes ces idées en tête difficile d’envisager un code qui se substitue efficacement à la loi. Pour autant les enjeux de la coopération entre les deux sphères, code et law, seront probablement centraux dans les décennies à venir.
Sur quoi cette coopération va-t-elle déboucher ? Peut-on rêver d’un système juridique qui se saisisse dès aujourd’hui de la question pour proposer un cadre attractif et innovant ? Pour aboutir à quoi ?
Je ne connais pas l’avenir. Je ne suis pas venu vous dire comment ça fini, je suis venu vous dire comment ça a commencé.
effectivement
le comique de répétition, celui qu'on préfère
Pfiouuu c'était pas facile à lire car tout est assez technique et vraiment dense en informations. Ça n'enlève rien à la qualité de la réflexion et au plaisir de te lire