Primo: Je suis vraiment pas fan de Pain of Salvation.
Deuxio: J'ai aimé malgré tout. Sincèrement. On dirait une histoire qu'on entend à la radio le temps de trois minutes commercialisées, et partie au vent avec la prochaine pub de savons pour chats. Rapide, bref, précis, mais là. Je crois saisir où tu veux en venir, et c'est ce qui fait le charme de ce texte. J'aime beaucoup la musicalité des textes, et tu maîtrises cet "art" qui a su me... (je dirais pas me toucher quand même ) disons me faire questionner sur bien des choses très intéressantes. Ce qui est très bien, bien entendu!
Vivement la souiteuh.
Merci aux lecteurs Je poste la suite ce soir.
Sinon, précision, on peut ne pas connaître Pain of Salvation et lire tout de même, c'est pas un truc réservé aux fans^^
J'ai lu. Pas grand chose à dire, j'attends la suite pour mieux juger.
Hello ! Ca faisait longtemps
J'ai aussi lu, et c'est vrai qu'on peut pas bien juger pour le moment, faut attendre la suite.
Par contre, j'ai beaucoup apprécié une phrase : "Même a deux, ça n’était que des mots, intangibles, écrits dans la fumée d’un coup de feu, crachés aux vents trop vite pour en saisir le sens. "
Ca me correspond tellement bien en ce triste moment
Première partie : I am crying unwept tears through this violence
Piste 1 : Used - Habitué
"They will bleed 'til I'm empty"
(Ils me saigneront jusqu'à ce que je sois vide)
La douleur. Une des premières choses qu’on apprend ici, la douleur. Ca, et s’y habituer. L’habitude vient seule, vite. Obligé ; s’y habituer ou mourir n’est pas vraiment un choix. Alors on s’habitue à la violence.
Il s’habitue à la violence. Tous les jours. Mécaniquement, machinalement. Ce n’est même plus un réflexe, c’est plus profond que ça. Assimilé. La douleur, c’est un sixième sens, un troisième bras. Une partie de la vie. On s’y habitue d’abord, on la recherche ensuite. C’est une drogue. Pire que le Paradis que lui vend.
Lui. Il n’est pas accro au Paradis. Il ne consomme pas ce qu’il vend. Heureusement. Il les a vus, il les voit tous les jours, ces anges camés jusqu’aux yeux, ces archanges défoncés qui salissent leur pantalon dès le matin, la bave leur recouvrant le menton. Il vend du Paradis, mais il n’ira pas chercher Dieu ; ne pas devenir un accro à cette merde est la seule chose qui lui donne l’impression d’être humain. Alors il n’est pas accro. C’est tout.
Enfin, pas au Paradis. Sa drogue à lui, c’est la violence. Difficile de faire autrement, cela dit.
Il est accro à la violence.
La douleur. C’est la première chose qu’il ressent, avant même d’ouvrir les yeux. Elle est là, diffuse, faible, lointaine. Présente, chaude, rassurante. Je souffre donc je suis. Il n’ouvre pas encore les yeux, pas tout de suite. La douleur lui parle. Elle lui explique la situation.
Le front en sang sur le trottoir.
Le bras engourdi.
Les côtes fissurées. La poussière sur sa peau. Les étoiles qui papillotent derrière ses paupières closes, la sueur sur ses bras, la crasse dans ses cheveux, le sang dans sa bouche les cris dans la rue le bras qui le tire la douleur qui reflue.
Il ouvre les yeux. Un visage est au-dessus du sien. Agité, nerveux, excité. Il sait pourquoi. Dans deux minutes, il sera comme lui, se laissera engloutir par un tourbillon de violence et la recrachera sur autant de personnes qu’il pourra. La douleur attend, quelque part, derrière ; pas loin.
— Bordel Sick, qu’est-ce qu’ils t’ont foutu ! Ca va mec ?
Il se relève, tirant la main que l’autre lui tend. L’autre, c’est Blood. Dans le monde qui est le leur, Blood et Sick sont ce qui se rapproche le plus de deux amis. Blood est surtout le lieutenant de Sick. Ca lui revient, maintenant : le Paradis, les deals, les gangs ; ils sont arrivés par surprise, les furets, l’ont tabassé à coup de batte, et doivent maintenant être en train de se battre avec ses gars, alertés par le bruit.
— Ca va, grogne-t-il.
Ce faisant, quelques gouttes d’hémoglobine jaillissent de ses lèvres fendues et disparaissent dans le trottoir. Il se regarde, vaguement intéressé. Son débardeur blanc est couvert de sang. Pas que le sien ; il se rappelle avoir planté un des furets dont le sang a giclé sur lui. Après, c’est le trou noir.
— Merde mec, t’es sûr ? Putain, t’es tout blanc ! et tu pisses le sang, putain ! Oh nom de Dieu, qu’est-ce qu’ils t’ont mis, les enculés ! Ca va ? Tu veux aller te planquer ? T’es sûr que tu peux tenir debout, mec ?
— Ouais… nan…
Il ne sait pas à quelle question il répond. Aucune importance. Il regarde autour de lui, ses yeux l’emmenant rapidement vers la rue (pas de flic ou de sirènes) et vers les terrasses (cris, bruits de luttes). Le ciel est bas, comme d’habitude, et plein d’un chaos de nuages sombres. Les immeubles décrépis tombent lentement en désuétude un peu partout dans la cité, crachant leurs gravillons sur des épaves de voitures, d’hommes et de femmes. La route est défoncée, et même les mauvaises herbes qui poussent dans les fissures du bitume crèvent assez rapidement. Dans cette partie d’Idioglossia, il n’y a aucune raison de ne pas crever assez rapidement. Même les glosses qui viennent tous les jours perdre le fric qu’ils n’ont pas pour caresser les cieux meurent souvent en repartant. Ou sur place, parfois, pour les plus impatients de se défoncer.
Sick passe une main sur son visage, dégage ses cheveux longs de son front, la redescend couverte de sang et de poussière.
— Merde Blood… Je crois que j’ai le front ouvert.
Sa voix est froide, sans émotion, sans aucune trace de la douleur qu’il devrait ressentir. Blood frissonne. Sick l’inquiète. Non, Sick l’effraye. Il parle, rapidement.
— Ouais Sick, je… j’crois aussi, merde ! Mais t’inquiète, ça va aller, on va t’emmener chez Needle, il va te réparer, putain j’te l’jure ! Et dès que j’srais rev’nu, j’irai éclater ces fils de…
— Nan… On va y aller tout de suite.
Il commence à marcher, manque s’étaler sur le trottoir sale, se rattrape à un lampadaire tordu. Blood court vers lui et lui passe un bras autour de la taille. Blood est un mec sympa, un peu paumé, toujours soucieux des autres. Blood est gentil. Blood n’a rien à foutre dans ce jeu. Alors qu’il le regarde d’un air qui semble solennel mais qui est plus proche de la neurasthénie, Sick sait que Blood finira tôt ou tard par mourir ici. Plus tôt que tard. Très certainement comme une merde.
— Merci, Blood. Emmène-moi là bas, dit-il en tendant son menton – ouvert aussi – vers les terrasses.
— Merde Sick, nan putain ! Tu vas y laisser la peau nom de Dieu ! On aura ces fils de putes plus tard d’accord, là faut que t’ailles te soigner… Bordel Sick, pas besoin d’être un héros aujourd’hui, personne attend ça de toi !
Il repousse son lieutenant – faiblement – et avance tout seul vers les combats. Il ne les voit pas – il lui reste une centaine de mètres de rue défoncée, puis il faudra tourner à l’angle de la 7e – mais il sait comment ça se passe.
Ca ne se passe pas. Tout ce qui pourrait sous-entendre la moindre organisation ou une quelconque cohérence est à bannir. Ce n’est pas un combat, ni une bataille rangée, encore moins une guerre des gangs ; c’est un mælstrom de violence à l’état pur qui se déchaîne là où il naît. Il y a des cris, des coups ; secs, rapides, irréfléchis : on frappe uniquement pour frapper. Le plus fort possible. Sans aller jusqu’à tuer, si la guerre n’a pas été officiellement annoncée. C’est la seule règle et, bien que tacite et souvent violée, elle concourt à assurer un semblant d’ordre dans la ville. Des mâchoires dont déchaussées, des rotules éclatées, des bras cassés en plusieurs endroits. Tandis qu’il s’en approche, Blood de nouveau à côté de lui, Sick voit tout cela en train de se dérouler. Deux bandes rivales se rentrant dedans, faisant pleuvoir les coups ; des corps de quatre-vingts kilos lancés à toute vitesse dans une mêlée excessivement brutale, des lames rouillées qui taillent l’air vicié, les vêtements sales et les peaux sèches ; de lourdes battes de base-ball qui s’abattent en claquant sur les os et les muscles ; les particules de sang qui volent en tous sens avant de recouvrir le sol, le rendant glissant et dangereux ; les poings ensanglantés qui s’écrasent sur des pommettes sanguinolentes, fissurant les os ; et puis les cris de rage, de haine, de peur, de douleur. Souvent, l’unique coup de feu tiré en l’air, appelant un silence lourd, pesant ; la douille qui s’écrase au sol, coulant dans le sang ; la fumée suspendue au bout du canon, signe que le combat est terminé. Aujourd’hui, c’est Sick qui le terminera.
— Attends, dit-il à Blood qui l’aide toujours à avancer.
Il fait quelques pas tout seul, plus assuré qu’il y a quelques minutes. Ca y’est, l’accoutumance à la douleur a fait son office, et la souffrance n’est plus qu’un picotement presque agréable. Elle le laisse vide, mais être vide à Idioglossia, c’est une bénédiction. Ca permet de ne rien voir et de ne s’attacher à rien. De ne pas avoir peur, de ne pas avoir de regrets ou de remords. Il est jeune, deale du Paradis depuis très jeune ; s’il n’était pas la coquille vide qu’il croit être, il n’aurait jamais passé la puberté. Des gosses de douze ans qui se prennent une balle – perdue ou non – il en a vu beaucoup. N’en a pleuré aucun. Pour survivre, mieux vaut être vide.
Sick se penche vers un 4x4, et laisse sa main glisser sur le pneu avant droit. Il prend le flingue qui y est posé et le coince dans son pantalon, et rabat son débardeur tâché par-dessus. Un sourire carnassier mais mal assuré éclaire la face de Blood, et les yeux de Sick se mettent à briller. Ca va faire mal.
— T’as de quoi faire ? demande-t-il à Blood.
Celui-ci promène un regard alentours, avise une barre de fer posée contre un mur, et court la chercher. Il la fait danser au-dessus de sa tête et la frappe contre sa paume.
— Ca va chier ! crache-t-il. J’aimerais pas être une pute de furet ! Cendres ! Youhou !
— Cendres, répète machinalement Sick en avançant vers les terrasses.
Il y a longtemps que le nom de son gang n’a plus une grande signification pour lui. Il est juste Sick. Personne. Une croûte sur une plaie de junkie, qu’on gratte frénétiquement tous les jours, la faisant toujours saigner, l’empêchant de jamais guérir.
Plus que quelques mètres.
Ils sont peu nombreux à se battre, dans la fosse. Elle est ceinturée d’immeubles aussi pourris que les autres du quartier ; sa piaule est quelque part là-dedans, dans cet amas de fenêtres sans vitres et de murs creux.
Les furets, comme toujours, ont presque tous des battes de base-ball. Elles pleuvent sur les cendres qui, bien qu’à nombre à peu près égal, ont du mal à ne pas reculer, lentement acculés contre un mur. De la plupart des fenêtres, des gens regardent, l’œil vide, désintéressés.
Sick et Blood s’avancent vers la fosse. La vue du sang qui couvre tout le monde et le bruit des cris ont ravivé le premier ; il n’est plus tout à fait vide, il est noir. En lui croît cette chose sombre qui plante ses griffes dans son cœur, ses mots dans sa tête, l’appelant à faire sienne la violence qui pourrit l’endroit. Son endroit. Ses poings et sa figure se crispent. Il s’avance, ralentit à côté d’un mec couché par terre, le bras droit plié vers l’extérieur. Il se penche vers lui, pose la main sur la batte de base-ball maculée qui gît à côté de sa main cassée.
— J’te prends ça.
Et, comme c’est un furet, il lui envoie son pied dans les côtes. Le bruit de craquement qui en résulte est immonde, et Blood pousse un petit cri étranglé. Deux furets et deux cendres l’entendent et se tournent vers lui. Ils considèrent, médusés, le garçon au débardeur poisseux, dont le visage pâle à moitié couvert de sang lui donne l’air d’un fou. Le type par terre s’est plié en deux en poussant un hoquet étranglé. Sick retire son pied, puis l’abat encore. Deux fois, puis trois, et une quatrième. Le furet est agité de soubresauts à chaque coup, et du sang coule de sa bouche et son nez.
— Putain, Sick ! souffle Blood. Merde, mec, ça va là, ça va ! Merde mec, ‘tain…
— Ta gueule, murmure Sick d’une voix creuse.
Il soulève la batte de base-ball avec une facilité qui le surprend, et s’avance vers les deux furets qui le dévisagent toujours, hébétés. L’un d’eux réagit enfin et court vers lui, sa trique levée à hauteur d’épaule. Il l’abat d’un geste puissant et meurtrier, que Sick esquive sans difficulté. Presque un pas de danse. Emporté par son élan, l’autre le dépasse. Sick lève son arme, et la lance vers le dos du furet. Un bruit sec et bref accompagne le choc et, alors qu’il tombe en avant, la tête du gars tourne comme pour fixer Sick de ses yeux grand ouverts. Il s’étale au sol, agité de spasmes nerveux, sa bouche s’ouvrant et se refermant sur un air qu’il respire difficilement.
L’autre furet s’enfuit. L’arrivée de Sick n’est pas passée inaperçue, et la moitié des personnes présentes ont la tête tournée vers lui. Un flottement. Ils hésitent. La violence, il la sent qui attend, tendue, retenue… canalisée. Un orage qui ne demande qu’à éclater. A lui d’en percer les nuages pour que s’abattent les gouttes noires. Quand il veut.
Maintenant.
Ca n’a pas duré longtemps. Les coups ont plu, comme toujours. Le sang a coulé. Comme toujours. Sick n’a même pas eu à sortir le flingue. Et puis les autres ont fuit. Certains sont encore là, inanimés, brisés ; d’ici peu, ils repartiront en boitant vers là d’où ils viennent. Les cendres les regarderont en riant, en se moquant. Quant à ceux qui ne peuvent pas repartir, ils ne repartiront pas. Des cendres s’occuperont d’eux, les emmèneront… Sick s’en fout. Il ne veut pas le savoir.
Pour l’heure, il regarde ses poings douloureux, ses phalanges recouvertes de sangs, ses ongles pleins de crasse. Il est seul dans la ruelle, assis contre un mur entre des cadavres de pneus et des morceaux de ferraille. Les larmes qui coulent sur ses joues sont comme une promesse de lendemain ; douces, agréables, elles le lavent de la saleté et du sang qui le recouvre encore. Evidemment, il sait que la promesse ne sera pas tenue. D’ailleurs, ce n’est sans doute même pas une promesse. Juste une illusion. Après tout ce temps, il n’arrive pas à s’en débarrasser. N’en a pas vraiment envie.
Un instant, le ciel s’éclaire, passant d’une nuance de gris à une autre. Sick essuie ses yeux et les lève, attendant un rayon de soleil qui ne vient pas. L’obscurité reprend ses droits sur la ville. Il fait beau, comparé à hier.
Il reste longtemps assis là, sans rien faire, sans penser à rien. De nouveau vide. Ca passera : les autres reviendront, les vicissitudes de la vie avec, il aura vite sa nouvelle dose de violence quand les victimes vexées chercheront à venger leur vanité vaincue. Non, il ne sera pas vide longtemps.
Ce soir, demain, ou dans une heure ; Idioglossia lui apportera bientôt son nouveau fix. Et, bien qu’il soit fatigué de cette violence, il s’y plongera à corps perdu. Encore. Et encore, et encore, et encore.
Si sa vie était une chanson, c’en serait le refrain.
Un miaulement plaintif le pousse à décoller la tête des briques. Devant lui, un chat – rachitique et décharné, pur produit glosse – lutte pour dégager sa patte d’un entrelacs de fils de fer. Sick s’avancer à croupetons vers lui et tend une main pour caresser ses poils rêches. L’animal crache et tente de reculer. Sick garde la main tendue.
— Du calme mon beau, je viens t’aider.
Les poils du chat retombent sur son dos, et ses babines redescendent sur ses petites dents pointues. Sick lui gratte le crâne et lui frotte le dos puis, habilement, le dégage du piège. L’animal fait quelques pas hésitant, sa patte blessée pliée sous lui. Le jeune homme se radosse au mur, et le félin s’approche de lui en dandinant. Sa petite truffe frémissante renifle la main gauche, puis une petite langue vient donner de rapides coups sur les doigts.
— Alors même toi t’es un vampire…
Le contact est assez désagréable. Sick ne se dégage pas. Quand le chat semble avoir fini, il le prend sur ses genoux et le caresse distraitement. Il n’est plus entièrement vide. Il a une pensée à l’esprit. Il veut la voir. Il a besoin d’elle, de sa présence, de son odeur, de sa chaleur...
Scar. Il veut la revoir.
Hop, je commente.
Pas grand chose à dire si ce n'est que j'ai bien aimé : l'univers me plaît, le style est agréable. Les phrases brèves("Quand il veut. Maintenant") donnent une certaine intensité, globalement c'est très emphatique (le passage sur les rixes entre clans, notamment), mais je m'abstiendrais de critiquer étant donné que je donne souvent dans ce style assez mélodramatique moi-même ^^
Oh putain ! Oh my god ! Gosh ! Damned
la suite !!!!!!!
J'aime bien. j'vais aller écouter l'univers musical, je serais peut-être un peu plus dans l'ambiance
Merci à vous trois d'avoir lu
Petit up avant le chapitre 2.
suite !!!!!!
Encore un texte basé sur Pain of Salvation ? Tant mieux. Putain, qu'est-ce que j'aime ce groupe.
Tu es assuré d'avoir ma lecture. En attendant un commentaire plus constructif, une fois que le texte aura un peu plus avancé.
Merci Tchang^^
Piste 2 IN THE FLESH
“We’re in this together
We share the same skin."
(“On est là-dedans ensemble,
On partage la même peau.")
Il y a sans doute de nombreuses raisons. Forcément ; on ne peut pas réduire deux être si complexes à un simple axiome, un unique postulat. Pas parce que ça serait faux, inexact ou erroné : juste incomplet. Pourtant, on aura beau explorer toutes les pistes, multiplier les hypothèses ou les théories, tout ce résumera toujours à ça : Sick aime Scar parce qu’elle est aussi abîmée que lui. C’est peu de le dire ; Scar est une épave. D’aucuns diraient que la vie ne l’a pas épargnée, d’autres qu’elle est née sous une mauvaise étoile. On se passe de ce genre de considérations : il ne brille aucune étoile à Idioglossia, et la vie n’y épargne absolument personne. Scar y a cru, pourtant.
Elle était heureuse, autrefois.
Il l’a été aussi, jadis.
Maintenant, ils sont ce qu’ils sont, ce que cette ville, ce monde, cette merde, l’entropie – appelez ça comme vous voulez – a fait d’eux.
Ca a fait de Scar une épave.
Il fait nuit. La nuit est le moment que Scar préfère. Celui qu’elle déteste le moins, surtout. Quand il fait nuit, les choses prennent un aspect différent. Les gens aussi. La ville n’est plus tout à fait la même.
Ce n’est pas une question de lumière, puisqu’il fait toujours sombre à Idioglossia. Pas non plus une question d’activités, puisqu’il n’y a là non plus pas vraiment de différences entre le jour et la nuit. Les dealers fourguant du Paradis, les junkies à la recherche d’un fix, les putes marchandant leur chair, les flics brillant par l’absence de leurs gyrophares et les clochards rampant au sol sont là dès le matin, et jusqu’au matin suivant.
Ce n’est pas non plus une question de choses à faire. A Idioglossia, pour elle, il n’y a rien ; rien qu’elle veuille faire, en tout cas. On la prend souvent pour une pute, surtout quand elle est avec d’autres ; on lui propose régulièrement une dose de Paradis, parfois en échange d’un bout d’elle-même qu’elle a déjà donné malgré elle ; le plus souvent, on l’ignore. Ca lui va très bien. On ne l’ignorait pas, avant, quand elle a débarqué parmi les putes et les monstres, à la recherche d’un abri, ses vêtements, sa coiffure, son visage – même sous le sang et les larmes – hurlant sans cesse qu’elle n’était pas de ce monde et n’avait rien à y faire. On l’a insultée, frappée, rejetée. Et puis on l’a regardée, comprise, acceptée. Façon de voir les choses. La plupart la tolèrent, une grande majorité s’en fout consciencieusement. Ce qui lui va très bien. Rapidement, elle a appris à n’être qu’une tâche parmi toutes celles qui collent aux trottoirs, un parasite stagnant, indifférent, parmi d’autres. Elle n’a jamais senti qu’Idioglossia était son monde, et ce n’est pas pour ça qu’elle en apprécie les nuits.
Si elle en apprécie les nuits, c’est simplement qu’elle n’est, justement, pas chez elle. Qu’elle a réussi à mettre de la distance entre la maison de ses parents et elle. La distance est grande, et la différence entre le monde qu’elle a fui et celui dans lequel elle s’est incrustée ne fait que l’accroître – pour le meilleur, espère-t-elle. Elle n’entend plus la voix de sa mère qui lui crie de rester, ne voit plus la main de son père sous le drap. La présence de ses parents, étouffante, a été remplacée par une absence générale, quasi-absolue, une solitude qui est pour elle une bénédiction.
Parfois, on a juste besoin de marcher seul.
Scar marche seule dans la rue vide, obscure, poisseuse et dégueulasse. Le trottoir absorbe ses pas qui ne produisent aucun écho entre les parois putrides et les planches pourries des immeubles morts. La rue – la ville – autour d’elle est l’incarnation même de la désolation : pauvre, sale, vaine – une chape de désespoir. Elle l’aime comme elle la déteste, se confie à elle comme elle s’en méfie. Ses pas la guident vers des lumières ternes – un brasero dans lequel survivent quelques flammèches, l’enseigne effondrée d’une boutique, les ampoules allumées ça et là dans les bâtiments – autour desquelles gravitent soupirs, cris, rires, insultes, promesses et menaces. De quoi, cela dépend.
Tirant machinalement les manches de son pull sur ses poignets encore douloureux, Scar avance à pas feutrés vers un groupes de silhouettes pathétiques agglutinées autour d’un brasero. Elle laisse ses cheveux sales lui tomber sur le visage, plonge les mains dans les poches d’un pantalon trop grand, courbe le dos et marche le visage baissé vers le trottoir craquelé. Au fur et à mesure qu’elle se rapproche des glosses, elle sent la chose tapie en elle, quelque par entre l’estomac et l’aine, se réveiller et peser sur son ventre. Pas tout à fait la peur, pas exactement la douleur. Un réflexe pour l’une, une réminiscence de l’autre. Sa langue vient crisser contre ses lèvres sèches et coupées, et elle met fin au flot inintelligible de pensées qui court dans sa tête.
Les voix connaissent une modulation alors qu’une herbe misérable prend la place du bitume sous ses pieds. L’intensité de rires diminue, celle de certains cris augmente. Ou le contraire. Puis d’aucuns la reconnaissent, d’autres l’ignorent. Elle s’avance jusqu’au feu, s’arrête dans l’ombre de Flesh, rendue grossière par les flammes dansantes.
Flesh ne dit rien, d’abord. Scar sent son hésitation. Jusqu’ici, elle n’a côtoyé l’imposante femme que quand celle-ci était seule ou avec celles qu’elle appelle ses filles. Elle se sont montrées exaspérées de sa candeur, de sa gaucherie ; puis, pour une raison que Scar ne s’explique pas vraiment, elles ont toutes fini par l’accepter. Flesh dit qu’elles l’aiment bien. Elle ne miserait rien là-dessus.
Flesh lui prend le menton sans ménagement mais avec toutefois une certaine douceur, écarte ses cheveux cuivrés d’une main, et passe un index sur ses lèvres encore couvertes de sang séché.
— Qui t’a fait ça ? demande-t-elle de sa voix de stentor.
Elle a parlé suffisamment fort pour couvrir la rumeur des conversations autour du brasero, et la douzaine de personnes ici présentes se tourne vers elle, puis regarde Scar. La lueur mouvante et orange danse sur le visage fin de la jeune fille, faisant ressortir de façon particulièrement sordide sa lèvre fendue, son œil au beurre noir et les deux sillons laissés par des larmes sur ses joues crasseuses. Même comme ça, les hommes et garçons autour du brasero réalisent qu’elle est bien trop belle pour que ce qui lui soit arrivé soit étonnant. Beaucoup se demandent ce qu’elle fout encore là, au milieu de glosses à moitié muets.
— Je sais pas, répond-elle doucement, baissant de nouveau la tête, mal à l’aise sous les regards. Des mecs… Ils voulaient une dose, je crois, et ils m’ont pas cru quand j’ai dit que j’avais rien sur moi, et... et… ils ont voulu vérifier.
Un type part d’un rire gras, que le regard meurtrier de Flesh éteint instantanément. Elle tire Scar par le bras, la fait avancer et s’asseoir sur une ruine de canapé orange. Elle disparaît de son champ de vision, aussitôt remplacée par des ombres ondulantes, puis réapparaît, pose une couverture sur ses épaules et une tasse dans ses mains.
— Bois, ordonne-t-elle d’un ton impérieux.
Scar s’exécute, grimaçant au moment où le liquide chaud se fraye un chemin dans les tranchées de sa lèvre supérieure. Quand elle a finit de boire, elle pose sans rien dire la tasse sur le canapé. Flesh entreprend de lui nettoyer le visage. Une autre fille, en minijupe et soutien-gorge, la gueule outrageusement maquillée, vient s’asseoir à côté d’elle. Ca doit être Blow, décide Scar sans vraiment s’en soucier.
— Arrête de bouger, lui intime la matrone en frottant sa joue sans douceur.
— Ca t’est arrivé où ? demande Blow en tripotant un pendentif en forme de sexe masculin qui lui pend autour du cou.
— J’sais pas, murmure Scar. Pas loin du parc, là…
Elle a un geste vague qui ne désigne rien et Flesh, agacée, attrape son bras et le lui pose sur les genoux.
— On t’a dit de pas traîner là-bas, imbécile. Dangereux, surtout la nuit. Tu cherchais quoi ? Un coin de ciel bleu ?
— Non ! proteste vivement la jeune fille. Non, je… Je sais pas, j’avais besoin d’être un peu seule, c’est tout… Je…
Elle ouvre et referme plusieurs fois la bouche. Regarde le ciel d’un violet ecchymose uniforme, les immeubles penchés et menaçants aux orbites vides et creuses, les grues crochues de chantiers interrompus crachotant poussière et gravats, les junkies et clochards glosses traînant d’un pas lourd et s’exprimant par gestes saccadés et onomatopées grossières, cherchant désespérément un nuage où se poser le temps d’oublier tous leurs soucis… avant de se les reprendre en pleine gueule. Tout ça… et rien d’autre.
— J’étouffe ici, des fois.
La réponse de Flesh est immédiate et n’exprime pas la moindre compassion.
— Ouais ben ça princesse, fallait y songer avant. Tu peux pas plonger plus bas que terre et espérer y trouver de la lumière.
Blow glousse sans relever la tête de son pendentif, et Scar n’ajoute rien. Elle laisse Flesh finir de lui nettoyer rapidement la figure et repartir vers le brasero. Son regard croise celui de la jeune prostituée assise à côté d’elle. N’ayant rien à lui dire, celle-ci continue de tripoter le phallus qui lui pend entre les seins.
Scar reste sur le canapé, les coudes sur les genoux, la tête entre les jambes. Sous ses yeux, une fleur pousse misérablement entre deux dalles de bitumes, sa corolle tournée vers une lumière qui ne lui arrivera jamais. Demain, après-demain, bientôt, elle sera morte. Scar l’écrase du pied.
Autour du brasero, les silhouettes sombres se sont resserrées autour de Flesh. Scar perçoit des bribes de conversations, des éclats de rires grossiers, des sourires carnivores. Et des regards, parfois lubriques, souvent méchants, toujours tournés vers elle. Au bout d’un moment, les hommes plongent les mains dans leurs poches, tendent quelque chose à Flesh, qui se dirige d’un pas décidé vers le canapé et vers une Scar anxieuse. Elle s’arrête face à elle et lui tend la main ; elle est pleine de billets froissés, sales, certains tâchés de sang.
— C’est… qu’est-ce que c’est ?
— Mes… amis ont quelques soucis avec les cendres qui dealent le Paradis aux terrasses. Moi je m’en approche pas. Alors tu vas aller faire nos courses, princesse.
Les grandes prunelles de Scar s’emplissent d’un désespoir qui va plutôt bien avec l’ambiance. Rapidement, ils sont humides et elle sent sa lèvre inférieure trembloter.
— Mais… Je peux pas aller là-bas, Flesh… Je peux pas, je peux vraiment pas…
D’un geste sec du menton, la matrone ordonne à Blow de dégager, ce qu’elle fait en sautillant presque gaiement. Flesh reste debout, toisant Scar de toute sa hauteur.
— Ecoute princesse, t’es bien gentille, et je t’aime bien, vraiment, mais va pas croire que ça veut dire que tu peux tout avoir gratos. On te nourrit, on te donne un coin où pioncer, on te protège, alors va falloir songer à le mériter maintenant. C’est pas tes airs de midinette d’ailleurs et tes grands yeux verts qui vont t’obtenir quoi que ce soit, ici.
Elle laisse à Scar une seconde pour assimiler le laïus, et conclut ce que la jeune fille vient de comprendre :
— Tu veux quelque chose de ma part, tu bosses pour moi.
Scar pleure, maintenant. Elle n’arrive pas à s’en empêcher, et sait que ça la fait paraître encore plus faible qu’elle ne l’est déjà – si tant est que cela soit possible. L’assurance de Flesh pue autant que son parfum méphitique.
— T’as deux façons de bosser pour moi, continue celle-ci. Tu rejoins les filles, tu fais partie de la famille. T’es nourrie, protégée, et avec ta gueule, ton cul et le reste, t’auras pas de soucis pendant un bout de temps. Ou alors, tu fais mes courses quand je te le dis. C’est l’un ou l’autre, poupée, et c’est pas vraiment négociable.
Scar avale bruyamment sa salive, s’essuie maladroitement le visage et relève pitoyablement les yeux vers la femme.
— Je peux pas, Flesh, je peux pas aller là-bas ! Je t’en prie, me demande pas ça… S’il te plaît ?
— D’accord. D’accord, c’est pas grave. D’accord.
Scar ne dit rien. Ne pense rien. Elle ne sait pas quoi dire ou penser. Elle a toujours trouvé que Flesh était quelqu’un de gentil – toutes choses égales par ailleurs –, mais la façon dont elle a capitulé la laisse perplexe. Et pour cause, puisqu’elle conclut d’une voix sans appel :
— Dans ce cas-là, t’as juste à me rembourser. La bouffe, le lit, les fringues. Vu d’où tu viens, t’as certainement un peu de fric non ?
Elle se remet à pleurer – silencieusement, cette fois – et garde la tête baissée pour que ses larmes demeurent invisibles. Au bout de ce qui lui semble une éternité, et sans relever le visage, elle tend une main devant elle. Le petit tas de billets froissés lui tombe directement entre les jambes, sur le canapé miteux.
— Et bouge-toi le cul, lâche Flesh avant de s’éloigner.
Je passais par hasard sur le forum et j'ai cliqué par hasard sur ce topic, et j'suis pas déçu du voyage. J'ai pas mal apprécié The Perfect Element - Part I du groupe Pain of Salvation alors quand j'ai vu que tu faisais un chapitre par morceau, j'ai été sensiblement atteint du besoin de découvrir ce que tu allais en faire !
Donc, pour commencer, je trouve ton style particulièrement adapté au monde que tu exploites, une sorte de taudis que l'on commence à bien connaître, qui devient presque un topoï des légendes urbaines pessimistes, comme on peut en voir dans "Substance Mort" de Philip K. Dick, ou pour varier les références, également dans Requiem for a Dream pour citer le plus connu des films du genre, ou encore Orange Mécanique pour citer le plus culte ; ça rappelle également Final Fantasy 7 et sa célèbre ville Midgar. De ce point de vue, on tombe dans quelque chose qui ne nous est pas étranger ; cette périphérie inquiétante où il semble ne pas y avoir d'histoires, où le monde semble vide ou plutôt rempli de ces choses détestables : violence, drogue, prostitution... La lie de la société en quelque sorte.
Ce qui est intéressant, c'est véritablement comment tu colles ce monde, tu le rattaches à l'effort du groupe Pain of Salvation dont il est question. Cet album n'est pas un prétexte à ton texte, non, il est une sorte de toile de fond qui est sans cesse régurgité par détails au premier plan, ne serait-ce que le nom de la ville, Idioglossia, cinquième morceau de l'album, ou encore le nom du gang de Sick, cendres (Ashes, 4ème morceau de l'album, avec des passages dont j'ai particulièrement hâte que tu en fasses la retranscription littéraire via ton interprétation).
Les deux personnages principaux me semblent parfaitement ancrés dans leur monde, bien qu'ils l'acceptent plus ou moins. Cependant, ils me paraissent fort archétypaux, ils sont des sortes de modèles un peu universels de personnages que l'on retrouve dans ce genre de récits. Une chose assez amusante c'est que Scar est malade (sick) de cet univers tandis que Sick semble très porté sur les cicatrices (scar). Il y a de l'un dans l'autre et vice-versa. L'inéluctabilité de cette histoire d'amour dont tu parles dans le prologue semble évidente. Comment cela va-t-il se dérouler ? La question je pense que c'est bien le comment qui va nous intéresser, en tout cas ça promet de beaux rebondissements, bien qu'en connaissant un peu l'album on se doute des moments forts et donc un peu plus du schéma narratif.... Ensuite, je pense que tout ton travail va reposer sur "comment être fidèle à l'album sans paraître prévisible". J'attends impatiemment la suite.
Et j'attends particulièrement la retranscription de ce passage merveilleux "As I walk to the ashes, you whispered my name...", qui devrait certainement te dire quelque chose !
Enfin, pour conclure, un grand bravo et un grand "je veux la suite !"
petite question : c'est quoi des "glosses"
Les habitants d'Idioglossia je suppose.
Les habitants d'Idioglossia, oui.
Un grand merci à Desolation pour son commentaire, ça fait plaisir et j'espère que tu liras la suite^^
"Une chose assez amusante c'est que Scar est malade (sick) de cet univers tandis que Sick semble très porté sur les cicatrices (scar). Il y a de l'un dans l'autre et vice-versa."
Rien que pour avoir remarqué ça, je t'aime quoi
Par contre pour Ashes, j'ai vraiment eu du mal avec ce chapitre/morceau, tu comprendras sûrement pourquoi.
Sinon aussi, j'ai pris quelques libertés avec l'histoire de l'album, mais globalement, c'est TPE et pas grand-chose d'autre^^.
Et encore merci de ta lecture
Je lirai la suite, promis !
Bon, ben en tout cas j'suis pressé de voir les libertés que tu prendras et les difficultés rencontrées sur Ashes. Et si tu m'aimes alors que je ne fais qu'arriver qu'est-ce que ce sera dans deux mois ... Remarque c'est pas comme si je venais pour la prmeière fois ici, j'ai des antécédents sur ce forum, The_Big_Monarch ça te dit ptêtre quelque chose... M'enfin osef après !
Bref, au plaisir de te lire à nouveau !
Bon, je suis incapable de sortir un commentaire aussi détaillé, mais vais être plus direct : j'ai beaucoup aimé. J'adore l'univers dépeint, le style est clair, sans fioritures, mais de bonne qualité.
je plussoie Desolation (et les autres ) pour ce chapitre. C'est juste magnifique et noir à souhait, et la suite se fait déja attendre