On n'ira pas jusqu'à affilier les écrans de jeu à des peintures dignes de figurer dans un vernissage, il ne faut pas exagérer non plus. Très souvent pourtant, au-delà de l'aspect contemplatif ou des parentés avec des peintres connus, on peut être frappé par la composition adroite de l'image. Certes, aucun écran ne dispose de la même richesse qu'un tableau "académique" : construction parfaite et orientée des lignes, utilisation précise de la couleur, travail sur la perspective, la lumière, multiplication des plans, ou que sais-je encore... Mais il y a souvent un début de quelque chose, un semblant d'agencement parfaitement réfléchi et malin, et des associations symboliques pas innocentes du tout. Dans ce sous-chapitre nous allons disséquer deux tableaux et voir ce qu'on peut en retirer. Ça va sembler parfaitement inutile à certains (et c'est vrai, pas besoin d'être un joueur attentif et passionné d'images pour profiter des environnements). Mais il est toujours intéressant de revenir sur une démarche visuelle et de comprendre à quel point rien n'est jamais laissé au hasard.
Prenons-donc le hall du château de Diadem, vaste intérieur s'il en est. On peut extraire 6 éléments importants et remarquer qu'ils sont tous liés entre eux :
En entrant dans la zone, on est tout de suite attiré par le dragon blanc (1). Il représente les chevaliers du royaume. Justement, il y en a deux qui l'entourent (2). En fait, l'objet est situé précisément à la verticale de la porte du roi (3), et il incarne moins une mascotte que la présence du monarque lui-même. Les deux gaillards auraient pu se mettre de chaque côté de la porte mais ici, ils veillent indirectement sur leur maître. De chaque côté des escaliers, deux tableaux couvrent les murs (4). Leurs cadres entourent des formes vagues et sombres, qui ne renvoient aucune lumière. Ce sont des portraits très anciens, donc des personnes certainement mortes, impression renforcée avec les urnes qui entourent chaque tableau (5). On suppose immédiatement que si ces figures et leurs cendres ont droit de cité dans le hall du château, c'est qu'il s'agit d'anciens chevaliers qui ont offert leur vie au roi. Nous savons que le dragon blanc a lui aussi existé puis disparu, avant de devenir une légende. Ces chevaliers et le roi qu'ils devaient servir à l'époque (Ladekahn, le monarque actuel, est encore un enfant) font donc partie d'une même dimension : celle du passé. Il s'agit autant d'un hall que d'un mausolée. Dernière partie du décor qui interpelle : ces grands rideaux de nuages qui descendent et s'épanchent sur les murs (6). Ils représentent une baie ouverte sur l'extérieur et ouvre ainsi considérablement l'espace. Si les tableaux sont des volets fermés sur la nuit et la mort, ces étranges peintures vivantes, insérées à même l'architecture du bâtiment, sont des fenêtres ouvertes vers le ciel ensoleillé. Elles incitent à s'élever, à quitter ce rez-de chaussée pesant et morbide.
La construction de l'image confirme cette impression. Il y a clairement deux lignes qui joignent le point d'entrée de Sagi aux rideaux de nuages. Ces droites sont parallèles aux escaliers supérieurs, lesquels permettent de quitter définitivement les lieux. Le mouvement vertical des voûtes de fumée attire naturellement l'oeil sur les portraits des chevaliers. Il y a un renvoi d'ascenseur puisque la masse de nuages fait penser à une sorte de paradis où résideraient ces personnages illustres. La sortie vers l'appartement du roi, cette grande porte marquée par une croix, se trouve logiquement au centre de l'écran. Elle est renforcée par la ligne de fuite d'un triangle composé par le dragon blanc, les deux soldats et le bas des escaliers inférieurs. Les deux chemins principaux sont donc parfaitement mis en évidence.
Allez, un autre écran et cette fois-ci l'intention inverse, à savoir brouiller les pistes, avec la plus tordue des zones de la jungle Holololo. Je vous mets au défi de trouver comme ça, simplement en regardant le screenshot, quel est le chemin pour joindre le Sagi du bas à celui du haut :
Vous n'y arrivez pas ? La réponse, marquée par un trait rouge :
Cette écran joue énormément avec son point de vue quasiment à la verticale. D'abord, il est possible de passer sous trois voûtes végétales (1, 2 et 5). Mais surtout, il y a bien deux zones situées à des hauteurs différentes ! La 3 est plus basse que la 4. Regardez bien les contours et les ombres, ça finit pas devenir évident. Le haut du simili pont (5) doit être le point culminant de la carte. Mais il y a encore un piège puisqu'on ne peut pas passer en dessous, et qu'il faut faire le détour par le haut, derrière les grandes fleurs. C'est une zone infernale quand on doit l'assimiler les premières fois (en plus, il faut alors courir après un singe bien chafouin !). Les graphistes de Monolith ont cependant réussi là une jolie peinture en trompe-l'oeil, avec finalement peu d'astuces et un dessin malin. Il y a d'ailleurs dans le titre des passages qui utilisent d'autres genres de tromperies optiques.