Voilà probablement une expression qui va souvent être ressortie dans cette compilation de biographies, mais voici encore une légende vivante pour de nombreux joueurs et développeurs. Sa renommée, John Carmack la doit à ses talents de codeur prolixe et à son énorme contribution à un genre bien précis : le FPS.
Né en 1970 au Kansas, il se prendra vite de passion pour l'informatique et abandonnera ses études pour devenir programmeur en freelance. Embauché par la société Softdisk, il fait là la connaissance d'un autre grand bonhomme aujourd'hui un peu tombé en disgrâce suite à ses excès, John Romero. Avec sa nouvelle bande de copains, dont Adrian Carmack (aucun lien de parenté, on ne le dira jamais assez) ils conçoivent leur premier jeu, Commander Keen qui sera distribué en shareware*. Enthousiastes, les deux Carmack et Romero plient bagages pour aller monter leur propre boite, Id Software. Pour la petite histoire, beaucoup se demandent comment prononcer le "Id" et également quelle en est l'origine. L'une des explications (il y en plusieurs en fait) veut que le terme soit emprunté à la psychanalyse. Prononcé "ide" sans accent, le id - qui doit correspondre au Ca en français si je me souviens bien - est relatif au principe de plaisir. Il est ce qui nous pousse à toujours rechercher ce qui est bon pour nous, quelques en soient les conséquences, c'est la seule composante de la personnalité d'un bébé qui sera ensuite jugulée par le Moi et le Surmoi et... oui enfin bref on s'en fout mais finalement vous voyez que le FPS ce n'est pas qu'un milieu de gros boeufs l'air de rien. Ah, ah !
Chez Id, Carmack va très vite faire la démonstration de son immense talent de codeur avec Wolfenstein 3D, la suite d'un jeu d'action du même nom (cf cette news oldies). Romero pour sa part est plus un adepte du design et de la mise en place d'un univers. Je ne reviendrai pas sur la polémique autour de la question "quel a été le premier FPS", je l'ai déjà fait (toujours ici), ce qui nous intéresse ici, c'est surtout de constater la qualité du résultat final, car premier ou pas, Wolfenstein est en tout cas le mieux réalisé et tourne sur un moteur 3D entièrement conçu par Carmack qui vit dans un monde fait de lignes de code. Lui aussi sera distribué sous forme de shareware par le label Apogee. Tout autant que par son aspect ludique ou technique, le jeu fera parler de lui par son univers très violent et politiquement incorrect. Le joueur évolue dans un château fourmillant de nazis et de portraits d'Hitler. On accuse alors le titre de faire l'apologie du nazisme, ce qui est parfaitement absurde, le but du jeu étant de s'évader du château, pas de filer un coup de main à l'Allemagne Nazie. Une vision du jeu vidéo tronquée, déformée et sans une once de réflexion fait déjà son apparition dans les yeux du grand public. Et oui, "il y a des choses que rien ne bougent" comme dit l'autre.
En 1993 arrive la consécration avec Doom à côté duquel Wolfenstein fait déjà figure d'antiquité obsolète. Carmack va de plus en plus loin pour donner une base software puissante aux designers (Romero en tête), les textures sont plus détaillées, les modèles de personnages également. Bien sûr c'est toujours aussi violent, même si cette fois, ce sont des démons de l'enfer que l'on expédie ad patres.
Prochaine étape, le "tout 3D" et l'influence considérable sur le phénomène des mods avec l'avènement de Quake. Toujours au top du top, Carmack remet le couvert en pondant un nouveau moteur 3D. Entre-temps, Romero s'en est allé vivre de nouvelles aventures pour le moins épiques avec Ion Storm, mais c'est une autre histoire. Avec Quake en 1996, on passe à la vitesse supérieure, ici tout est en 3D, personnages et armes compris. C'est la réponse idéale au concurrent né des studios 3d Realms, Duke Nukem 3D qui a le mauvais goût de ne pas exploiter un moteur né de Id. Car rapidement, Id va se faire une spécialité de la revente de ses technologies et voilà bien pourquoi Carmack joue un rôle central dans toute cette affaire. On pourrait presque dire qu'Id se contrefiche que ses jeux lui rapportent de l'argent ou pas, son business, c'est la vente de moteur 3D à des développeurs qui n'ont ni l'envie ni les moyens de passer 1, 2 ou 3 années à concevoir cette base indispensable. Et avec son nouveau né, Carmack a de quoi séduire. Outre les possibilités techniques, l'autre gros point fort de la création d'Id réside dans la "vue souris", la caméra étant contrôlée par la souris de manière omnidirectionnelle et fluide, à 360 degrés. Auparavant, les FPS n'avaient ni haut ni bas. Quand on dit que les FPS doivent plus qu'un peu à Id, vous voyez à quel point c'est vrai.
De plus, Id va tout faire pour démocratiser la conception de niveaux sur ses jeux en optant pour l'open source et en donnant librement accès à tous les paramètres qui permettent de bidouiller le jeu. On voit aujourd'hui les répercussions de cette décision qui vont d'ailleurs s'appliquer de manière éclatante sur un jeu qui a précisément recours à un moteur Id : Half-Life.
En dépit de la sortie de l'excellent Quake 2, la créativité d'Id, du strict point de vue ludique, ne va pas vraiment aller en s'arrangeant. Après des débuts très prometteurs et tournés vers la nouveauté, on finit par réaliser que les FPS des pionniers sont loin derrière ceux des petits nouveaux qui cherchent à faire évoluer le genre (scénario, scripts de mise en scène, emprunt au RPG etc). Conservant la tradition du "run and gun" et n'apportant que peu de nouveautés à un genre qui a su se diversifier. Même Doom 3 misera plus sur son ambiance mais frappera surtout par sa technique... Carmack fait du code, et il le fait divinement bien. C'est tout ce qu'on lui demande.
* Shareware : le principe du shareware consiste à distribuer un jeu gratuitement mais souvent incomplet ou limité en encourageant les joueurs à payer la licence pour soutenir les développeurs ou simplement débloquer le jeu. L'adoption de cette idée à fait passer les gens d'Id Software pour des idiots dans le milieu... elle fut surtout un moyen imparable de répandre leur jeu comme un virus. On rigole moins maintenant.