Déjà adapté plusieurs fois en jeu vidéo, le célèbre roman de Jules Verne Le Tour du Monde en 80 Jours est de nouveau la source d'inspiration principale d'une aventure virtuelle autour du globe. Inutile de faire vos valises, vous n'aurez besoin que d'un smartphone ou d'une tablette pour sonner le départ d'un fascinant voyage.
A l'instar du roman, 80 Days débute par le pari fou de Phileas Fogg qui souhaite réaliser un tour du monde en moins de 80 jours. Vous êtes Jean Passepartout, le nouveau valet au service de Fogg et en tant que tel, vous êtes enrôlé d'office dans l'aventure. Plus que cela, votre patron vous confie la trésorerie de l'expédition. Il s'en remet également à vous pour toutes les décisions stratégiques quant aux meilleurs itinéraires à emprunter pour accomplir cette incroyable expédition. Londres sera donc votre point de départ mais aussi votre destination finale avec entre temps des escales aussi courtes que possibles là où votre bon sens vous conduira. La première étape est imposée, c'est vers Paris que vous vous dirigerez non sans avoir au préalable préparé vos affaires. Sans trop savoir quoi emporter pour un tour du monde, c'est un peu au hasard que vous placerez quelques habits et quelques objets dans votre valise avant de réellement débuter le périple.
Plus loin que la nuit et le jour (voyage, voyage)
Le voyage entre Londres et Paris permet de se familiariser rapidement avec ce qui sera le cœur du gameplay de 80 Days : la lecture. S'il fallait ranger le titre dans une catégorie, ce serait le genre des livres interactifs qui serait choisi mais un peu à défaut, car 80 Days est plus qu'un simple livre, puisque le lecteur influe réellement sur la suite du récit en imposant ses décisions à intervalles réguliers. Ici, les décisions se multiplient à un rythme parfois surprenant et le plus fort dans l'histoire, c'est que le texte parvient toujours à garder une cohérence avec les décisions prises en amont, et parfois bien en amont. Il est important de prévenir que le jeu est malheureusement en anglais, ce qui fermera les barrières aux joueurs qui ne maîtrisent pas la langue. Un bon niveau en la matière est d'ailleurs requis pour profiter pleinement de l'aventure et ne rien rater de sa richesse. En effet, le voyage est plein de surprises et réserve autant de belles rencontres que de multiples imprévus sur la route. Le récit propose aussi son lot de petites histoires secondaires, comme autant de fenêtres sur les différentes cultures visitées. Et elles seront nombreuses, ces cultures. Le jeu fait ainsi du bon boulot pour trouver des angles intéressants en évitant les clichés. D'une certaine manière, le voyage est donc autant géographique qu'historique.
Précisons qu'un filtre steampunk est appliqué à l'histoire de 80 Days, c'est-à-dire qu'il est possible de monter à bord d'un train capable de naviguer sous l'eau, de monter sur le dos d'un éléphant mécanique, ou de croiser des artificiers en train de préparer une troupe de fantassins automatisés. Très léger, ce filtre n'influe en rien sur l'histoire principale. Bien au contraire, il nous plonge d'autant plus dans un monde à la fois unique, mais également étrangement familier. L'immersion est clairement le point fort de 80 Days. Le titre ne propose aucun décor grandiose, pas de panoramas exotiques, juste quelques portraits sommaires et dessins stylisés des moyens de transports utilisés. On a également droit à la représentation d'un monument emblématique pour symboliser la position actuelle, par exemple la statue de la Liberté à New York ou le Sacré-Cœur à Paris. Qu'à cela ne tienne, même avec si peu, 80 Days nous entraîne sans difficulté dans son aventure et il faut avouer que l'on a parfois du mal à quitter la partie. La musique aide également beaucoup à sentir cet élan d'aventure qui nous entraîne dès le départ.
Une multitude de choix
Pour ce qui est de l'aspect jeu, on l'a dit, c'est sur les décisions que repose la partie. Une part de stratégie intervient alors à ce niveau. Faut-il ainsi privilégier un itinéraire plus court mais plus coûteux à un voyage plus long, mais aussi plus économique ? Les fonds donnés au départ s'épuisent assez vite, mais il est toujours possible de faire un tour à la banque pour effectuer un retrait. Ceci dit, cela se paye indirectement par une escale forcée. En effet, chaque retrait bancaire implique de rester sur place durant quelques jours, le temps que l'argent puisse arriver de Londres. Le nombre de jours dépend directement de la somme voulue. Du coup, est-il vraiment rentable de récupérer une grosse somme d'un coup mais d'attendre jusqu'à une semaine que l'argent soit là, sachant que l'on risque alors de rater le départ d'un bateau ou d'un train qui aurait pu nous mener ailleurs, vers d'autres villes et d'autres possibilités ? Au total, 80 Days comprend plus de 140 destinations à découvrir, et il sera impossible de les visiter toutes du premier coup. En fait, il sera même difficile de boucler son tour du monde en temps et en heure dès sa première tentative. Mais pas de soucis, Fogg sera partant pour retenter l'aventure dès que possible et vous garderez alors de précieuses informations glanées durant la partie précédente.
Par exemple, les différentes routes maritimes du Pacifique ou les routes ferroviaires d'Asie seront déjà débloquées. Lors de votre premier voyage, tout cela devra être découvert, soit en achetant des plans au marché, soit en faisant quelques recherches en ville, soit en discutant directement avec d'autres passagers. L'improvisation, si elle a sa place durant le voyage, n'est malheureusement pas possible pour choisir sa route. Vous ne pourrez voyager qu'en ayant découvert une route reliant deux villes. Et une fois cette route découverte, il ne faudra pas louper le départ. En effet, hormis durant les phases de lecture, l'horloge défile continuellement durant la partie, ajoutant une part de pression à la réflexion. Que faut-il faire en débarquant dans une nouvelle ville ? Est-ce raisonnable de s'attarder au marché dans l'espoir de trouver un objet que l'on pourra revendre plus cher à l'autre bout du monde ou au contraire vaut-il mieux vérifier les horaires du prochain départ ? Peut-être est-il plus malin d'explorer la cité pour en apprendre plus sur la suite du voyage ? Encore une fois, tout est question de choix, et c'est ce qui fascine dans le jeu. A aucun moment on ne sent le titre nous prendre par la main. Au contraire, on se sent totalement maître de son expédition et donc responsable du résultat final. Bien sûr, Fogg et Passepartout ne seront jamais à l'abri d'imprévus comme une mutinerie à bord d'un bateau, ou un moteur qui lâche en pleine traversée, mais c'est aussi ça qui fait le charme de l'aventure !
Quelques accrocs durant le voyage
Aussi réussi que 80 Days puisse être, il est également porteur de défauts vraiment gênants à commencer par l'absence de clarté dans l'interface de jeu. Un simple tutoriel aurait suffi à mieux expliquer la signification et l'utilité de chaque icône. Les débuts consistent donc à deviner le résultat de chaque action. Un manque de clarté est aussi notable lorsque le titre nous indique notre état ou notre niveau relationnel avec Phileas Fogg. Le titre n'explique jamais les répercussions de notre niveau d'entente avec Fogg. Par moment, il nous tient au courant de l'évolution des choses ("votre relation avec Fogg est tendue") mais on ne sait pas ce que cela signifie réellement. Enfin, alors que l'écriture est toujours d'un haut niveau durant le voyage, les conversations brisent durement l'immersion. Passepartout peut ici choisir des sujets qu'il souhaite aborder en espérant par exemple en apprendre plus sur le commerce d'une ville ou sur les moyens de rejoindre une destination. Malheureusement, les réponses obtenues sont souvent farfelues. Demandez à un chef de gare s'il est possible de rejoindre la Nouvelle Orléans en passant par San Francisco, il vous répondra que des bougies parfumées se revendent bien à Acapulco. Demandez-lui ce qu'il sait sur Vladivostok, il vous remerciera pour le temps pendant lequel vous lui avez parlé. Ces discussions n'ont parfois ni queue ni tête et brisent systématiquement l'implication du joueur qui espère du coup soutirer quelques informations sans trop savoir comment s'y prendre.
Puisqu'il serait dommage de conclure par des points négatifs, terminons en citant quelques bonnes idées qui n'ont pas réussi à trouver leur place dans le texte. Par exemple, le jeu prend en compte la santé de Phileas Fogg. Un voyage dans de piètres conditions ou une nuit passée à la belle étoile grignotera un peu de santé au personnage et il faudra soit vous occuper de lui, soit trouver un hôtel pour restaurer ses forces. Trop faible, Fogg ne pourra pas poursuivre l'aventure, et sera obligé de se reposer quelques jours, ce qui fera perdre du temps précieux. Quelques objets peuvent aussi aider à rester en bonne forme. C'est le cas d'un chaud manteau qui aidera durant la traversée de la toundra russe. L'autre bonne idée, c'est que le jeu affiche la position des autres joueurs sur le globe. On peut ainsi voir où sont les autres aventuriers et même connaître leur compteur de jours. C'est toujours étonnant de voir comment se débrouillent les autres et on se demande systématiquement comment ils sont arrivés si loin dans leur voyage en si peu de temps. Leur progression se trouve même être l'une des clés de notre motivation pour repartir à l'aventure dès que possible en essayant de faire mieux qu'eux. L'autre motivation est bien sûr celle de découvrir d'autres villes, d'autres histoires.
Points forts
- Une écriture maîtrisée qui s'adapte en permanence à nos choix
- Le joueur est toujours consulté pour guider l'histoire
- Des choix parfois cornéliens
- De nombreuses situations inattendues
- La réalisation. Sobre et classe
- Les autres joueurs apparaissent sur le globe
Points faibles
- Un manque d'explications au départ
- Les discussions souvent sans queue ni tête
- Un bon niveau d'anglais est requis
Sans déployer beaucoup d'artifices, juste par le pouvoir de l'écriture, 80 Days nous propose d'embarquer dans un grand voyage autour de la Terre, riche en péripéties et en rencontres mémorables. L'implication du joueur est toutefois maintenue constante grâce à de nombreux choix qu'il lui faudra effectuer pour tenter de boucler à temps cette folle course intercontinentale. A mi-chemin entre livre et jeu de stratégie, 80 Days se montre réellement surprenant mais attention, il ne livrera ses charmes qu'aux anglophones avertis.