Situations cocasses, personnages attachants et crafting, cela fait maintenant plus de 16 ans que la série initiée par Mari No Atorie se fait sa place dans le monde des jeux vidéo. Un fin mélange de RPG et de visual novel dont on accueille le nouvel opus.
Comme chaque printemps, la série des Atelier voit débarquer un volet inédit en Europe. Et comme beaucoup de séries annuelles, les Atelier ont parfois du mal à évoluer, utilisant la même base et la même structure de trame en y apportant seulement quelques modifications plus ou moins prononcées. Autant être sincère, j'étais à peu près persuadé que les p'tits gars et filles de chez Gust Co. attendaient la nouvelle génération de consoles pour vraiment peaufiner leur bestiau, surtout que l'épisode du jour, Atelier Escha & Logy (E&L), s'inscrit dans le même univers que le précédent opus Atelier Ayesha. Ca laissait peu de place à un changement d'architecture. Et pourtant, autant le dire tout de suite, Atelier E&L est pour moi le meilleur épisode auquel j'ai pu toucher, en sachant toutefois que ma culture Atelier commence seulement avec la PS3.
Retrouver son Logy
Pourtant, E&L s'inscrit dans la même structure de gameplay : dans un temps limité, vous devez utiliser l'alchimie et le combat au tour par tour pour réussir des missions et répondre à des requêtes. Partir à la cueillette, ramasser ce qu'il faut tout en combattant des monstres, mélanger les ingrédients dans son chaudron tout en veillant au temps qui passe, ce volet impose comme tous les Atelier une parfaite organisation. Le changement, il n'est pas instauré par la présence de deux personnages jouables non plus. Entre Logy, le citadin qui découvre le village champêtre de Colseit, et la régionale de l'étape Escha (lire Eska), maladroite et naïve comme à peu près toutes les précédentes héroïnes de la série, le choix n'a que peu d'influence, même si des différences scénaristiques se font ressentir. Peu importe qui vous décidez de contrôler en début de jeu, les deux personnages font partie de l'aventure. Quant à l'univers, il est lui aussi très connu puisque situé dans la même région que Atelier Ayesha. On y retrouve donc beaucoup de personnages, comme par exemple Marion, toujours mécontente de ses conditions de travail, la magicienne Wilbell qui a bien du mal à garder son secret ou encore Nio, la sœur d'Ayesha. Bref, nul doute qu'on est bien dans un Atelier de la plus pure espèce.
Des raisons d'avancer
Mais voilà, l'équipe de Gust Co. a travaillé d'arrache-pied sur un élément essentiel : le game design. Et notamment sur la carotte qui fait avancer le joueur. Dans E&L, les deux héros viennent tout juste d'être enrôlés dans une branche du Frontier Special Bureau Investigation, un organisme qui enquête sur les événements aux alentours de Colseit, entre autres joyeusetés. Sous la coupelle de Marion, vous allez donc effectuer une série de missions sur une période donnée de 4 mois. Chaque fois, vous avez une mission principale qu'il est plus qu'important de réussir, et 24 missions annexes qui s'approchent beaucoup plus de ce qu'on peut appeler des achievements. Cela dit, si 8 des missions annexes vous sont indiquées au début, seule la réalisation de l'objectif principal permet de connaître l'intitulé des 16 autres. Rien ne vous empêche de réussir les missions dont l'intitulé n'est pas encore indiqué, un peu au hasard. La carotte ici se situe bien évidemment dans les bonus gagnés lorsque vous réussissez chacune des missions. Non seulement elles font monter votre rang, mais les 9 centrales (qui comprennent la mission principale) forment une sorte de carte bingo. En réussissant une ligne, une colonne ou une diagonale de trois missions, vous débloquez un bonus supplémentaire qui peut aller de l'obtention d'un livre de recettes à des boosts de caractéristiques, par exemple. Même si ce n'est pas obligatoire, réussir les 25 missions de la carte avant la fin du temps imparti octroie un gros bonus.
L'intérêt ici vient principalement des types de missions que l'on vous propose. Tuer tel ou tel monstre, visiter telle zone, crafter un objet spécifique (ou avec un effet prédéfini), ces missions ont pour but de vous inciter à explorer toutes les ficelles d'Atelier E&L tout en vous donnant une raison d'avancer. Petite épreuve par petite épreuve, on a du mal à décrocher. Très tôt, on apprend à essayer de réunir les objectifs afin d'optimiser les voyages et actions. Etant donné qu'en déplacement hors de la ville (et en alchimie) pratiquement tout ce que vous faites vous coûte du temps, il vaut mieux éviter les allers-retours inutiles. Des choix qui dépendront aussi de vos talents en combat. Vu que vous êtes limité en nombre d'objets équipés à chaque voyage, il n'est pas impossible que vous soyez obligé de rentrer plus tôt que prévu parce que vous n'avez plus de quoi vous soigner, gâchant ainsi de nombreux jours. Quand on sait qu'en finissant plus tôt, on peut gagner 15 jours de plus pour le contrat suivant, mais que finir plus tard peut nous faire perdre des points de rang, on est d'autant plus prudent.
Chaudron magique
Bien entendu, les deux éléments de gameplay les plus importants restent l'alchimie et l'exploration. Pour les premiers, on ne change pas une équipe qui gagne. Chaque recette demande un certain nombre d'objets (achetés, gagnés, trouvés sur des monstres, créés via alchimie ou ramassés au sol pendant l'exploration) dont les caractéristiques influent sur la qualité du produit final. Chaque ingrédient possède une ou plusieurs caractéristiques élémentaires parmi quatre (feu, eau, vent, terre) qui permettent de déclencher des bonus sur la synthèse de l'objet final. Mais ces mêmes ingrédients possèdent des traits, des propriétés et des effets qui auront aussi une véritable influence sur la synthèse, ce qui complexifie déjà grandement les choses. Toutefois, il ne s'agit encore que de la surface de l'iceberg : chaque objet dans la synthèse dépense des CP qui correspondent généralement à votre niveau d'alchimie +10. Ainsi, si vous pouvez en théorie utiliser des objets de n'importe quel niveau, vous pouvez vous retrouver limité par votre propre niveau.
C'est ici qu'interviennent les Alchemy Skills, que vous pouvez utiliser au moment de la synthèse : les caractéristiques élémentaires des ingrédients vous servent aussi à activer des compétences offrant des bonus sur la qualité de l'item, ou une réduction du nombre de CP utilisés, par exemple. Ainsi, vous serez souvent en face de dilemmes lors de vos synthèses : est-ce que j'utilise cet ingrédient d'élément Terre qui déclenchera un bonus sur mon objet ou plutôt cet autre ingrédient d'élément Feu, qui me permettra d'obtenir 10 CP supplémentaires et ainsi d'utiliser des objets de meilleure qualité pour ma recette ? Complexe et subtil, ce système d'alchimie est à lui seul une très bonne source de motivation, même s'il ne faut pas oublier que chaque synthèse prend un ou plusieurs jours à effectuer. A noter que Logy débarque avec un système d'imprégnation d'armes et d'armures, qui lui offre la possibilité d'ajouter des effets d'objets directement dans l'équipement choisi.
Attends ton tour !
En phase d'exploration, le gameplay est tout autre. En visitant les zones map par map, vous devez à la fois faire du gathering (ce qui prend en général une demi-journée) et veiller à éviter ou à combattre les monstres présents. Dans le cas où vous êtes téméraire, vous découvrez un système de RPG au tour par tour relativement classique très proche des précédents épisodes. Une timeline à la Final Fantasy X vous permet de savoir l'ordre des tours. Si vos d'attaques tournent souvent autour du triptyque attaque / objet / skill, deux particularités supplémentaires sont à noter. La première est le système de support qui permet d'utiliser une jauge pour faire des attaques en plus ou pour protéger un allié, atténuant ainsi la force du coup. Bien que cette jauge se remplisse à chacune de vos actions (notamment l'utilisation d'objets), elle est loin d'être infinie et il faudra parfois se passer de support offensif pour être sûr d'avoir de quoi défendre un perso en difficulté.
L'autre particularité concerne le placement de vos alliés. En combat, vous contrôlerez jusqu'à six personnages à la fois, que vous pouvez placer en avant ou en retrait, mais aussi de façon latérale autour des monstres. Bien qu'être en arrière permet d'éviter de prendre de gros dégâts, un personnage en retrait qui fait un Support Guard pour un personnage à l'avant changera de ligne. De plus, il est à noter que les monstres ont tendance à attaquer un perso en face d'eux, surtout si celui-ci est le dernier à l'avoir attaqué. Beaucoup de choses à prendre en compte pour un système plus complexe qu'il en a l'air de prime abord, sans pour autant s'avérer particulièrement innovant. Petit écueil tout de même, la puissance des attaques de zone rend souvent, comme à l'accoutumée dans la série, les attaques contre un seul ennemi plutôt obsolètes pendant une grande partie de l'aventure. Il reste sans doute un problème d'équilibre à ce niveau-là histoire de varier les options.
Promenons-nous dans les bois
Concernant le reste de l'exploration, la plupart de vos actions remplissent une jauge qui permet de déclencher des Field Events. Ces derniers octroient des bonus variés (obtention d'une relique, collecter tous les objets d'une map, augmenter la qualité de la cueillette, découvrir une recette, etc.) et permettent de rendre bien plus intéressantes des phases qui pouvaient s'avérer rébarbatives dans les précédents opus. Même si la structure des maps reste informe et que les phases d'exploration se ressemblent, ces Field Events retiennent un peu mieux l'intérêt du joueur pendant ses récoltes. Pour le reste du système, les montées de niveaux en combat (complètement indépendant du niveau d'alchimie) permettent de débloquer de nouvelles skills de façon automatique. Tout comme pour les skills d'alchimie, il n'y a pas d'arbre de compétences. D'un côté, ça simplifie les choses, mais de l'autre, les adeptes de customisation seront tout de même un peu déçus. Comme quoi, la série des Atelier a encore de la marge pour évoluer.
Bla bla bla
Une marge pour évoluer, c'est aussi ce qu'a le dernier genre dans lequel les Atelier nagent allègrement : le visual novel. En effet, l'histoire tient une place importante dans E&L. Mais, plus que l'histoire, ce sont les nombreux arcs narratifs ici et là qui rythmeront votre progression. Tous les personnages jouables ou non ont leur identité, souvent caricaturale, et l'ambiance se veut « tous publics » avec des gags bon enfant. Lorsque vous finissez une mission principale en avance, vous pouvez profiter du temps qui vous reste pour discuter avec les NPC qui ont de nouvelles choses à dire, ce qui vous est indiqué dans le menu de téléportation très pratique (et sans temps de chargement). Bien sûr, l'appréciation de ces phases de dialogues variera d'un joueur à l'autre. Quoi qu'il en soit, on a quand même l'impression de toujours faire face aux mêmes types de dialogues et aux mêmes personnalités dans tous les épisodes de la série. Escha est par exemple le prototype de l'ingénue qui apprend la vie au fur et à mesure de l'aventure, tout comme le furent d'autres héroïnes de la série par le passé. Une certaine platitude (qui s'ajoute au manque de punch de la mise en scène) finit par s'installer, malgré l'effort d'avoir ajouter Logy qui semble principalement être là pour plaire à un public plus occidental. Toutefois, si E&L devait attirer de nouveaux joueurs, il faudrait encore qu'ils survivent aux deux premières heures de jeu les plus crispantes possible : en essayant de mélanger visual novel et tutoriel, le début de cet opus reste le cul entre deux chaises, tout comme le joueur. On vous donne plein d'indications de gameplay, mais vous devez attendre fort longtemps pour les utiliser. Un mix bancal qui n'est certainement pas la plus grande réussite de E&L. Heureusement que ça s'arrange par la suite.
Et la technique dans tout ça ?
Enfin, nous finirons par l'aspect technique de E&L qui, comme d'habitude avec la série, est clairement un cran derrière ce qui se fait actuellement. Avec un budget moindre et une itération tous les ans, on se doute que la saga ne va pas rivaliser avec un Final Fantasy en termes de réalisation, mais il reste que les décors sont souvent affreusement vides lorsque l'on part en exploration, et que seule la ville principale a fait l'objet d'un travail un peu plus soigné. Notons quand même quelques améliorations, notamment en combat, avec un aspect moins grossier et de nombreuses animations, surtout pour les skills. Les personnages sont déjà mieux mis en avant par l'aspect artistique du soft. Côté bande-son, prévoir plus de musiques différentes pour la ville de Colseit n'aurait pas été de trop, surtout vu le temps qu'on y passe. On retrouve toutefois l'esprit de la série, notamment avec une utilisation très prononcée de la flûte.
Points forts
- L'alchimie, simple à comprendre, difficile à maîtriser
- Le système de mission, gratifiant
- Les Field Events, qui donnent un ton à l'exploration
- L'univers bon enfant, les personnages attachants
- La durée de vie honorable (50 heures en ligne droite pour un non-initié, possibilité de continuer)
- Voix japonaises disponibles
Points faibles
- Les phases d'exploration manquent encore d'un peu de personnalité et de punch
- Les deux premières heures, très poussives
- Une mise en scène molle, pas aidée par certains dialogues inintéressants
- Une réalisation faiblarde
- Textes en anglais, ce qui peut être un défaut pour certains
Déjà insérée dans le paysage vidéoludique depuis des années, la série des Atelier continue son évolution. Si certains épisodes ne prenaient pas vraiment de risque, les éléments apportés par Atelier Escha & Logy rendent l'aventure plus structurée, avec une véritable impression d'avancée et un rythme sans doute plus soutenu qui varie mieux alchimie et phase d'exploration. Si les nombreux dialogues ne toucheront pas de la même façon tous les publics, nous sommes devant un titre qui mélange soigneusement crafting, visual novel et RPG au tour par tour pour une aventure qui vaut la peine d'être vécue.