Qui a dit qu'il fallait nécessairement qu'un RPG nous en mette plein la vue pour nous embarquer dans son univers ? Les amateurs de jeux de rôle sur table le savent, l'immersion est déterminée tout à la fois par l'imagination des joueurs et par les talents de narrateur du maître de jeu. Si les RPG actuels se sont parfois éloignés de cette belle alchimie, il reste heureusement quelques jolis projets qui sont à même d'ébranler les plus nostalgiques. C'est justement le cas de Shadowrun Returns.
L'histoire de la franchise Shadowrun mériterait à elle seule un article. Ce jeu de rôle sur table a en effet déjà connu diverses adaptations vidéoludiques. On passera rapidement sur la sortie d'un FPS qui n'a pas vraiment marqué les mémoires en 2007, mais on se penchera en revanche avec un peu plus d'intérêt sur les deux RPG sortis en 1993 et en 1994 sur Super NES et sur Megadrive. Ce sont d'ailleurs ces deux opus qui ont directement inspiré le fameux Shadowrun Returns qui nous intéresse ici. Ce dernier ne se prive pas de faire de gros clins d’œil aux initiés et reprend même à son compte quelques personnages emblématiques tels que l'énigmatique Jake Armitage. Bref, au cas où son titre évocateur et son look old-school ne vous aient pas mis la puce à l'oreille, sachez que ce Shadowrun Returns joue à fond la carte de la nostalgie. Difficile dans ces conditions de se faire éditer par les voies traditionnelles, par contre le projet a fait un véritable carton sur la plate-forme de financement participatif Kickstarter en rassemblant une somme plus de quatre fois supérieure à l'objectif initial. Reste à savoir si les fans qui ont cru au potentiel de ce come-back ne vont pas être déçus par le résultat final...
Quand la SF rencontre la fantasy et le roman noir
Avis aux néophytes, avant d'être un jeu de rôle aux règles bien définies, Shadowrun est surtout un univers très particulier. Il s'agit en effet d'une dystopie dont le point de départ est des plus surprenants : la magie est brusquement apparue dans le monde tel que nous le connaissons et certains quidams ont même muté en trolls, en elfes, en orcs ou en nains. On se retrouve ainsi dans un monde qui allie la science-fiction façon cyberpunk et la fantasy dans ce qu'elle a de plus classique avec ses dragons et ses magiciens. Le résultat de ce savant cocktail est pour le moins détonnant, il nous offre des aventures sombres et matures dans lesquelles les sortilèges ont autant leur place que le piratage informatique. Le décor que plante la première campagne de ce Shadowrun Returns est tout à fait dans l'esprit de la franchise. Bienvenue à Seattle, nous sommes en 2054, les rues sont glauques et la pluie persistante semble être incapable de nettoyer la crasse qui s'y est accumulée...
Vous incarnez un shadowrunner, l'un de ces mercenaires employés généralement par les grosses corporations qui dirigent désormais le monde afin de réaliser leurs plus basses besognes. Votre carrière est loin d'être à son apogée, vous êtes même complètement sur la touche lorsque vous recevez un appel assez mystérieux de l'un de vos anciens partenaires. Ce dernier vient de mourir mais il a pris la peine d'enregistrer un message qui vous est destiné : vous aurez droit à son assurance-vie si jamais vous trouvez son meurtrier. Vous voilà donc embauché par un mort pour enquêter sur son décès. Ce n'est que le point de départ d'une aventure riche en rebondissements et en retournements de situations. La trame scénaristique pourrait tout droit sortir d'un roman signé Boileau-Narcejac, les plus curieux lui trouveront d'ailleurs quelques similitudes avec … Et mon tout est un homme. La narration est aussi une vraie réussite et les dialogues sont particulièrement savoureux, mais il faut malheureusement assez bien maîtriser l'anglais pour en profiter pleinement.
Shadowrunner, un métier à mille facettes
On reviendra sur ce point mais l'aspect fortement scénarisé de la campagne entraîne inévitablement une certaine restriction des libertés du joueur. Rassurez-vous, vous pourrez tout de même apporter votre propre touche à l'aventure et cela commence par la création de votre personnage. Outre sa race et son genre, vous devez aussi choisir la spécialité de votre shadowrunner. Attention, le fait d'opter pour une approche plutôt qu'une autre va réellement modifier votre façon d'aborder le jeu et plus particulièrement les combats. Un samouraï des rues ou un adepte de la force physique vont ainsi se battre de manière plutôt classique, mais un mage disposera de sortilèges d'attaque ou de soin et un shaman pourra faire appel à des invocations. Reste encore le Rigger, un combattant utilisant des drones pour l'épauler, et le fameux Decker, un hacker capable de déjouer tous les systèmes informatiques. Vous êtes aussi libre de créer votre propre stéréotype en bidouillant directement la feuille de personnage et en attribuant les points de karma.
Autant vous prévenir, il faudra bien tôt uu tard que vous mettiez la main à la pâte et que vous vous décidiez à répartir les précieux points de karma gagnés après avoir réalisé des quêtes. Le système peut paraître un peu confus mais on s'y retrouve à partir du moment où on a compris que l'évolution dans une spécialité dépend de votre avancée dans la caractéristique correspondante. Vous voulez exceller dans le maniement du pistolet ? Il faut d'abord commencer par investir dans la rapidité puis dans le combat à distance avant enfin d'améliorer cette compétence en particulier. Notez au passage que ces caractéristiques ainsi que les étiquettes que vous lui attribuerez, autant dire la maîtrise des éléments de langage de certains cercles bien particulier, ouvriront à votre personnage de nouveaux choix de dialogues. Bref, il vaut mieux se gratter un minimum la tête avant de répartir ces points de karma. Ce n'est toutefois pas la seule façon de personnaliser son shadowrunner, il est aussi possible de lui attribuer des prothèses bioniques à condition de sacrifier une bonne partie de son pécule et quelques précieux points d'essence. Vous ne tarderez pas à vous rendre compte que l'argent est véritablement le nerf de la guerre puisqu'il vous permettra aussi bien de vous équiper que d'embaucher jusqu'à trois autres shadowrunners qui viendront vous prêter main-forte lors de vos missions.
L'art du combat : Un peu de tact et quelques tics
Il va de soi que vous chercherez à trouver un certain équilibre en composant votre équipe de runners : autant par exemple s'assurer que certains soient plutôt spécialisés dans les dégâts tandis que d'autres se chargeront du support. Dans tous les cas, il vous faudra jouer sur la complémentarité de vos combattants pour sauver votre peau. Les combats se déroulent en tour par tour : chaque personnage dispose de deux ou trois points d'action qui lui permettront à la fois de se déplacer et d'agir. Le tout prend un aspect particulièrement tactique : à vous de bien gérer vos déplacements pour rester au maximum à couvert, tout en vous approchant de vos ennemis pour maximiser vos chances de les toucher. Shadowrun Returns saura punir les combattants les plus téméraires qui auront la fâcheuse habitude de foncer tête baissée. Un seul conseil, restez prudent et avancez petit à petit en évitant que vos troupes ne s'éparpillent un peu partout sur le champ de bataille.
La clef de la victoire est souvent dans l'exploitation des différentes compétences de vos combattants. Le shaman par exemple est non seulement capable de donner des buffs à ses petits collègues, mais aussi d'invoquer des élémentaires. Ces derniers peuvent être issus de son inventaire ou directement liés à des objets présents dans le décor. Encore plus fort, le Decker aura l'occasion de se connecter à des terminaux pour prendre notamment le contrôle de tourelles de sécurité. Ces phases de hack sont un peu particulières puisque vous êtes alors projeté dans un univers cybernétique qui n'a rien à envier à celui de Tron. Vous y agissez toujours au tour par tour et vous utilisez pour l'occasion des compétences particulières qui vous permettront de vous défendre contre les programmes informatiques malveillants. Bref, les combats peuvent ainsi se dérouler sur plusieurs plans simultanément, ce qui vous poussera forcément à jouer sur les complémentarités de votre groupe.
Un projet ambitieux qui connaît des limites
Les interactions avec les décors tourneront parfois à la recherche d'indices un peu à la manière d'un jeu d'aventure. D'ailleurs, on peut lui faire un reproche propre à ce dernier genre, c'est-à-dire d'être très dirigiste dans sa conception. Le scénario ne vous laissera pas le loisir de choisir votre destination ou d'explorer librement la ville de Seattle. On est toujours plus ou moins bringuebalé d'un tableau à l'autre sans pouvoir contrôler son destin. Certes, il est possible d'influer sur les dialogues mais au final on ne fera pas dérailler totalement l'histoire. Ce manque de liberté a quelques conséquences bien concrètes et un peu énervantes : on ne peut par exemple pas toujours faire le plein de trousses de soin avant chaque mission et il est impossible de lancer des sorts lorsqu'on n'est pas en configuration de combat... Finalement cette impression de suivre une voie toute tracée va certainement agacer les joueurs les plus attachés à leur liberté d'action.
La liberté est pourtant bel et bien là mais il faut la chercher du côté de l'éditeur de contenu. C'était l'une des promesses les plus alléchantes du projet tel qu'il était présenté sur Kickstarter et c'est effectivement le gros point fort du titre. La première campagne proposée est vraiment prenante mais elle ne vous tiendra pas occupé plus d'une petite quinzaine d'heures même si vous vous acharnez sur les rares missions annexes. Heureusement, vous ne tarderez pas à retrouver d'autres campagnes, créées notamment par la communauté. Des fans sont déjà à l'œuvre et comptent bien mettre sur pied un remake de l'épisode SNES. Une chose est certaine, ce n'est qu'un début. Vu l'engouement que le projet a suscité sur Kickstarter, il est fort à parier que cette belle aventure n'en est qu'à ses débuts. Il ne tient donc qu'à vous de prendre le train en marche et de retrousser vos manches pour ajouter à votre tour un peu de contenu.
Points forts
- L'éditeur de campagne qui assurera un contenu conséquent à long terme
- L'ambiance de la franchise respectée
- Une narration maîtrisée
Points faibles
- Une campagne un peu trop linéaire et directive
- Le jeu entièrement en anglais
- Un look old-school qui laissera de marbre les joueurs les plus jeunes
Shadowrun Returns n'est certainement pas un titre à mettre entre toutes les mains : son aspect résolument old-school et ses mécaniques de jeu plutôt posées risquent de faire fuir les joueurs qui ne se fient qu'aux graphismes dernier cri et à l'action non-stop. En revanche, ceux qui cherchent une histoire bien construite, une ambiance glauque à souhait et des combats tactiques trouveront certainement leur bonheur. Cerise sur le gâteau, le titre propose aussi un éditeur de contenu que la communauté de fans s'emploie déjà à exploiter afin de nous proposer de nouvelles campagnes.