Sega versus Nintendo. Nintendo versus Sega. La compagnie du célèbre hérisson bleu a fini par se retirer mais, dans son combat, elle nous aura laissé bien des souvenirs et bien des trésors du jeu vidéo. Aujourd'hui encore, certains fans alimentent cette rivalité passée et, comme devant un bon kaiju eiga, s'émerveillent du choc entre ces deux monstres. D'autres, comme nous, préfèrent voyager parmi les vestiges de ce combat, à la recherche de pépites telles que ce Bio Hazard Battle. Le seul shoot horizontal classique 100% Sega en a dans le ventre et ça s'entend !
Oubliez les After Burner II, Super Thunder Blade, Galaxy Force II, et autres Space Harrier II, car la firme aux tendances arcades délaisse pour une fois les shoots apparentés aux simulations, avec leur vue en profondeur et leur pseudo-3D parfois maladroite. Aussi étonnant que cela puisse paraître, Bio Hazard Battle est bien l'unique shoot'em up classique développé par Sega en interne et en exclusivité pour sa Mega Drive. Il faut dire qu'avec Technosoft, Compile, Masaya, Telenet Japan, ou encore les adaptations arcades de Namco ou Toaplan (les prémisses du manic shooter), le constructeur n'avait pas besoin de mettre la main à la pâte ! Sauf lorsqu'une petite équipe estime qu'il manque encore un certain style de shoot sur Mega Drive : façon R-Type, avec son gameplay très stratégique et son ambiance délicieusement malsaine...
Aussi connu sous le titre Crying au Japon, Bio Hazard Battle a pour point de départ un scénario plutôt intriguant pour un shoot'em up. L'emploi d'armes biologiques pendant la guerre a rendu la planète Avaron totalement inhabitable, obligeant les quelques rescapés à attendre en orbite à bord de la station O. P. Odysseus. Des centaines d'années s'écoulent, et les conditions s'améliorent, même si Avaron reste une terre hostile. Les créatures étranges qui se sont propagées rampent toujours... Votre mission consiste à vous rendre sur place afin d'explorer les zones les moins dangereuses, susceptibles d'accueillir une nouvelle colonie. Comment ? On me prive des zones les plus excitantes dans un shoot ? Ou alors on veut me proposer un gameplay original, à base de missions par exemple ? En fait ni l'un ni l'autre, car il s'agit toujours ici de traverser une suite de niveaux jusqu'au boss final, avec une difficulté belle et bien présente. Au bout du compte le scénario, heureusement dispensable pour un shoot'em up, nous amène à éradiquer ce qui semble être le cœur de l'hostilité environnante, comme n'importe quel chef de tel ou tel empire galactique. Les niveaux s'enchaînent avec plus ou moins de cohérence, pour enfin déboucher sur une conclusion expéditive (avec la petite phrase qui laisse supposer une suite, qui n'a jamais vu ni le jour ni la nuit bien entendu). C'est loin de poser problème et on apprécie les touches de mise en scène, comme la descente du bio-vaisseau dans l'atmosphère d'Avaron, ou la brièveté des transitions entre chaque niveau. Il y avait seulement matière à proposer quelque chose de différent, à la manière d'un Ranger X ou d'un Sub-Terrania, ou même d'un Fantasy Zone. Non, ici Sega veut du classique, du bon vieux scrolling automatique horizontal, et pour tout vous dire tant mieux !
On se retrouve ainsi aux commandes de l'un des quatre bio-vaisseaux disponibles, au design bizarre mais au gameplay somme toute bien connu des amateurs de R-Type. Tir chargé, module invincible, armes spéciales, le soft s'inspire du chef-d'œuvre d'Irem dans les grandes largeurs, avec toutefois quelques différences. Le module se situe ici autour du bio-vaisseau et s'oriente en fonction des mouvements de celui-ci, afin de couvrir n'importe quelle direction : aller vers l'avant envoie le module vers l'arrière, aller en bas à droite le positionne en haut à gauche, etc. en suivant un cercle autour du bio-vaisseau. Assez déroutant au début pour sa rigidité (Bio Hazard Battle aurait fait un très bon twin-stick shooter), ce système demande un minimum de pratique mais se révèle payant, en particulier quand il s'agit de garder sa position. On peut alors contenir les nuées adverses grâce au tir principal, tout en se permettant de légers coups de croix directionnelle pour réajuster le module et absorber les tirs ennemis. L'autre grand intérêt du module est tout simplement de faire office d'arme secondaire, avec une gamme de sept tirs spéciaux qui sauront combler tous les styles de jeu : spread shot de faible puissance, rayon horizontal surpuissant, laser autoguidé très souple et très rapide, anneaux de plasma rebondissants... Cet arsenal n'est jamais absolument obligatoire pour progresser, mais comprendre quelle est la meilleure arme pour telle ou telle situation permet de s'en sortir avec beaucoup plus d'aisance. Les tirs autoguidés sont comme toujours très efficaces, idéals pour débuter, mais ils montrent eux aussi leurs limites au fur et à mesure des niveaux, et tous les bio-vaisseaux n'ont pas accès aux mêmes armes ! Orestes, Hecuba, Electra, Polyxena (ce sont leurs petits noms) se différencient également par le pattern de leur super-tir et par leur rapidité, les deux premiers se déplaçant plus vite que les deux autres.
Cette variété devient très agréable après quelques parties puisque le soft profite d'une progression intelligente, chaque niveau se montrant sensiblement plus difficile que le précédent (à une exception près), sans jamais devenir infranchissable. Le gameplay reste ouvert à plusieurs façons de jouer tout en incitant à la stratégie, grâce aux positions des vagues d'ennemis et au comportement de certains boss (souvent accompagnés de nombreux petits ennemis !). On est toutefois très rarement pris en défaut par un adversaire sournois, qui surgirait dans notre dos sans prévenir, et le level design est loin d'atteindre le sadisme d'un R-Type. A tel point que le titre de Sega peut décevoir quelque peu pour son manque d'ambition. Il n'y a pas de véritable fausse note, les variations sont fréquentes, mais n'osent pas assez nous bousculer quand le potentiel est pourtant bien là. C'est une bonne nouvelle pour les amateurs de challenge abordable (on n'a même pas à s'inquiéter du décor, toucher les murs étant sans danger), mais on aurait aimé au moins que les modes de difficulté supplémentaires rattrapent ce petit regret. Malheureusement pousser le jeu en Hardest n'a d'influence que sur le nombre et la rapidité des tirs ennemis, devenus plus agressifs. La mémorisation joue finalement un rôle mineur ici, notre bio-vaisseau repart immédiatement à l'assaut après avoir été détruit, et avec les nombreux continues ou quelques 1UP cachés, voir le bout de ce tunnel grouillant ne demande qu'un minimum d'efforts comparé à d'autres shoot'em up. Sega ne s'y est donc pas trompé en incluant un sympathique mode coopératif, chose assez rare à l'époque parmi les shoots 16-bits. En horizontal, on trouve aussi sur Mega Drive les portages des titres arcades Aero Blasters, Forgotten Worlds (avec une maniabilité assez bien adaptée à la manette), et Vapor Trail — même si on leur préférera peut-être l'adaptation du hit de l'Amiga, Battle Squadron, à scrolling vertical et taillé pour le coop.
Avec un(e) pote ou en solo, découvrir Bio Hazard Battle reste dans tous les cas une expérience singulière grâce à son atmosphère originale et maîtrisée, loin des gros clichés du genre. Le design des bio-vaisseaux mélange insectes et créatures sous-marines, et bénéficient de petites touches d'animation afin de les rendre un minimum vivants, comme l'ondulation des nageoires d'Electra, ou le scintillement des ailes d'Hecuba. D'une manière générale, l'animation est excellente, avec une mention particulière pour le Seeker Laser, tout simple (un épais trait rouge) mais si vif et si souple qu'il confère une vraie sensation de puissance ! Les serpents et autres larves monstrueuses – quasi obligatoires dans chaque shoot'em up sous une forme ou une autre depuis Salamander – répondent également à l'appel, et se montrent aussi répugnants ou aussi aériens que nécessaire, notamment grâce à un bon usage de la lenteur... En revanche, cette lenteur est tout de suite moins appréciable quand elle provient des ralentissements imposés par la machine, incapable de répondre à la charge de sprites du soft. Pas de quoi s'alarmer toutefois (d'autant que, pour les bricoleurs, un coup d'overclocking suffira), cela ne nous empêche pas d'admirer la direction artistique choisie par Sega, à la fois éloignée du glauque d'un Gynoug et du style organique extraterrestre de son modèle R-typien. L'atmosphère provient ici d'une nature hostile, mais qui est restée familière, avec des insectes géants, des hybridations étranges, où l'on croit reconnaître un morceau de crabe, ou un squelette, ou autre chose encore, avant de tout faire disparaître dans des explosions toujours aussi satisfaisantes. On peut regretter que ce bestiaire soit inégal, avec la présence de quelques rares ennemis mécaniques par exemple, mais en dehors d'un boss final relativement décevant, Bio Hazard Battle parvient à se renouveler tout en conservant une belle cohérence.
Dans la veine de Steel Empire, le titre de Sega fait partie de ces shoots à ambiance rafraîchissants, aux graphismes qui n'arrachent certes pas la rétine mais se contentent, humblement et efficacement, de coller au feeling voulu. Seulement, quand Steel Empire nous proposait des décors très fouillés et une ambiance sonore tout aussi sympathique, Bio Hazard Battle surprend son monde grâce à une bande-son hallucinante. La Mega Drive gronde au moyen de basses très profondes et de subtiles percussions, le tout rythmé par un soin manifeste dans la composition et dans la recherche des bruitages. C'est bien simple : tous les effets sonores sont splendides, des explosions abrasives au petit jingle du menu pause, de la discrétion relative des armes au puissant tonnerre du tir chargé. On se rappelle dans ces moments-là que la musique sur consoles rétro est aussi une affaire de programmation, et qu'entre de bonnes mains, elle peut nous offrir des sonorités fascinantes, inhabituelles par rapport aux instruments de musique classiques. Alors à qui doit-on ces prouesses d'après les crédits du jeu ? K. N. U. ... Trois lettres. Un acronyme fort mystérieux, que l'on ne retrouve que pour un seul autre titre, King Colossus, autre exclusivité Mega Drive d'un tout autre genre puisqu'il s'agit d'un (bon) Zelda-like, exclusivement sorti au Japon quelques mois avant notre shoot'em up (notez qu'un patch anglais du jeu existe, si votre curiosité s'en trouve piquée, et qu'il a même bénéficié d'un réarrangement orchestral à sa sortie en 1992, chose tout simplement exceptionnelle pour l'époque et pour un jeu aussi confidentiel). En poussant un peu, on peut supposer que sous cet acronyme se cachent une ou plusieurs de ces trois personnes : Kazumi Nasu (game designer et programmeur pour Bio Hazard Battle, auparavant responsable de la partie son sur l'obscur puzzle-game arcade Ryu Kyu), mais aussi les frères Shigeharu Isoda et Kenichiro Isoda, se partageant les tâches de compositeur et de programmeur son (Kenichiro semblant être le compositeur principal, voire le compositeur exclusif, et Shigeharu ayant le rôle ô combien essentiel de transposer la musique pour la Mega Drive). Nous saluons dans tous les cas leur impressionnant travail ; ce travail qui, après toutes ces années, fait toujours du seul shoot MD classique 100% Sega une véritable pépite.
Points forts
- Un shoot à ambiance originale et soignée.
- L'aspect stratégique du module.
- Un bon dosage de la difficulté.
- Jouer en coopération.
- Des graphismes honnêtes, mais sublimés par l'animation.
- Une bande-son complètement Mega Drive !
Points faibles
- Manque d'ambition malgré un gros potentiel.
- Un boss final relativement décevant.
- Aucune vraie nouveauté en mode Hardest.
- Quelques ralentissements, surtout en mode deux joueurs (overclock possible).
- L'absence de rapid-fire sur version japonaise.
Bio Hazard Battle ne réinvente pas le canon à plasma, mais ce qu'il fait, il le fait très bien. Sega offre à sa Mega Drive un shoot'em up différent des autres en termes d'ambiance, avec en prime un équilibre entre accessibilité et challenge idéal pour découvrir le genre, en solo ou pour une fois en coopération. La partie graphique est parfois en dessous du reste, mais sans que cela n'entame le souci du détail qui a été porté à l'atmosphère du titre, sans cesse relancée par de petits changements de scrolling, et poussée jusqu'à avoir mis des sprites différents pour le tir principal de chacun des quatre bio-vaisseaux, par exemple. Autant tout simplement vous dire que lorsqu'on a affaire à un shoot de cette qualité, on s'assoit sur ses quelques réserves et au bord de son siège, prêt à lâcher la stéréo de la dame en noir pour se perdre dans un monde étrange...