Si je vous dis que Balrog est cameraman, que Bison fait 40 kilos tout mouillé, que Dhalsim est un scientifique, que Vega n'a aucun charisme, et que Guile est le plus grand philosophe belge de tous les temps, vous me répondez ? Street Fighter : L'Ultime Combat, la transposition cinématographique du célèbre jeu de combat. Imaginez maintenant que cette adaptation discutable soit elle-même adaptée en jeu vidéo. Le cercle infernal, la spirale de la folie... Mais restons «aware» et voyons ensemble ce que le jeu a dans le ventre.
Nous sommes en 1994. Les salles obscures accueillent Street Fighter : L'Ultime Combat avec à l'affiche Jean-Claude Van Damme dans le rôle de Guile, Kylie Minogue en Cammy et Raul Julia pour camper un Bison absolument délirant. Il y a deux écoles de pensée au sujet de ce film. Pour certains, il s'agit d'une véritable insulte à la saga de légende en raison de ses incohérences et d'un gros manque de fidélité impardonnable ; pour d'autres, le film est un petit bijou de second degré, la quintessence du nanar américain, voire même une pure et simple parodie de la licence offrant des scènes d'action absolument mémorables, des répliques historiques, et une espèce de scénario qui donne l'impression que tous les personnages de Street Fighter ont été passés dans un mixeur pour tisser des liens relationnels improbables. C'est ainsi que nous découvrons un Dee Jay informaticien au service de Bison, ou bien un Honda hawaïen expert en technologie aux côtés de la plus balèze des journalistes, Chun Li. Le tout pour un petit budget de quelques 35 millions de dollars, pour l'anecdote.
Bref, voilà pour la petite parenthèse autour du film. C'est donc en Août 1995 que la grande aventure se poursuit, avec la sortie sur PlayStation de l'adaptation vidéoludique de ce «chef-d'œuvre» : Street Fighter : The Movie. Il s'agit bien évidemment d'un jeu de combat, en 2D, où vous contrôlez, tenez-vous bien, des personnages digitalisés, comme on pouvait en trouver dans Mortal Kombat par exemple. Ainsi, c'est bel et bien monsieur Van Damme que vous dirigez pour mettre un pain à ce brave Zangief. Cependant, le fait de pouvoir jouer avec les acteurs du film est malheureusement bien le seul point positif qu'on peut trouver à ce choix. D'une part pour la jouabilité : si l'on retrouve plus ou moins le même moteur que Street Fighter II Turbo, et que les coups n'ont pas réellement changé (on retrouve sans problème Hadokens, Sonic Booms, et autres Psycho Crushers), ces mêmes coups ont énormément de mal à sortir. Les personnages sont lents, les animations laissent cruellement à désirer, et parfois c'est même la hitbox qui pose problème. En somme, il faut un sacré coup de main et beaucoup de self-control pour mener des combats à peu près normaux.
Côté visuel, ce n'est hélas pas beaucoup mieux. Les couleurs sont vraiment ternes, les animations pas franchement réussies. Même l'interface semble avoir été bâclée. Et puis, s'il est bon de savoir que contrairement au film, certains coups de légende comme le Hadoken n'ont pas disparu, l'ennui vient du fait que ces coups passent très mal à la digitalisation. Cela va même plus loin : la simple posture de combat se révèle être catastrophiquement ridicule. Ainsi, Ken se bat avec les bras en l'air et Bison donne l'impression d'être perpétuellement sur le point de se casser la gueule. Même les costumes alternatifs ont été totalement bâclés. En effet, si Street Fighter nous a habitués à des costumes de couleurs différentes, ce titre se contente simplement d'ajouter un filtre de couleur sur tout le personnage, changeant ainsi jusqu'à sa couleur de peau et ses cheveux, qui peuvent par exemple passer au vert foncé ! En revanche, petit point positif tout de même, les arrière-plans ne sont pas si mauvais que le reste. D'abord, les lieux clés du film servent de décor à ces quelques échanges de baffes, comme les appartements privés de Bison, le laboratoire où se trouve Blanka, ou encore évidemment la grande salle du combat final où le visage de Jean-Claude se dessine sur les écrans pendant l'affrontement. Ensuite, comme tout Street Fighter qui se respecte, les arrière-plans sont animés, de façon simpliste certes (un soldat qui court, quelques copains qui vous encouragent, des petits effets de lumière), mais on y retrouve un peu l'esprit de la série. Et ici, la moindre référence à Street Fighter est bonne à prendre.
Pour ce qui est du contenu, le titre nous offre un petite palette de 14 combattants tirés du film, parmi lesquel Sawada, un soldat exerçant aux côtés de Guile et qui pourrait être considéré comme un remplaçant de Fei Long. A noter aussi la présence d'Akuma, en tant que personnage caché. Il est d'ailleurs le seul élément caché du jeu. Les fins de chaque combattant se résument à une photo de votre personnage et d'un semblant de narration victorieuse. N'espérez donc pas débloquer des modes de jeu supplémentaires ni de quelconques bonus. Les modes de jeu sont, et resteront, au nombre de 4 : le mode Street Battle, qui correspond à un mode Arcade classique ; le Versus Battle ; le Trial Battle qui vous permet d'enchaîner un certain nombre de combats afin d'évaluer vos capacités ; et enfin le Movie Battle. Ce mode de jeu, même s'il ne casse finalement pas trois pattes à un Blanka, est la petite touche originale du titre. Vous incarnez Guile, et vous devez enchaîner une série de combats retraçant l'histoire du film, jusqu'à l'affrontement final, en moins de 50 minutes. A l'issue de la plupart des combats, Cammy vous proposera deux itinéraires à suivre, qui vous amèneront à affronter des adversaires différents. Votre «aventure» est ponctuée de cut-scenes, ou plus précisément d'une photo de votre adversaire, agrémentée de quelques phrases tout à fait dispensables. Toutefois les possibilités ne sont pas si nombreuses que ça, et vous en reviendrez toujours plus ou moins aux mêmes affrontements puisque les différents embranchements possibles finissent par se rejoindre très tôt. Tout comme le film, le jeu Street Fighter : The Movie sera qualifié de deux manières différentes : soit une bonne blague, soit une mauvaise blague. Autrement dit, une blague quand même.
- Graphismes5/20
Si, pour un tel jeu, le choix de la digitalisation des personnages peut tout à fait se comprendre, on ne peut que regretter un gros manque de finesse dans la réalisation. Des couleurs ternes, une interface réduite au plus simple, des animations peu abouties, tout semble avoir été bâclé. Seuls les arrière-plans peuvent à la limite «relever» le niveau.
- Jouabilité9/20
L'animation des combattants laissant à désirer, c'est aussi la maniabilité qui pèche. Les coups ont souvent du mal à sortir et les mouvements sont lents, ce qui est un comble pour un Street Fighter. On retrouve toutefois la même palette de coups qu'un Street Fighter classique.
- Durée de vie10/20
Avec trois modes de jeu classiques, un mode Histoire trop maigre, et sans contenu à débloquer, le jeu propose à peine plus d'intérêt qu'une version Arcade. Le tour du titre est fait en deux heures maximum.
- Bande son12/20
Les voix digitalisées grésillent, mais la bande-son est peut-être l'aspect le plus correct du jeu. Pas de quoi s'en faire un CD pour la voiture, mais au moins nos oreilles n'auront pas trop à souffrir.
- Scénario10/20
Suivant l'histoire tracée par le film, le titre propose un mode de jeu qui aurait pu être intéressant s'il avait été plus étoffé. Il s'agit de diriger Guile dans son enquête pour contrer les plans de Bison par un choix de différents embranchements. Les fins des personnages sont bien trop pauvres, et les quelques secondes d'extraits du film ne suffisent pas à relever le niveau.
Le jeu pourrait bénéficier de l'avantage du second degré, s'il n'y avait pas cet arrière-goût de réalisation franchement bâclée. Globalement moche, difficile à manier, sans aucun contenu à débloquer si ce n'est un perso caché et un clip musical (?!), le titre s'en tire tout juste grâce au plaisir que certains joueurs pourront prendre à se castagner avec deux JCVD. Mais s'il faut rester objectif, ce n'est certainement pas Street Fighter : The Movie qui marquera les esprits par sa qualité.