Gungnir. Un nom qui n'est probablement pas étranger aux amateurs de jeux de rôle, puisque la mythologie scandinave dont est issue la lance d'Odin a déjà inspiré quelques-uns de ses plus célèbres représentants. Mais alors que des oeuvres telles que Valkyrie Profile baignent littéralement dans les mythes de l'Edda, Gungnir y trempe à peine les pieds, se contentant simplement d'y puiser quelques noms et concepts auxquels sont étrangement mêlés des patronymes à consonance ibérique. En résulte un ensemble un peu fouillis, mais pas forcément désagréable.
Sous-titré Inferno of the Demon Lance and the War of Heroes dans sa version originale, le neuvième volet (dans l'ordre chronologique) de la série de RPG tactiques de Sting Dept. Heaven se situe dans la droite ligne des illustres Final Fantasy Tactics ou Tactics Ogre. Autrement dit, une histoire palpitante se déroulant dans un univers moyenâgeux habille un sytème de combats efficace prenant place au tour par tour dans des environnements à damiers.
Au sein de l'empire de Gargan, deux peuples se partagent le territoire. D'un côté, les nobles Daltans qui tiennent les rênes du pouvoir. De l'autre, les Léonicans qui, pour d'obscures raisons, sont ostracisés et enfermés dans les taudis d'Espada. Mais après des années de ségrégation et de répression, un mouvement de résistance nommé Esperanza se remet doucement en marche au sein de la population opprimée. Alors que Giulio et son frère Ragnus, les leaders du mouvement, se préparent au combat, une jeune fille énigmatique nommée Alissa leur tombe tout droit dans les bras, poursuivie par les forces armées de l'empire. Sévèrement dominé, Giulio se prépare à mourir avec ses compagnons, quand il se voit offrir par la providence la lance maudite Gungnir. Galvanisé par cette promesse de puissance, Esperanza marche vers la capitale de l'empire, en quête de vengeance.
Malgré quelques efforts notables dans le traitement de son sujet, le scénario peine à s'éloigner des poncifs du genre. Le jeu est bâti comme une succession de combats entrecoupés de scènes de dialogues. Ces scènes, qui peuvent être assez longues, permettent de faire doucement évoluer l'histoire et proposent parfois des choix qui auront des répercussions sur les dialogues et sur la fin du jeu. La conséquence, c'est qu'en dépit d'une durée de vie s'approchant d'une quarantaine d'heures, Gungnir paraît bien trop court : seule une trentaine de combats est proposée, beaucoup utilisant des aires de bataille identiques. Et si certains affrontements peuvent dépasser la demi-heure, d'autres se règlent en quelques tours. La construction du jeu rend donc l'ensemble au-delà du linéaire, d'autant qu'aucune quête annexe ne vient l'animer. L'histoire manque globalement de peps et se révèle vite très classique, de même que les personnages, qui sont souvent caricaturaux. L'accent a clairement été mis sur le système de combats.
Basées sur le système de combats éprouvé d'un jeu d'échecs en trois dimensions, si cher aux jeux de rôle tactiques, les batailles rangées de Gungnir tentent de se démarquer en multipliant les contraintes régissant le bon déroulement de chaque action, celles-ci se déroulant différemment pour le joueur et les unités ennemies. En effet, si vos adversaires sont libres d'agir de façon indépendante, tous vos personnages présents partagent un seul et même tour d'action. Alors qu'une horloge égraine inéluctablement le temps passé sur le terrain de combat, chacun des participants se rapproche de l'heure qui le verra agir, symbolisée par une barre de délai. Le personnage peut alors se déplacer et effectuer l'action choisie en fonction de ce que lui permettent ses armes, mais nous y reviendrons plus loin. Toujours est-il que ce système à deux vitesses peut vous permettre de faire agir un même personnage plusieurs fois de suite, non sans lui infliger un malus de points de vie en cas de difficulté de récupération. Vous pouvez aussi choisir de faire agir chacun de vos combattants l'un après l'autre. Il vous faudra de toute façon vous servir habilement de toutes les possibilités disponibles si vous souhaitez sortir indemne de ces affrontements, en particulier dans les niveaux de difficulté avancés. Les tours d'action étant précieux, vous devrez être particulièrement attentifs au pourcentage de réussite de vos attaques contre vos ennemis. Celui-ci dépend entre autre de votre position et de la portée de votre attaque. Le placement est donc véritablement crucial, tout comme la planification, notamment dans le cas des attaques magiques nécessitant un temps d'incantation laissant tout loisir à l'adversaire de se déplacer. L'IA a d'ailleurs la désagréable habitude d'esquiver régulièrement des coups pourtant quasi immanquables avec une chance insolente, et se paye même le luxe de "deviner" vos coups à l'avance, ce qui lui permet souvent de retourner la situation à son avantage. Les mauvaises langues regarderont cette façon d'augmenter artificiellement la difficulté d'un oeil désabusé et pour le moins suspicieux.
Nous l'avons vu, les possibilités offertes par le système se retrouvent couplées à de nombreuses règles, souvent applicables à une seule situation donnée. Si elles se contentent souvent de compliquer inutilement les combats, elles parviennent aussi parfois à en bonifier l'aspect tactique. Il est par exemple possible de précipiter son tour d'action, moyennant quelques points d'une jauge tactique, qui servira également à certaines actions spéciales telles que la mise en place de combos ou encore le don d'un boost à un personnage adjacent. Nous ne tenterons pas ici de dresser une liste exhaustive des nombreuses possibilités offertes par le système de combats, vous aurez compris que ces spécificités le rendent compliqué à cerner, notamment pendant les premières heures de jeu. Il faudra passer par des lectures attentives des tutoriels et laisser à l'expérience des combats le temps d'imprégner le joueur avant que celui-ci ne parvienne à en cerner toutes les subtilités. Anecdote cocasse mais symptomatique de cette complexité : le jeu ne propose pas moins de 38 altérations d'état. On a donc véritablement l'impression de jouer contre un adversaire agressif et impitoyable, d'autant qu'aux trois niveaux de difficulté disponibles s'ajoute l'adaptation du challenge au niveau du joueur. En clair, en pulvérisant vos ennemis, vous obtiendrez des récompenses substanciellement meilleures, mais serez sûr de tomber sur des ennemis de plus haut calibre que d'ordinaire lors des batailles suivantes. Enfin, comment parler du système de combats sans aborder l'ambiance graphique du titre ? Les différents écrans abondent pour la plupart d'informations parfois plus gênantes qu'utiles, leur donnant un aspect très chargé apparemment fréquent chez Sting. Etrange, et surtout dérangeant.
Cet aspect se retrouve d'ailleurs dans les menus du jeu, dans lesquels vous passerez une grande partie de votre temps entre les combats. Très brouillons, ces menus peinent à dispenser clairement les informations pourtant cruciales, obligeant le joueur à de longues minutes de recherche s'il désire bien équiper ses personnages. Outre les personnages principaux, la troupe Esperanza pourra compter sur l'appui de mercenaires spécialisés pour prendre part aux combats. 12 classes sont disponibles, allant de la Brute armée d'une hache à l'Archer, en passant par le mage. Attention tout de même à ne pas préjuger de leurs forces, car ces personnages génériques peuvent mourir de façon permanente sous les coups des ennemis. Chaque membre de l'équipe peut être customisé grâce à ses armes (deux peuvent être équipées par personnage), ou à l'ajout de pièces d'armure ou d'objets consommables sur son équipement de combat. Les armes surtout jouent un rôle prépondérant dans le système, chacune pouvant abriter entre une et quatre techniques dotées de diverses caractéristiques, et qui ne se débloquent qu'au fur et à mesure de l'emploi de l'arme en combat. Ce ne sont donc pas les personnages qui évoluent, mais bien leurs armes, qui peuvent également être boostées via un système d'alchimie basique. Le choix des armes et équipements est primordial pour maîtriser le cours du combat, et une bonne planification sera souvent le gage d'une stratégie fluide. Ainsi, certains types d'attaques pourront repousser leurs cibles, pouvant de cette façon les faire tomber d'une hauteur léthale ou autres pièges de ce genre. De même, la lance Gungnir utilisable seulement par Giulio possède la capacité de faire basculer le cours du combat dans un sens ou dans l'autre, en lancant l'un des cinq dieux guerriers sur le champ de bataille, occasionnant des dégats significatifs dans un camp comme dans l'autre. Pas forcément facile à utiliser, mais très efficace. Au final, cette personnalisation confine parfois plus au micromanagement, vous obligeant à tenir compte de tout un tas de paramètres sur l'ensemble de vos personnages, plutôt que de vous concentrer que sur un ou deux personnages comme cela est souvent le cas dans ce genre de jeu.
Gungnir s'avère donc difficilement appréciable pour des joueurs désirant s'essayer au genre, mais pourra sans nul doute ravir les vétérans à la recherche d'un bon challenge, en particulier dans les niveaux de difficulté les plus relevés. On leur souhaite bien du courage.
- Graphismes14/20
Le rendu des scènes de combat est dans l'ensemble bon, avec des modèles de personnages en représentation SD assez mignons et des décors détaillés. Par contre, le jeu souffre d'un problème de lisibilité à la fois en combat, où les décors cachent parfois l'action, mais aussi dans les menus et dialogues bien trop chargés en informations. Les artworks des personnages sont bien rendus mais trop peu nombreux, de même que les scènes animées.
- Jouabilité15/20
Le système de jeu serait très riche s'il ne s'obstinait pas à encombrer le joueur d'un nombre impressionnant de paramètres à prendre en compte, pas forcément très clairs ni visibles, notamment lors de la customisation des personnages. Cependant, la relative difficulté satisfera un large panel de joueurs en proposant des challenges adaptables et la possibilité de recommencer facilement les combats en gardant l'expérience acquise au cours de l'essai précédent. Un effort d'ergonomie n'aurait tout de même pas été un mal.
- Durée de vie14/20
Si une quarantaine d'heures seront nécessaires pour atteindre l'une des trois fins du jeu, une bonne partie en sera alouée à équiper ses personnages en menu. Le jeu ne propose finalement que 26 missions mises bout à bout et une linéarité poussée à l'extrème. Un nouveau mode de difficulté cauchemardesque fera son apparition au terme de l'aventure, que vous pouvez d'ailleurs recommencer en gardant vos acquis.
- Bande son18/20
Les musiques orchestrales sont superbes, épiques et collent magnifiquement aux ambiances sombres et chevaleresques du jeu. Une vraie réussite qui risque bien de vous rester un bon moment en tête. Heureusement d'ailleurs, car aucune voix ne viendra habiller les dialogues ni les phases de combats.
- Scénario13/20
Les quelques rebondissements du scénario ne suffiront pas à relever le niveau de l'histoire, trop classique et trop courte dans son déroulement. Les personnages sont attachants bien que souvent caricaturaux et leur personnalité aurait gagnée à être plus dévellopée. Deux fins différentes viendront toutefois enrichir un peu l'intéret du scénario.
Vous l'aurez compris en lisant ce test, Gungnir possède bien des qualités mais souffre de défauts majeurs qui risquent fort d'entacher l'expérience d'un grand nombre de joueurs. Le jeu est donc plutôt à réserver aux joueurs habitués du genre, qui auront tôt fait de concentrer leur attention sur la stratégie à mener plus que sur la surcharge cosmétique. Un jeu rafraîchissant pourvu qu'on lui laisse le temps.