Tout jeu de rôle japonais qui se respecte se doit généralement de mettre en scène une équipe de jeunes héros dans leur quête pour sauver une humanité complètement passive face à un mal qui la menace. Growlanser : Wayfarer of Time tente de prendre le contre-pied de cette règle immuable en nous mettant aux commandes d'un groupe hétéroclite qui n'est finalement qu'un rouage dans le grand schéma des choses.
Growlanser est une série de jeux de rôle tactiques d'Atlus originale sur deux plans : d'une part, un système de jeu tentant de dépoussiérer les traditionnels échiquiers inhérents au genre et d'autre part, un style graphique reconnaissable car signé de la patte du dessinateur Satoshi Urushihara, connu pour ses mangas à tendance érotique. En tant que remake du quatrième volet de la série, Wayfarer of Time ne renie pas ses origines et conserve toutes ses particularités, avec ce que cela comporte de qualités mais aussi de défauts.
Le jeu met en scène un nombre important de personnages hauts en couleur, dont plusieurs font leur apparition à l'occasion de ce remake. Les graphismes, bien qu'extrêmement sobres et peu variés lors des phases de jeu, seront rehaussés par des illustrations particulièrement soignées lors des phases de dialogues, des scènes animées ou des rares événements spéciaux. On y suivra les tribulations d'un jeune mercenaire du nom de Crevanille. Ou Crevan si vous préférez. Oui, le nom peut prêter à sourire, mais l'on s'apercevra bien vite qu'il s'agit de la seule source d'hilarité qui nous sera consentie dans cette aventure. Effectivement, Crevan et son compère Remus seront brusquement confrontés à la perte d'êtres chers et contraints de servir une armée étrangère dans une guerre stérile qu'ils ne comprennent pas, voyant sans cesse des innocents tomber sans vie sous leurs yeux.
Sur le contient de Noyeval où se déroule notre histoire, trois grandes nations se livrent une guerre plus ou moins ouverte. S'y entremêlent des luttes de pouvoir, le contrôle des ressources naturelles et les velléités de chacun sur le terrain de ses voisins. Les petits pays environnants tentent de survivre comme ils peuvent dans ce conflit, mais tout le monde semble résigné à ce que celui-ci s'envenime, sans trop d'espoir pour la paix. A moins peut-être que l'une des nations ne parvienne à maîtriser les technologies légendaires qui semblent dormir dans les ruines d'une civilisation aujourd'hui disparue. Et ce ne sont pas les ridicules prophéties à base de divinités vengeresses qui les en dissuaderont. On assiste entre les trois belligérants à une sorte de partie d'échecs géante, chacun avançant ses pions tant sur scène qu'en coulisse, et alors que Crevan tente d'agir à son petit niveau, le reste du monde continue de tourner. Loin d'être complètement manichéen, le scénario est plein de rebondissements : les trahisons seront légion, les ennemis d'hier seront les amis d'aujourd'hui, et on devine que dans l'ombre, quelque chose d'autre attend son heure.
Pour s'adapter à cette ambiance de batailles stratégiques, le jeu propose comme de coutume dans la série un système de combats se voulant plus dynamique que d'ordinaire. Les combattants ne se meuvent pas au tour par tour, mais tous en même temps à la manière d'un STR, à ceci près que l'action se fige lors du choix des attaques et de la réalisation d'une action. C'est une jauge décroissante qui, une fois vidée, autorisera le personnage à agir, à condition bien sûr que sa portée le lui permette. Dans le cas contraire, il lui faudra se mouvoir pour se rapprocher de sa cible. Il est d'ailleurs possible de configurer manuellement le déplacement des personnages de l'équipe, au nombre de quatre, et de déterminer des points de passage qui permettront au joueur de supporter un peu mieux les problèmes de pathfinding, extrêmement présents, et c'est un euphémisme. Mais nous y reviendrons. En termes de possibilités, on reste sur du classique : chaque personnage peut attaquer avec son arme disposant d'une portée plus ou moins grande, utiliser des objets, lancer des attaques spéciales permettant un large panel d'effets, ou utiliser les diverses magies qu'ils maîtrisent. Ces sorts peuvent d'ailleurs être chargés, ce qui permet de les lancer plus tard avec une puissance accrue, voire de les combiner avec le sort d'un allié.
Le système d'apprentissage des compétences n'est pas sans rappeler des noms plus connus, comme Final Fantasy IX. Chaque membre de l'équipe est équipé d'un anneau lui permettant de matérialiser son arme de prédilection, et surtout d'équiper des pierres magiques selon le désir de personnalisation du joueur. En plus de faire bénéficier le personnage d'un effet direct sur ses caractéristiques, ou encore d'un bonus de combat (double coup, régénération de santé, etc.) ces pierres lui feront apprendre les techniques ou sorts qu'elles abritent à mesure de ses faits d'armes au combat. Plus clairement, tout ennemi tué se traduit en expérience pour les compétences équipées, qui pourront être utilisées à loisir dès qu'elles seront apprises. C'est simple, mais diablement efficace. Tout comme la possibilité de voir les groupes d'ennemis sur le terrain, et donc de les éviter ou de les prendre à revers. Ces petites escarmouches sont généralement très simples, et peuvent souvent être réglées en quelques secondes d'auto-attaque, à condition que vous vous assuriez de ne pas attirer les autres ennemis environnants sous peine de vous retrouver en fâcheuse posture. Malheureusement vous vous rendrez vite compte que les réglages trop rapides du système de combats rendent souvent l'action assez brouillonne, en particulier quand vous faites face à deux bonnes douzaines d'ennemis.
Le jeu est, dans sa globalité, loin d'être dur, et l'on aura peine à voir où se situe l'aspect tactique lors des premières heures. Mais les choses se corseront sacrément lors des batailles de plus grande ampleur et des joutes scénarisées. Loin de la banalité des combats aléatoires, celles-ci useront d'un grand nombre de situations différentes, allant du simple combat à la protection de multiples PNJ en passant par la défense de zone ou la poursuite d'un ennemi. Toutes les ruses permises par le système de combats devront alors être employées pour satisfaire aux conditions de victoire en évitant les causes de défaite immédiate. L'ennui, c'est que ce système qui se voudrait stratégique demande en fait de trouver LA stratégie que les développeurs ont prévu. Bien souvent, le joueur n'a que peu de latitude pour construire ses actions en faisant preuve de ruse et le moindre déplacement devra être millimétré. Et c'est là que le bât blesse : comment jouer de précision quand tant de problèmes viennent vous mettre des batons dans les roues ? En plus des pièges en tous genres concoctés par les ennemis des plus retors, il faudra composer avec un pathfinding loin d'être satisfaisant, l'impossibilité pour des persos du même bord de se croiser et pour finir des choix peu judicieux des développeurs dans le fonctionnement du système de combats. Ainsi vous retrouverez fréquemment vos personnages bloqués dans un chemin étroit par l'un de ses équipiers immobile occupé à lancer un sort. De même, un personnage faisant face à plus de trois ennemis se retrouvera souvent incapable d'agir, car la barre d'action remonte toute seule à chaque coup reçu. En ce sens, le jeu se montre souvent extrêmement frustrant, notamment lors des opérations de défense d'un PNJ qui peuvent basculer au moindre coup critique d'un adversaire, vous contraignant alors au game over. A se demander si les développeurs ne sous-traitent pas la récupération de cheveux pour un vendeur de perruques.
Et les motifs de déception ne s'arrêtent pas là. Car que ce soit dans le déroulement de son scénario ou dans l'évolution des possibilités en combat, on a l'impression de jouer à un produit mal calibré. Alors que les premières heures seront très riches en rebondissements, un relâchement se fera vite sentir de même que la linéarité du titre. On trouvera bien quelques petites quêtes annexes pour combler l'absence de donjons dignes de ce nom, mais la routine finira par s'installer quasiment jusqu'au terme de l'aventure. De même, le système de combat n'évoluera pas d'un iota passées les cinq premières heures, vous trouverez peu de nouvelles techniques utiles, et s'il est possible d'apprendre des magies combinées, promesses de nouvelles possibilités, celles-ci sont franchement peu pratiques à l'utilisation. Si on réussit à pardonner toutes ces petites fautes, on trouvera de nombreux motifs de se réjouir. Le scénario est finalement bien étoffé et se laisse suivre sans trop de problème, et certains de ses éléments sont directement influencés par le joueur. En effet, les très nombreux dialogues du jeu abritent un grand nombre de choix de réponses à donner, et si celles-ci n'ont pas de répercutions cruciales, elles influent sur la relation du protagoniste avec les autres personnages, et par extension sur les scènes obtenues lors de la fin du jeu. Enfin, là où vous ferez vraiment la différence, c'est sur votre capacité à changer les destinées souvent funestes des personnages secondaires. Que ce soit lors d'un combat ou en réalisant diverses actions, vous aurez parfois la possibilité de sauver les personnages du jeu, certains pouvant par la suite rejoindre votre équipe de combattants.
L'un dans l'autre, votre appréciation du jeu reposera en grande partie sur votre capacité à lui pardonner ses défauts, et à maîtriser vos nerfs lors des batailles, les plus génératrices de frustration. Avec un peu de self-control, vous pourriez bien avoir envie de découvrir les autres opus de cette série originale de jeux de rôle tactiques.
- Graphismes13/20
A l'ère où les consoles sont capables de véritables prouesses graphiques, de très nombreux T-RPG choisissent de conserver des sprites très basiques évoluant dans un univers en vue isométrique. Ce portage PSP ne fait pas exception, se contentant du strict minimum de retouches au niveau graphique malgré quelques efforts pour proposer des environnements détaillés et des cinématiques animées. Un soin particulier a été apporté aux portraits des personnages lors des phases de dialogues, dans le plus pur style de Satoshi Urushihara.
- Jouabilité15/20
Le gameplay aurait pu être une grosse réussite s'il n'avait été entaché de multiples problèmes d'ergonomie générale, particulièrement frustrants lors des gros combats. Le système d'évolution est par contre simple et efficace, permettant une personnalisation bienvenue des personnages selon les goûts du joueur.
- Durée de vie17/20
Comptez une bonne quarantaine d'heures de jeu en ligne droite pour voir le bout de votre première partie, une dizaine de plus pour faire le tour des extras (donjon bonus, Colisée). Ajoutez à ça le mode New-game+ qui propose de redécouvrir le jeu en bénéficiant de nouveaux choix et de deux nouvelles fins possibles tout en conservant votre inventaire de fin de jeu et vous obtenez une durée de vie plus que correcte.
- Bande son13/20
Contrairement à la version originale, la version américaine ne bénéficie pas d'un doublage complet lors des séquences de dialogues. On se contentera donc d'un doublage anglais lors des cinématiques animées, et de quelques interjections en combat. Les musiques, assez génériques, ne parviennent pas à affirmer le caractère assez sombre du titre.
- Scénario15/20
Mieux vaut être anglophone pour pouvoir saisir toutes les subtilités du scénario particulièrement fourni. Loin d'être manichéen, celui-ci met régulièrement en parallèle les actions de l'équipe avec les manipulations politico-militaires de toutes les forces en présence. On regrettera la construction en dents de scie de l'histoire qui risque d'en décourager plus d'un.
Avec son scénario qui peine à se mettre en place et son système de jeu malencontreusement bridé lors des premières heures de l'aventure, Growlanser : Wayfarer of Time aurait de quoi décevoir les plus chevronnés des rôlistes. Les plus tenaces découvriront finalement un titre plein de qualités, à l'univers mature et puisant ses inspirations chez les plus illustres de ses prédécesseurs. Un jeu de niche, oui, mais qui mérite qu'on lui laisse sa chance.