Si pour vous le déplacement case par case n'évoque pas seulement une limitation technique, mais le symbole d'une époque où l'on tremblait à chaque détour d'un couloir, où l'on traçait méthodiquement ses plans sur une feuille de papier et où l'on cherchait fébrilement un coin sûr pour se reposer, alors Legend of Grimrock est fait pour vous.
Sorti en 1987, Dungeon Master a redéfini les standards du dungeon crawler case par case en vue subjective. Ses combats en temps réel, son gameplay riche et exigeant et sa réalisation aux petits oignons lui ont valu de rentrer dans l'histoire. Et si le genre a fini par tomber en désuétude suite à la parution d' Ultima Underworld et de la nouvelle génération de jeux de rôle en 3D mappée, il aura engendré pendant plusieurs années une foultitude de clones plus ou moins convaincants (qu'on appelait d'ailleurs "Dungeon Master-like"), dont les gamers de l'époque se souviennent encore, la larme à l'oeil. Bloodwych, Black Crypt, Eye of the Beholder, Lands of Lore, Stonekeep... Voilà autant de sources d'inspiration pour Legend of Grimrock, même si le titre des Finlandais d'Almost Human se réclame surtout du fondateur du genre dont il se veut un vibrant hommage. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que si un tel pari était osé, il s'avère amplement réussi.
A l'image de son modèle, Legend of Grimrock ne s'embarrasse ni de longs préliminaires, ni de fioritures scénaristiques. Vous y incarnez un groupe de quatre condamnés, jugés coupables d'un crime qu'ils n'ont pas commis. Comme le veut la tradition, ils sont envoyés au mont Grimrock dans une vaste prison souterraine qui s'étend sur 13 niveaux. S'ils parviennent à s'en sortir, ils seront graciés. Mais jusque-là, personne n'a encore réussi cet exploit et pour cause : les gardiens de ce complexe ont été remplacés par de féroces créatures et de terribles pièges... Si le jeu vous propose quatre héros prédéfinis, vous aurez peut-être envie d'opter pour des personnages de votre cru. L'éditeur vous offre le choix entre 4 races (humaine, minotaure, insectoïde et reptilienne) et 3 classes (guerrier, mage et voleur). Il vous permet de répartir des points de statistiques (force, dextérité...), d'opter pour les compétences que vous préférez (parmi 6 spécifiques à chaque classe) et même de choisir des traits qui vous aideront à personnaliser au mieux chaque membre de votre groupe. C'est très complet pour un dungeon crawler ; on regrette simplement le peu de portraits disponibles. Avant de pénétrer dans les profondeurs de Grimrock, vous avez aussi la possibilité d'activer ou non le mode old school, qui supprime l'automap et vous impose de tracer vous-même le plan avec du papier et un crayon. Réfléchissez bien, car cela rend le jeu bien plus difficile et cette décision est irrévocable.
Il ne faudra pas plus de quelques minutes aux habitués des Dungeon Master-like pour retrouver leurs repères. Si la progression s'effectue case par case, des animations de transition fluidifient les déplacements, comme dans Lands of Lore ou Stonekeep. Vous avez la possibilité de vous déplacer avec le clavier ou de cliquer sur les flèches de direction comme à l'ancienne. Et pour assouplir un peu la rigidité du système, il est possible de regarder librement à 360° autour de soi en maintenant le bouton droit de la souris enfoncé. La souris vous permet aussi d'interagir avec l'environnement, que ce soit pour activer un levier, ramasser un objet à terre ou jeter quelque chose en face de vous. L'ensemble ne souffre d'aucun défaut d'ergonomie, d'autant que l'interface est bien pensée. Les fenêtres d'inventaire et de statistiques sont pratiques à l'usage, même si on regrette que les informations relatives à vos personnages soient éclatées sur plusieurs pages. Au-delà de cette jouabilité confortable, la progression dans les profondeurs de Grimrock n'a rien d'une partie de plaisir. Vous allez réapprendre à récupérer les torches sur les murs pour vous éclairer (même si vous bénéficierez à terme d'un sort de lumière), à gérer votre faim et votre encombrement et à dormir dans des environnements lugubres à souhait. L'ambiance est d'ailleurs très immersive : l'humidité suinte de jolies textures sur les murs, les lumières dynamiques sont splendides (et parfois utiles quand elles permettent de distinguer l'ombre d'un monstre au détour d'un couloir) et les sonorités gutturales contribuent à l'atmosphère générale.
Il s'agit donc de progresser avec prudence, d'autant que les combats sont terriblement exigeants. Vous avancez selon une formation en carré, les deux héros de devant étant destinés à encaisser les coups et à se battre au corps-à-corps, tandis que les personnages situés à l'arrière peuvent participer en lançant des sorts ou des attaques à distance (sachant que l'un des talents du voleur est que certaines armes comme la lance permettent de passer outre cette règle). Qu'ils soient slimes, araignées, guerriers squelettes ou démons cornus, vos adversaires sont aussi puissants que résistants. Ne comptez pas négocier les affrontements en restant face à eux ; il va vous falloir bouger en permanence pour esquiver leurs attaques et essayer de leur tourner autour. Voilà qui est plus facile à dire qu'à faire dans des couloirs étroits et des niveaux labyrinthiques. Du coup, le challenge consiste à manœuvrer de façon suffisamment habile pour ne pas se retrouver acculé contre un mur, ou pire, encerclé par l'ennemi. Ce qui est très gratifiant, c'est que le jeu permet de se défaire d'un adversaire trop puissant en faisant preuve d'ingéniosité. Pourquoi ne pas le faire tomber dans une trappe, l'enfermer derrière une grille ou l'attirer dans un téléporteur ? Il faut savoir se montrer inventif. Il est toutefois dommage que, contrairement à Dungeon Master, les portes ne soient pas des cases à part entière, ce qui ne permet plus de les utiliser pour guillotiner les monstres.
Legend of Grimrock reste un jeu résolument old school et pas particulièrement "user friendly". Ne comptez pas y trouver un raccourci permettant de changer d'arme à la volée en plein combat (ce qui aurait pu être utile au voleur). De la même manière, le système de magie consistant à combiner des runes pour lancer des sorts est un clin d'oeil appuyé à Dungeon Master. Comme dans cette illustre référence, il faudra attendre de mettre la main sur les formules ou essayer de les trouver de façon empirique. Le titre regorge de ce genre de partis pris qui raviront les vieux de la veille, mais pourront rebuter la jeune génération biberonnée aux aides de jeux de toutes sortes. Sachez aussi que si l'un de vos personnages est tombé au combat, vous ne pourrez pas le ressusciter avant d'avoir atteint un cristal dédié. On en trouve généralement un ou deux par niveau et cela occasionne parfois de fastidieux allers-retours (vu la difficulté de l'ensemble), auxquels certains pourront préférer le chargement de la dernière sauvegarde. L'idéal pour survivre est encore de se préparer au mieux, que ce soit en utilisant les nombreux équipements et items disponibles (ne négligez pas les bombes), en tirant profit de l'alchimie, qui permet de concocter diverses potions en mélangeant des ingrédients dans un creuset, ou encore en investissant le système d'expérience pour faire évoluer vos héros dans la direction souhaitée (guerrier tank ou berserker, voleur à distance ou au corps-à-corps, mage spécialisé dans un ou plusieurs éléments...).
Mais là où le jeu d'Almost Human brille sans doute le plus, c'est au niveau de son level-design très travaillé, qui rend l'exploration passionnante et la progression bien rythmée. Les énigmes sont particulièrement bien conçues. Si elles restent assez classiques dans leurs fondements (il s'agit souvent de jouer avec des leviers, des dalles et des téléporteurs), elles savent se renouveler et bénéficient d'une difficulté parfaitement dosée. Elles en appelleront à vos petites cellules grises sans jamais vous bloquer trop longtemps, même si le challenge sera croissant au fil des 13 niveaux traversés. A noter que ces derniers renferment tous une porte spéciale derrière laquelle il est possible de récupérer un précieux trésor en se creusant un peu la tête. Et puis il y a ces innombrables secrets à découvrir, qui sont la marque de tout bon Dungeon Master-like ; n'hésitez pas à scruter attentivement les murs pour ne pas en manquer. Si vous prenez le temps de les chercher tous, vous dépasserez allègrement la vingtaine d'heures de jeu, une durée de vie très intéressante en regard du tarif de 12 euros demandés. Cette longévité contribue à rendre l'acquisition de Legend of Grimrock absolument indispensable pour tout amateur du genre. On attend avec impatience une suite, ou à défaut une nouvelle aventure, puisque le jeu semble conçu pour accueillir de nouveaux modules. Il est même question d'un éditeur de niveaux qui permettrait aux joueurs de créer leur propre contenu. On en salive d'avance !
- Graphismes16/20
Si les décors proposés ne sont pas bien nombreux (vous n'aurez droit qu'à 3 environnements différents), les textures de murs sont très réussies et magnifiées par des lumières dynamiques du plus bel effet. Les créatures bénéficient d'animations de bonne facture pour un jeu indépendant. L'ensemble parvient à concilier une ambiance glauque avec une lisibilité optimale.
- Jouabilité18/20
Legend of Grimrock combine une ergonomie quasi-irréprochable à un gameplay old-school qui ne vous prend jamais par la main. Tracer soi-même ses plans, expérimenter de façon empirique les systèmes de magie et d'alchimie, résoudre des énigmes ingénieuses et mener à bien des combats terriblement exigeants : le pied total !
- Durée de vie16/20
Legend of Grimrock offre une vingtaine d'heures de jeu, voire davantage si vous vous mettez en quête du moindre secret. Voilà une longévité très appréciable pour un dungeon crawler, d'autant que la latitude offerte dans le développement des personnages et le nombre faramineux de secrets à découvrir lui offrent un certain potentiel de rejouabilité.
- Bande son16/20
La musique du menu principal est entraînante, mais dès l'entrée dans les profondeurs de Grimrock, elle laisse la place à des sonorités ambiantes aussi gutturales qu'inquiétantes, qui rendent le jeu très immersif. Les bruitages sont toutefois un peu inégaux.
- Scénario/
Legend of Grimrock n'est pas qu'un hommage à Dungeon Master ou un exutoire pour les nostalgiques d'une époque révolue. C'est surtout un dungeon crawler formidablement addictif, qui nous rappelle que les avancées technologiques ne sont pas le garant du plaisir de jeu. Beau, immersif, doté de combats exigeants, d'énigmes bien conçues et d'un level-design aux petits oignons, le titre de Almost Human est de surcroît doté d'une bonne durée de vie et d'une finition exemplaire. S'il fallait lui trouver un défaut, on évoquerait alors son classicisme : en prenant le parti de rester dans le giron du fondateur du genre, il se prive peut-être de la variété d'un Lands of Lore ou de l'inventivité d'un Stonekeep. Mais qu'importe, puisque le pari est aussi réussi qu'il était osé. Un achat obligatoire pour tout amateur du genre.