Mata Hari a été développé par le studio allemand Cranberry Production en collaboration avec Hal Barwood et Noah Falstein. Ces deux ex-Lucasarts sont connus pour avoir conçu le mémorable Indiana Jones and The Fate of Atlantis, sorti en 1992 sur Amiga et PC, et dont le scénario surpasse à bien des égards celui du quatrième film sorti en 2008. On attendait donc ce Mata Hari avec une impatience non dissimulée. Si l'histoire dont il s'inspire, celle de l'espionne éponyme, est désormais bien connue, le début du XXème siècle est une époque peu traitée dans le jeu vidéo en général et les point'n click en particulier. Joliment reconstitué et brillamment exploité, le contexte permet de suivre de façon crédible le destin de cette femme ambitieuse, qui devint plus ou moins malgré elle le jeu des grandes puissances européennes et servit des intérêts qui la dépassaient. Bien que le jeu romance l'histoire de Mata Hari et prenne des libertés avec la chronologie (son rôle d'espionne débute ici en même temps que sa carrière de danseuse), on y retrouve des personnages historiques célèbres, que la belle croisa réellement (Georges Ladoux, le major Von Kalle) ou aurait pu croiser (Gabriel Astruc, Marie Curie).

L'histoire débute en 1905, alors que Margaretha Geertruida Zelle, une Hollandaise qui vécut plusieurs années aux Indes, commence à se produire dans un théâtre parisien sous le pseudonyme de Mata Hari. Ses spectacles de danse orientale osée plaisent au public. Ambitieuse, elle se rend à une soirée mondaine pour y rencontrer Gabriel Astruc, le célèbre imprésario. C'est là qu'elle fait la connaissance de Samsonet et de Schragmüller, deux espions qui lui demandent de mettre ses talents de séductrice au service de la paix. Elle se voit aussitôt confier des missions d'espionnage destinées à empêcher les tensions de s'accentuer dans une Europe qui se divise. Elle est un jour démasquée par Georges Ladoux, le chef du service de contre-espionnage français, qui lui demande alors de séduire le major allemand Von Kalle afin de lui soutirer des informations relatives à un projet militaire secret. Mata Hari aura bien du mal à tenir ce rôle d'agent double englué dans une affaire d'espionnage industriel à l'aube de la Première Guerre mondiale. Sans doute connaissez-vous l'issue tragique de son histoire, mais sachez que le jeu vous propose de la modifier au gré des différentes fins alternatives disponibles.

Il est particulièrement agréable de suivre le destin de cette femme émancipée dans l'Europe du début du siècle dernier, d'autant que les dialogues figurent parmi les mieux écrits qu'ont ait vus depuis longtemps. Le gameplay risque pourtant de décevoir les puristes du genre, tant les mécanismes du jeu d'aventure traditionnel ont été simplifiés afin de séduire un très large public. Un sujet important est évoqué à l'occasion d'une discussion ? Une icône à son effigie vient rejoindre la barre d'actions située au bas de l'écran. Il vous suffira de cliquer sur cette icône et de la faire glisser sur votre prochain interlocuteur pour aborder le sujet avec lui. Cette barre d'actions fait aussi office d'inventaire et permet les associations d'objets. Comme il est désormais de coutume dans les jeux d'aventure, une touche permet d'afficher les points d'intérêt sur chaque écran de jeu. Et accessibilité oblige, vous n'aurez pas à vous triturer la tête pour résoudre les énigmes, puisque les objets s'entourent d'un petit halo doré dans le cas d'une interaction valide. Chaque lieu n'est de toute façon constitué que de 1 à 3 écrans, la solution se trouvant au pire dans la pièce à côté. Les amateurs d'énigmes tordues et d'associations d'objets improbables en seront pour leurs frais.

A plusieurs reprises, Mata Hari devra utiliser ses talents de séductrice : il vous faudra commencer par cerner la personnalité de son interlocuteur (timide, macho...) puis opter pour telle ou telle approche (soumission, rejet, audace...). Cette idée est bien sentie mais pas forcément bien exploitée puisque vous aurez la possibilité de tester une par une les différentes attitudes sans conséquence aucune. C'est le prix à payer pour satisfaire le joueur occasionnel, qu'il a par ailleurs fallu combler en intégrant quelques mini-jeux. L'héroïne doit danser ? Aidez-la à garder le rythme en activant des notes de musique lorsqu'elles passent à travers des pastilles. Elle doit voyager ? Choisissez, sur la carte de l'Europe, les lignes de train qui lui permettront d'échapper aux services de contre-espionnage. Ces mini-jeux ne sont guère intéressants, mais même si leur difficulté s'étoffe au fur et à mesure (quelques puzzles plus complexes vous attendent par la suite), ils ont le bon goût de ne pas hacher une progression qui reste simple et fluide de bout en bout, et qui donne l'impression d'assister à un film interactif. Le jeu use et abuse même des ellipses pour vous éviter déplacements fastidieux et chutes de rythme.

Pour peu que vous ne soyez pas un joueur exigeant, vous devriez donc apprécier cette aventure qui vous entraîne aux quatre coins de l'Europe. D'autant que les superbes écrans de jeu, émaillés de nombreuses petites animations qui leur donnent vie (des passants qui flânent, un grand-bi qui circule, des feuillages qui s'agitent, une montgolfière qui passe...) ont été réalisés dans le respect de l'architecture et de la décoration de l'époque. Le rendu visuel souffre tout de même de quelques reproches : on pense aux gros plans lors des dialogues (qui trahissent une modélisation anguleuse, une animation perfectible et des textures floues), au manque de relief de certains éléments en 2D (surtout en extérieur) et à l'absence d'animation contextuelle lorsque l'héroïne utilise un objet. Au niveau sonore par contre, c'est un sans-faute : les sons d'ambiance sont nombreux et immersifs, les musiques d'époque très agréables à entendre et les doublages en français tout simplement remarquables. Mention spéciale à la doubleuse de Mata Hari, dont la voix est empreinte d'un mélange de sensualité, de naïveté et de détachement qui lui sied fort bien. En dépit des actes immoraux auxquels elle est parfois forcée de se livrer, l'héroïne parvient même à susciter une surprenante empathie chez le joueur.