Si à première vue, Les Sopranos semble être le pendant télévisuel du Parrain, la voie choisie par David Chase est légèrement différente car plus proche de notre quotidien. Ainsi, si la saga de Tony Soprano, chef de clan charismatique de la mafia du New Jersey, entretient bien des rapports avec celle des Corleone, le show de HBO s'est davantage évertué à dresser un portrait d'une Amérique multiraciale sous forme de psychanalyse familiale. De ce constat, il ne reste rien dans Road To Respect qui ironiquement commet toutes les erreurs évitées par DeCesare en alignant tous les poncifs possibles et inimaginables aussi bien en terme de narration que de gameplay.
Quelques années avant qu'Alan Ball ne crée Six Feet Under, une des meilleures choses qui soit arrivé à la télévision américaine depuis belle lurette, David Chase imaginait déjà une série centrée sur les relations familiales gouvernées ou du moins influencées par le milieu professionnel atypique où évoluent les membres de la smala. Les Sopranos, figure de proue de la célèbre chaîne câblée HBO, aura donc profité du passé de son créateur, en se nourrissant de ses angoisses et des événements ayant marqué sa vie, pour en sortir quelques-uns des personnages télévisuels les plus marquants de ces dix dernières années. Ainsi, si Tony Soprano, campé par un magistral James Gandolfini, demeure le pilier central de la série, la clé de voûte du show reste plus que jamais toutes les personnes gravitant autour du Boss, de sa femme Carmela à ses enfants Meadow et Anthony Junior, en passant par sa mère, sa psychothérapeute, Jennifer Melfi, sans oublier tous ses capots, lieutenants et amis : Christopher, Paulie, Sylvio, Pussy, Ralph, etc.
Maîtrisant à la perfection l'humour noir, ballotté entre des dialogues admirablement écrits et une interprétation toute en finesse, Les Sopranos subjugue, étonne et renvoie une vision à la fois, tendre, caustique et iconoclaste d'une société confrontée à tout un tas de problèmes qu'elle tente parfois d'éluder. L'American Way of life en prend un coup et le spectateur jubile. Dans ce cas, comment se fait-il qu'avec un tel matériau, 7 Studios n'en ait rien tiré si ce n'est quelques personnages clés (doublés par leurs homologues de chair et de sang) ainsi que des situations mille fois rencontrées ? Difficile de répondre à cette douloureuse question qui met néanmoins en avant le côté "profiteur" du jeu. Tout semble factice dans Les Sopranos : Road To Respect à commencer par l'intervention du fils de Pussy qui décide de se mettre aux services de Tony, sans savoir que c'est ce dernier qui a commandité le meurtre de son padré après avoir découvert qu'il offrait quelques renseignements au FBI au sujet de la Famille.
De fait, Road To Respect reprend le même schéma narratif de l'adaptation du Parrain, par le biais de missions à remplir et de situations mettant en scène les personnages de la série éponyme. Malheureusement, là où Electronic Arts avait plus ou moins réussi son coup en extrapolant sur des passages anecdotiques ou des détails d'intendance laissés dans l'ombre par Coppola, la version ludique des Sopranos ne tente à aucun moment de consolider l'oeuvre originale. Pire, elle ressasse simplement plusieurs scènes du show en remplaçant, par exemple Christopher par le fiston de Pussy. Ainsi, une des toutes premières missions fait écho à une des scènes de l'épisode 2 de la saison 1 sans parler du début des Affranchis. Certes, les développeurs connaissent leur sujet mais ce recyclage a pour effet de minimiser l'impact du déroulement de l'histoire sans parler de celui de la mission en cours. Bien sûr, on peut prendre Les Sopranos comme un simple "GTA-like" mais dans ce cas, où est l'intérêt pour le fan qui attend bien plus d'une telle adaptation ?
Cela dit, vu sous l'angle de d'action pure et dure, le jeu de THQ montre rapidement ses limites. Le premier problème vient sans doute de l'architecture même du titre qui se voit segmenter en chapitres synonymes de missions. Si on peut légitimement penser que les scénaristes ont opté pour cette construction en épisodes afin de se rapprocher du format d'une série, le revers de la médaille est une absence de cohésion, le fragile équilibre entre chaque chapitre étant souvent balayé par des temps de chargements plutôt longuets. Au final, on enchaîne les objectifs en éprouvant de plus en plus de lassitude, cette dernière venant aussi du fait que la jouabilité emprunte à ses concurrents sans chercher à y inclure la plus petite nouveauté. De fait, le système de combat doit beaucoup à celui de la Main Noire du Parrain, ou celui du Punisher, dans le sens où, après avoir asséné plusieurs coups à votre adversaire, vous pourrez agripper le malfrat pour tenter de placer une attaque spéciale (assignée à une des touches de la croix de direction) en utilisant les sticks analogiques. Pas très stimulant si vous voulez mon avis surtout que les combats sont mous malgré la possibilité de se servir de divers objets comme armes ou celle de sortir un flingue pour écourter les négociations.
Cependant, rendons à César ce qui appartient à César en mentionnant la notion de respect qui évoluera au fil du jeu. Jusque-là, rien de neuf vu qu'on trouvait la même notion dans Le Parrain sauf qu'ici, en plus de vos actions, il sera souvent question d'influer sur le cours de nombreux dialogues en choisissant vos réponses. Vous aurez alors l'occasion d'être agressif, défensif ou bien neutre, ceci influençant parfois la suite des opérations. Pourtant, d'une idée originale à la base, on arrive très vite à quelque chose de barbant, les dialogues étant trop nombreux et passablement ennuyeux car ne servant jamais une histoire digne de ce nom. Au bout du compte, on esquisse un sourire en retrouvant des lieux bien connus des habitués comme le Bada Bing ou le Vesuvio, on apprécie de retrouver les comédiens derrière les avatars de pixels mais l'affaire s'arrête là, Les Sopranos : Road To Respect ne pouvant jamais tenir tête à ses modèles. Finalement, peut-on reprocher au jeu ses nombreuses tares (faible diversité des missions, impossibilité de changer de fringues, de conduire une caisse, IA inexistante...) sans se demander si à l'origine le projet n'était-il tout simplement pas voué à l'échec en ce sens que la série de Chase a toujours joué sur la fibre émotionnelle plutôt que sur celle de l'action crapuleuse ? Je serais tenté de répondre par l'affirmative car si Les Sopranos reste une des séries qui m'a le plus marqué ces dernières années, le soft de THQ n'aura réussi qu'à me faire soupirer. Quel gâchis.
- Graphismes11/20
Il est bien évident que la plupart des lieux récurrents de la série ont été conservés dans le jeu mais au-delà de ce qui est imposé par la charte, les chapitres se déroulent la plupart du temps dans des endroits plus ou moins conventionnels. Techniquement assez faible, Les Soprano souffre également de quelques bugs graphiques qui ne viennent pas arranger le tableau.
- Jouabilité11/20
Reprenant des idées du Parrain, de The Punisher et des GTA-like en règle générale, le gameplay du jeu est une espèce de patchwork sans âme comprenant malgré tout quelques idées nouvelles, malheureusement mal exploitées. On regrettera aussi qu'il faille tout le temps jouer avec la caméra pour voir nos adversaires, sans parler des temps de chargements trop longs ou la non localisation du jeu.
- Durée de vie11/20
La plupart des missions sont courtes et la difficulté n'est pas excessive. Il est parfois possible de jouer aux machines à sous et le seul vrai bonus à débloquer est un mini-jeu de poker. Le titre étant très limité, inutile de vous dire que les heures de jeu fondront comme neige au soleil. Signalons tout de même quelques artworks et vidéos à débloquer grâce à l'argent récolté durant le mode Aventure.
- Bande son14/20
Inutile d'espérer y retrouver des artistes comme Eurythmics, Frank Sinatra, Springsteen, Elvis Costello ou Bob Dylan. De l'éclectique bande-son de la série, le jeu n'a gardé (pour des questions de droits j'imagine) que l'excellent Main Theme du groupe A3, Woke Up This Morning. A ce dernier, on rajoutera tout de même plusieurs morceaux collant à l'ambiance ainsi qu'un doublage convaincant grâce aux acteurs du show.
- Scénario8/20
La force de la série devient la plus grande faiblesse du jeu qui s'égosille inutilement en multipliant des dialogues peu inspirés et ne venant jamais consolider une histoire qui en aurait pourtant eu bien besoin. Le chapitrage du titre ne vient pas arranger les choses en faisant de chaque mission un épisode reposant sur des objectifs anecdotiques. Et quid de la sphère familiale et des personnages de Carmela, Jennifer ou bien encore Meadow ? A première vue, ils ne semblent jamais avoir existé dans l'esprit des scénaristes.
Le frisson qui me parcourut l'échine lorsque j'entendis parler pour la première fois de l'adaptation des Sopranos se transforma en indifférence avant de se muer en âpre déception après quelques heures de jeu. Délaissant tout l'aspect psychologique et social de la série éponyme, 7 Studio et THQ ont transformé un diamant noir en simple bout de charbon. Perdu entre une jouabilité trop fade et un scénario fantôme, Les Sopranos : Road To Respect aurait justement dû en avoir un peu plus pour la création de David Chase, au risque de repenser le GTA-like d'un point de vue plus psychologique.