Loin du fracas actuel, de ce quotidien rythmé par des chiffres de ventes et de grands effets de manches, Baten Kaitos Origins poursuit son bonhomme de chemin. Il l'avait entamé au Japon en février dernier et doit l'achever chez nous l'année prochaine. Sans surprise, tout le monde ou presque s'en fiche, qu'il s'agisse des Japonais ou des Américains, dans la presse comme dans la rue. C'est un peu embarassant (pour eux) vu qu'il s'agit de l'un des meilleurs jeux de l'année.
J'avoue avoir du mal à comprendre certains sites ou magazines américains. Ceux-là même qui te mettent "révolution !" toutes les deux lignes pour le dernier FPS scripté aux explosions de différentes tailles et de différentes couleurs, et qui esquissent dans le même temps un vague et frileux conseil d'achat à propos de ce Baten Kaitos Origins. Mais attention, uniquement aux derniers possesseurs de GameCube et fans de RPG, la recommandation. Comme si ça allait de soi. Comme si Baten Kaitos Origins devait être à la fois le fossoyeur de la GC et un jeu forcément underground, destiné à une niche qui n'a de toute façon pas besoin de conseils pour savoir ce qu'elle désire. Quelle blague.
Baten Kaitos Origins démarre 20 années avant les évènements des Ailes Eternelles, sorti l'année dernière en Europe, pas cher et disponible chez tous les revendeurs vertueux. On chapeautait l'existence de Khalas, un personnage que l'on aimait haïr ou que l'on détestait adorer, du haut de notre omnipotente position de gardien de l'esprit. Il y avait un misérable empereur, un démon antique, des possessions, du drame, des pleurs, du sang et de l'amour, c'était très bien. Il y avait surtout un jeu de rôle fou d'innovations, de générosité et de caractère. Le premier, et le seul à ma connaissance, Card-RPG. Les magnus, cartes de jeu, gérait alors aussi bien certains puzzles dans les phases d'exploration que les combats par des actes attaque/défense très Magic The Gathering dans l'âme. Mais Tri-Crescendo s'était amusé, avait ajouté quelques idées bien senties, et nous avait sorti un de ces systèmes de combat délicatement équilibré, sophistiqué et malgré tout dynamique, pour tout dire quasiment parfait. Liberté était le mot d'ordre de la direction artistique, qui sautillait avec verve et panache tantôt vers des tableaux aux charges visuelles organiques tantôt vers l'hommage éhonté aux sculptures de Miro (un artiste dont les Japonais sont d'ailleurs friands). Ce surréalisme de pixels s'ébrouait dans un monde d'îles en lévitation, à la manière du vénérable Skies Of Arcadia. Et tout ça allait taper dans les 50 à 60 heures de jeu, une longévité malheureusement entachée par quelques gros temps morts. Heureusement que de bons coups d'accélérateurs et de retournements de cerveaux venaient repropulser le schmilblick. Bon, bien, bref, passons à la préquelle.
A bien y repenser, Romendil m'a posé récemment, entre deux bêtises, une question carrément pertinente. Tu conseillerais à un ingénu de commencer par quel Baten ? La préquelle ou l'épisode 1 ? Eh bien sache, petite chose, que je suis aujourd'hui en mesure de te répondre. Baten Kaitos Origins est bien plus abordable que ne l'était Baten Kaitos 1 - il faudra penser à dire ça à ceux qui veulent le rendre innaccesible aux non-inités. L'ajout du Wing Dash, la diminution de moitié du nombre de personnages jouables et la sérieuse réinterprétation du système de combat sont autant d'efforts vers une compréhension plus rapide du gameplay. Le premier mécanisme cité consiste en une légère accélération volante, conditionnée par une jauge qui se remplit moins vite dans les villes. Le gain de temps et le confort dans les déplacements sont indéniables. Le passage à 3 personnages va de pair avec un changement assez énorme : un seul deck commun pour tous les membres du groupe et le système de Relay Combo. Je vais y revenir. Tri-Crescendo a aussi sucré la phase de défense au profit d'un seul acte qui incorpore protection et attaque en même temps. Concrètement, les Magnus d'équipements, et donc de défense, doivent désormais être placés en entrée puis suivis par une chaîne d'attaques simples et enfin spéciales. Là intervient le Relay Combo, qui vous permet de prolonger la farandole de coups avec un autre personnage. Deux conditions cependant : d'une part, bien terminer une combinaison par une attaque spéciale et d'autre part, avoir encore un combattant disponible. Eh, logique. Juste encore un petit mot sur le fait que les combinaisons ne peuvent désormais plus prendre d'autres formes que des suites (1, 2, 5... non, 3 ! Lancez la sainte grenade !). Et encore un autre sur la possibilité d'écarter n'importe quelle carte, ce qui vous coûte quelques secondes de "recharge" avec le personnage en cours. On gardera sous le coude le reste des nouveautés : MP Burst, attaques simples +, Magnus d'éléments...
L'essentiel, c'est que vous reteniez ça : c'est d'une nervosité jouissive. Tant et si bien que le petit jingle "Fight !", qui précède les affrontements et qui sonne incontestablement jeu de combat 2D, est des plus naturels. Comme les cartes rentrent désormais dans le deck sitôt après leur utilisation, et que la notion de timing est primordiale pour sortir deux Relay Combo, c'est-à-dire effectuer une ronde complète des personnages, le niveau de concentration et de tension est de très loin supérieur à celui de Baten Kaitos 1. Mais les techniques sont aussi plus directes et simples à comprendre, à condition évidemment que vous n'ayiez aucune allergie avec la gestion d'un deck. En effet, consécutivement à cette limitation d'un seul tas, vous avez intérêt à vraiment optimiser la pioche. Un deck épuré, et donc court, sera toujours préférable pour limiter le temps perdu à écarter des cartes. La constitution de ses decks (vous pouvez toujours en établir autant que vous voulez puis sélectionner celui qui sera actif) en devient un véritable plaisir masochiste. C'est couru d'avance : le jeu multiplie les groupes d'ennemis différents, apportant chaque fois un bouleversement dans votre approche. Pire : les boss sont sacrément résistants et, non, le level up n'y changera rien, il va falloir que tu les mettes ces Magnus de soin et de force, mon grand, et que tu te débrouilles pour nous sortir la baraka des grands soirs. Tendu, vous dis-je. Cette preview évitera sciemment de décrire en détail le passage au premier plan des Blank Magnus. Tenez simplement pour dit que non seulement les essences ne cessent d'être retirées, exploitées, spoilées, mais que désormais elles peuvent aussi être mélangées dans un seul Blank Magnus. Le nombre de combinaisons est assez fortiche, une bonne trentaine au bas mot.
C'est clair, Baten Kaitos Origins a toutes les cartes en main pour entraîner dans sa roue un large public. Cela inclut d'entrée ceux qui apprécient les combats éxécutifs et intenses. On remarque d'ailleurs que Baten Kaitos Origins suit une mouvance actuelle, aussi fortement présente dans les deux autres canons RPG de l'année : Xenosaga 3 et Final Fantasy XII. Alors, est-ce que le fan de Baten Kaitos 1 adhèrera forcément ? Non, il est possible que certains restent sur la touche, ne voyant que des modifications simplistes destinées à vulgariser les combats. Un avis qui, je l'espère, sera balayé après une vingtaine d'heure de jeu, quand la difficulté finit par imposer une certaine prudence, mais aussi face à cette fable "mélancolico-sibylline" qui trahit progressivement son immense portée sur l'ensemble de la saga, du monde flottant et de son histoire. Les liens qui unissent Origins au titre de 2005 ne cessent de créer, justement, des "racines" logiques et passionantes aux personnages, aux lieux, aux évènements découverts dans les Ailes Eternelles. Ainsi nous est dépeint l'éducation de Skeed et Vallye, soumis à l'apologie de l'Empire par une mère autoritaire. Le continent de Diadem nous apparaît plus mortellement beau que jamais et son jeune roi Ladekahn apprend la gouvernance avec les premiers mouvements alarmants de l'Empire. Giacomo et Geldoblame bougent dans l'ombre, tandis que Mintaka et Azha ignorent qu'elles sont en sursis.
Pour autant, Baten Kaitos 0 n'est certainement pas un historique poussièreux des évènements pré-Baten Kaitos 1. La trame, l'ambiance et les intentions narratives en sont d'ailleurs éloignées. Les scénaristes ont d'abord veillé à désamorcer toutes les redondances prévisibles qui auraient pu surgir. Preuve principale, Sagi, notre héros, est un personnage qui s'avère ouvertement schizophrène après même pas une heure de jeu. Et ses plongées à coeur ouvert dans une réalité différente, avec changement d'époque, de lieux et de "famille" (je n'en dis pas plus) au programme, n'est que l'accroche d'une intrigue bouleversante, un tout qui nous dépasse, nous fait chialer comme des gosses. Avare en crescendos empathiques, d'une douce tristesse, portée par un Sakuraba qui se découvre des qualités à la Badalamenti, l'histoire de Baten Kaitos Origins est tout simplement plus forte et plus belle que celle de Baten Kaitos 1. Voilà, c'est dit. Alors, il nous reste tant de choses à dire, des éléments plus légers d'ailleurs car le titre sait aussi se montrer rigolard, mais il est déjà temps de conclure et de vous annoncer la bonne nouvelle : nous vous préparons un de ces dossiers, mes amis, je ne vous raconte pas. Histoire de fêter dignement l'arrivée, non pas de l'ultime bijou de la GameCube, mais, tout simplement, d'une oeuvre formidable. "Je me rappelle de mon visage, mais là... il n'y a plus de reflet..."