Après avoir proposé le très instructif et pédagogique Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Yoan Fanise s'est à nouveau employé à traiter d'un sujet qui lui tient à cœur dans son nouveau projet baptisé 11-11 Memories Retold. Et à seulement quelques jours de la célébration du centenaire de l'armistice de 1918, le titre de Digixart choisi de prôner davantage la paix et la fraternité que de s'appesantir l'horreur du conflit.
Autant le dire immédiatement, les plus historiens d'entre vous ne doivent pas s'attendre à une fidélité méticuleuse à la réalité de la Grande Guerre. 11-11 Memories Retold est davantage à considérer comme un conte intimiste au cœur de l'événement meurtrier, prétexte à aborder des thèmes tels que l'amitié, la fierté, l'amour, la peur ou la fraternité.
La Guerre à échelle humaine
Vous incarnerez à tour de rôle, deux personnages. Le premier, Harry, est un jeu photographe canadien un rien naïf tombé amoureux de la fille de son employeur. En quête de prestige pour séduire sa belle, l'homme choisit de s'enrôler afin de revenir auréolé de gloire, en couvrant depuis son objectif les différents moments clefs de certaines batailles. Le second personnage, Kurt, est quant à lui un ouvrier allemand, marié et père de deux enfants. Son fils ainé, Max, déjà soldat, a malheureusement été porté disparu, tout comme l'intégralité de son régiment. Kurt estime alors que prendre part au conflit est le meilleur moyen de savoir ce qu'il est advenu de sa progéniture.
L'une des principales forces de 11-11 Memories Retold réside dans sa narration. Racontée essentiellement par l'intermédiaire de la correspondance qu'entretiennent les protagonistes avec les êtres qui leur sont chers, l'écriture fait preuve d'une certaine finesse, exacerbant autant la candeur de Harry que l'aspect plus robuste et mature de Kurt. Les deux hommes, engagés pour des raisons bien différentes, n'ont pas les mêmes attentes, pas les mêmes espoirs ni les mêmes tourments, et leur portrait est très bien brossé dans chacune de leurs interventions. Par ailleurs, les destins de ces deux personnages se croiseront rapidement et il s'instaurera naturellement un lien fraternel entre eux. La très bonne idée du titre est de ne pas avoir cédé à la facilité en permettant à Harry et Kurt de communiquer facilement. Au contraire, l'un parlant allemand et l'autre anglais, la barrière de la langue est l'un des principaux obstacles à leur compréhension mutuelle, ce qui s'avèrera parfois beau et parfois dramatique. Si l'on pourrait reprocher au jeu d'adopter un propos assez consensuel qui démontre logiquement que quel que soit le camp, les hommes qui s'affrontaient n'étaient enthousiasmés à l'idée de mourir ou de devoir tuer, certaines phases de jeu sonnent juste et s'avèrent poignantes. C'est essentiellement dans les différents changements de ton et d'atmosphère que le jeu parvient à montrer le contraste de la guerre, alternant moments de vie et instants plus violents.
Ceci étant, l'ensemble reste assez poétique et lumineux. N'étant jamais vraiment démonstratif, il existe tout de même une certaine édulcoration de ce conflit qui a provoqué la mort de millions de personnes, soldats comme civils. Si vous retrouverez bien, par l'intermédiaire de collectibles, certains documents détaillant, photo à l'appui, la réalité des pratiques des soldats, l'échelle de l'aventure est essentiellement humaine et intimiste, ne déviant que rarement des enjeux personnels de chacun des protagonistes. Plus fantaisiste, vous aurez également la possibilité d'incarner des animaux, renforçant ainsi l'aspect « fable » du récit. Notez enfin que des choix seront proposés à certains moments clefs et qu'ils pourront influencer la fin du jeu, qui se boucle en environ 4 heures.
Puisqu'il s'agit tout de même d'un jeu vidéo, quelques phases interactives interviennent entre deux séquences narratives. Assez dispensables, les moments de gameplay se résument la plupart du temps à récolter un objet puis de l'apporter à un endroit fixe, ou de résoudre des mini puzzles qui ne mettront clairement pas votre matière grise à contribution. Pas franchement intéressant, le gameplay en général aurait pu faire preuve d'une attention plus soutenue et d'un peu plus de diversité pour impliquer plus activement le joueur. Cependant, ces séquences ont le mérite d'exister et ont pour principal avantage de profiter de l'atmosphère du jeu.
Une esthétique tranchée et superbe
Impossible de passer sous silence le parti pris esthétique de 11-11 Memories Retold. Particulièrement tranchée, la direction artistique du jeu sera forcément clivante tant elle sort des sentiers battus. Adoptant une approche impressionniste donnant la sensation de naviguer dans des tableaux de Van Gogh, l'esthétique générale est assez perturbante au départ puis finit par susciter l'admiration. Chaque environnement traversé est subtilement éclairé et a profité d'un soin tout particulier pour être suffisamment différent du précédent sans pour autant sacrifier l'homogénéité de la griffe artistique. Un vrai tour de force et un parti pris assumé qui, s'il ne sera pas du goût de tout le monde, est suffisamment atypique pour faire sortir 11-11 Memories Retold du lot..
Alors, non, le jeu n'est pas parfait. On pourra lui reprocher la présence de bugs parfois assez importants, parfois plus mineurs qui ressortent le joueur de l'immersion dans laquelle il n'a eu aucune peine à se mettre. Certaines maladresses sont également à déplorer dans les animations et les expressions des personnages, et certains doublages, notamment français, sonnent faux. Mais s'attarder sur ces défauts reviendrait à négliger les nombreuses qualités de 11-11 Memories Retold qui porte un regard atypique sur la Première Guerre mondiale.
Trailer de 11-11 Memories Retold
Points forts
- Direction artistique tranchée et (souvent) superbe
- Une écriture soignée, qui sonne juste
- Quelques scènes vraiment poignantes
- Exploitation intelligente de la barrière de la langue
- Bande son qui fait mouche
- Plusieurs choix, pour plusieurs fins
Points faibles
- Quelques maladresses de réalisation
- Une poignée de bugs assez prononcés
- Mini jeux et interactions sous exploités et peu intéressants
- Doublages inégaux
- Un propos parfois un peu consensuel
11-11 Memories Retold cherche à porter un regard différent sur la Grande Guerre et se concentre essentiellement sur le destin de deux hommes que tout oppose en apparence. Intimiste et parfois fantaisiste, le titre s'éloigne de la réalité historique pour se laisser aller à un conte plus lumineux contrasté par scènes plus sombres. Avec son écriture soignée, sa direction artistique à tomber et quelques moments de grâce, il ne manque au jeu de Digixart qu'un propos un peu moins édulcoré et une finition de meilleure qualité pour décoller pleinement. Quoi qu'il en soit, 11-11 Memories Retold est une belle démonstration de jeu vidéo artistique.