Brutaux, farouches, fiers... des tas d'adjectifs viennent immédiatement à l'esprit lorsque l'on pense aux Vikings. Dans Dead in Vinland, oubliez tout cela. Le titre des Lillois de CCCP nous apprend la vie dure aux côtés d'une famille composée de quatre Nordiques naufragés, dont la vie ne tient qu'à un fil. Bannis de leur village et coincés sur une île pas tout à fait déserte, il faut assurer leur survie jour après jour en tirant profit des ressources qu'elle offre, tout en subissant le racket d'un barbare tyrannique. Un mélange de gestion, de survie et de jeu de rôle, servi par une narration façon visual novel et des mécaniques diaboliquement efficaces. Attention, produit hautement addictif.
Dead in Vinland, un jeu à mi-chemin entre RPG, jeu de survie et gestion
Dead Island
Vingt jours. Je n'ai tenu que vingt jours, soit quelques heures de jeu lors de ma première partie sur Dead in Vinland avant que Hel tende les bras à Kari, la fille de la famille. Tuée au combat ? Non, un simple encart est venu m'expliquer du jour au lendemain que, dépressive, elle a subitement décidé de mettre fin à ses jours en se pendant à un arbre, alors que je m'apprêtais à démarrer une nouvelle journée de labeur. Dans Dead in Vinland, nos pires ennemis sont la fatigue, la dépression, la faim, la maladie et les blessures, cinq éléments matérialisés par autant de jauges qu'il faut surveiller en les maintenant au plus bas niveau possible. Si l'une d'entre elles atteint le score de 100 pour l'un des quatre membres de la famille, composée d’Eirik, sa femme Blodeuwedd, leur fille Kira et Moira la tante, dites bonjour à l'écran de game over. Avant de développer notre camp, c'est donc cet aspect-là qu'il faut surveiller en priorité avant de planifier la moindre action.
Pour ma seconde partie, j'étais mieux préparé à jouer avec les nombreux rouages de ce titre qui affiche une mécanique complexe à souhait. J'aurais pu redémarrer à partir de l'une des nombreuses sauvegardes automatiques effectuées chaque jour, cependant Dead in Vinland se joue sur le (très) long terme. Enchaîner les erreurs et les mauvais choix lors de vos premiers jours, et vous en subirez forcément les conséquences, parfois bien plus tard lors d'une partie. En ce sens, Dead in Vinland affiche un côté rogue-like. Attention, le jeu se montre tout de même prévoyant avec le joueur, en l'accompagnant pendant la première semaine avec un tutoriel permettant d'appréhender en douceur les bases. Le titre se déroulant en tour par tour, le temps de se poser dans le but de bien réfléchir nous est de toute manière offert.
Pour survivre, il faut d'abord se nourrir. Sans camp de chasse, de pêche ou de récolte, c'est forcément compliqué, alors il faut rapidement assigner quelqu'un à l'atelier de afin d'aménager le campement. Une action qui nécessite du bois, des cordes ou des pierres, autant de ressources que l'on peut obtenir en envoyant quelqu'un explorer l'île ou trimer au camp de bûcherons et au camp d'extraction. Oh mais attendez, comment vais-je faire pour chasser ou pêcher sans flèche ni hameçon, sachant que mon spécialiste de la forge est à l'article de la mort à cause de la maladie, et que je dois également penser à remplir les réserves d'eau avant la tombée de la nuit ? Préparez le stock de doliprane, voilà le genre de casse-tête perpétuel que Dead in Vinland nous fait subir, au point de poser une tension permanente tant les paramètres à surveiller sont nombreux. Le feu est par exemple, en toute logique, un point central du camp : il sert à purifier l’eau non potable, cuisiner, et se réchauffer le soir de manière à ne pas mourir de fatigue. Il faut ainsi l'alimenter continuellement en bois afin qu'il ne s'éteigne pas.
The Lost Vikings
En soi, Dead in Vinland n'apporte rien de révolutionnaire. Une bonne partie du gameplay se résume à gérer des feuilles de stats, les jauges des personnages, le campement et les ressources en plusieurs temps, puisque chaque journée est composée de deux phases d’activités, une le matin, l'autre l'après-midi. Concrètement, on se contente de naviguer à la souris entre les nombreux menus et les dix-huit activités proposées, que l'on débloque au fur et à mesure, pour enclencher tout un lot d'actions différentes, le tout devenant rapidement naturel. Les premiers pas peuvent effrayer les non-initiés, cependant l'interface est suffisamment claire, avec des indicateurs visuels qui permettent de s'y retrouver facilement et de savoir quand ça sent le roussi, accompagnés d'un sound design très parlant.
Les mécaniques parleront notamment aux amateurs de jeu de rôle. Si vous adorez vous plonger dans des lignes de stats, cela tombe bien puisque Dead in Vinland en déborde. Au fur et à mesure de leurs tâches quotidiennes, nos ouvriers survivants vont progresser dans différents domaines, dans lesquels ils deviendront plus efficaces et se fatigueront moins à la tâche. À cela s'ajoute un système de traits, à choisir lorsqu'un personnage monte de niveau afin d'affiner ses qualifications.
On finit rapidement par spécialiser chacun dans une ou deux tâches précises, et à accueillir avec joie des bras supplémentaires pour une productivité maximale. Qui dit bras supplémentaires dit évidemment bouches en plus à nourrir, réserves d'eau à maintenir à un niveau plus élevé afin d'éviter que tout le monde se déshydrate et se fatigue rapidement... Parfois, il faut aussi se résoudre à laisser mourir un allié trop encombrant de manière à en recruter un plus frais. La dure loi de la survie.
Au bout d'une douzaine de jours, quand la fille est déprimée, que la tante souffre d'une hémorragie, que la mère est épuisée à force de chercher des fruits jours et nuits, et que l'on n'arrive plus à maintenir cet équilibre essentiel entre améliorations régulières du camp et soin de ses habitants, le mot survie prend toute sa dimension. Et c'est sans doute la plus grande réussite du jeu, à savoir nous impliquer pleinement dans le destin de chaque personnage, même les secondaires, qui disposent tous d'un background étoffé et qui permettent même des possibilités de romances.
La famille prend tout de même le temps de se réunir le soir autour du feu de camp, le troisième et dernier temps de chaque journée. Pour nous, c'est le moment où il faut distribuer les vivres ainsi que les rations d'eau, mais aussi où l'on assiste à des moments de vie de famille, entre discussions touchantes afin de se remonter mutuellement le moral et prises de bec stupides qui se répercutent négativement sur leurs jauges d'affinités, soit le niveau d'efficacité lorsque deux individus travaillent ensemble. Le tout ponctué de tentatives d'humour qui font mouche et, à contrario, de dialogues crus, preuves d'une inégalité sur l'écriture du jeu. Si la narration, omniprésente, se laisse suivre et permet notamment d'apprendre quelques faits intéressants sur la culture nordique, difficile de ne pas zapper régulièrement quelques dialogues barbants.
Les tributaires de l'extrême
Dead in Vinland aurait pu s'en tenir là, mais histoire de définitivement maintenir au maximum le niveau de stress des joueurs, le titre propose quelques couches de gameplay supplémentaire qui le distingue de son prédécesseur Dead in Bermuda. Déjà que la plupart des éléments de jeu sont soumis à l'aléatoire (RNG), la météo vient également nous jouer des tours. Les jours de sécheresse, qui fatiguent plus rapidement les personnages, peuvent ainsi s'enchaîner lorsqu'on a cruellement besoin d'eau, ou avec un peu de chance, un temps pluvieux peut venir remplir sans effort les réserves. La tempête a le même effet, cependant elle abîme en plus les constructions, qu'il faut alors réparer. Autant dire qu'il peut être difficile d'établir une stratégie sur le long terme. Pourtant, même avec cette RNG omniprésente, il est possible de survivre, la plupart du temps sur le fil du rasoir, en faisant les bons choix de gestion.
Comme si cela ne suffisait pas, notre famille est rapidement placée sous le joug du très sympathique Björn Tête-Tranchée. Véritable tyran de l'île, celui-ci commande une horde de barbares qui viennent chaque semaine réclamer un tribut de plus en plus important. Autant vous prévenir, refusez et vos personnages en payeront rapidement les conséquences, dans le genre blessures fatales et morales ruinés. Une épée de Damoclès, à laquelle on ne peut échapper avant d'avoir exploré une bonne partie de l'île, découpée en une centaine de cases. Comme pour les autres tâches, il suffit d’assigner une personne afin qu’elle parte découvrir petit à petit les zones de la carte de manière à ensuite interagir avec les éléments qu'elles recèlent. Cela peut être une nouvelle recrue, un coffre à ouvrir, une offrande à un dieu obscur...
Encore une fois avec un peu de malchance, des sbires de Björn peuvent nous mettre des bâtons dans les roues en déclenchant des combats aléatoirement. Bien que très limités d'un point de vue tactique, ils ajoutent un dynamisme bienvenu et enrichissent la survie, dans la mesure où il faut tout faire afin de les écourter en prenant le moins de coups possible. Ils s'inspirent largement de ceux de Darkest Dungeon, avec ce concept de ligne de front / ligne à distance, de points d'actions à gérer au tour par tour, et de coups qui échouent par le miracle de la RNG, même lorsqu'ils affichent 95 % de précision. Mourir dans un combat n’est pas fatal, mais augmente considérablement la jauge de blessure des héros.
Avec autant de systèmes de jeu, Dead in Vinland affiche un ensemble accrocheur, d'une rare densité, bien qu'un manque de renouveau se fasse ressentir au bout d'une dizaine d'heures, alors que le moment où l'on assiste à l'une des différentes fins est encore si loin. Quelques défauts peuvent également éclipser la motivation à aller de l'avant. Le parti pris artistique ne manquera pas de diviser les foules, d'autant plus que les visuels alternent entre le bon et le moins bon, tout comme les musiques, dans le ton, mais peu nombreuses. Quant à l'écriture, elle devient un vrai fardeau lorsque vient le moment de recommencer une partie. À ce sujet, les développeurs prévoient d'ajouter une option pour passer les dialogues instantanément. À moins de jouer en mode "vrai Viking", le titre nous permet également de revenir quelques jours en arrière lorsque le game over se fait sentir grâce aux sauvegardes automatiques.
Points forts
- Un jeu de survie dense, aux mécaniques de jeu nombreuses qui s'imbriquent parfaitement entre elles
- Le challenge et la pression de la mort présents à chaque instant
- Un équilibrage bien dosé qui nous laisse sur le fil du rasoir, malgré tous les éléments soumis à l'aléatoire et une facheuse tendance à nous faire manquer des jets à hauts taux de réussite
- Des tutoriels bien ficelés qui permettent d'appréhender en douceur le jeu
- Chara design et ambiance "Viking" réussis
- Les combats qui apportent de la variété dans la routine du camp
Points faibles
- Le gameplay montre ses limites et devient monotone au bout d'une dizaine d'heures de jeu
- Des dialogues alternant entre le bon et le peu inspiré, qui mettent à mal la rejouabilité puisqu'il est impossible de les passer rapidement
- Des visuels inégaux
- Les combats en eux-mêmes sont répétitifs et limités tactiquement
Bien plus maîtrisé et abouti que Dead in Bermuda, Dead in Vinland est typiquement le genre de titre qui vous frappera du syndrome "aller, encore un tour et je vais me coucher". Difficile d'accès de prime abord, il n'en reste pas moins accessible, à condition de prendre la peine de s'y investir et de s'habituer à son rythme lent. Le concept de base, ce mélange atypique entre survie, gestion et jeu de rôle, est suffisamment engageant et dense pour y laisser facilement quelques dizaines d'heures de son temps libre. Sur la longueur, la routine de gameplay peine cependant à se renouveler. Si vous n'accrochez pas dès le départ, n'espérez pas voir soudainement arriver un élément de jeu qui vous fera sauter au plafond. Dead in Vinland convient parfaitement aux adeptes de la survie qui veulent passer leurs nuits à lire des feuilles de stats, à jouer avec les taux de probabilités et à gérer leur campement. Les autres ne seront ni pris par la narration, ni par les combats.