Depuis l’excellent Tourist Trophy en 2006, les pilotes virtuels rêvent d’un titre qui sera capable de surpasser la production de Kazunori Yamauchi. Ces dernières années, le genre a été trusté par les Milanais de Milestone (MotoGP, MXGP…) et nombreux sont les amateurs de deux-roues à espérer un renouveau vidéoludique de leur discipline favorite. C’est désormais chose faite avec les développeurs français de Kylotonn qui, après avoir récupéré la licence WRC, s’attaque à leur tout premier jeu de moto ! Et pour une première, ils ont choisi le mythique Tourist Trophy de l’île de Man, une course excitante, redoutable et terriblement dangereuse se déroulant sur des routes ouvertes avec des pointes dépassant les 320 km/h. Grisant comme jamais, le jeu est-il à l’image de cette compétition hors-norme ? On vous dit tout.
Avant de nous intéresser aux frissons de l’asphalte, un peu d’histoire s’impose. L’île de Man est un territoire situé en mer d’Irlande, au centre des îles Britanniques. D’une superficie de 572 km2, cette nation celtique d’environ 90 000 habitants est le théâtre annuel d’une compétition prestigieuse et décriée qui a cours depuis 1907. Sur près de 60 kilomètres, les pilotes les plus chevronnés dévorent littéralement le bitume dans la course la plus mortelle du monde (plus de 250 victimes en essais et en courses depuis sa création). Sa particularité est de proposer un long circuit sur des routes de montagne, procurant des sensations absolument uniques pour un danger omniprésent. Richard Quayle, ancien champion de cette épreuve, déclarait ceci : « Si Roger Federer rate son coup, il perd un point. Si je rate un virage, c’est ma vie que je perds. » C’est dire l’intensité et la folie qui gravitent autour de cette compétition. Et justement, avec TT Isle of Man, Kylotonn place les joueurs dans la condition de ces pilotes sans limites, tout en les immergeant dans une discipline très différente ce que l’on peut connaître avec d’autres licences. Seul risque pour vous, que vous éclatiez votre manette de rage…
Ce n’est pas la première fois que le TT Isle of Man fait l’objet d’une adaptation en jeu vidéo. Les habitués des salles d’arcade ont probablement gardé en mémoire l’excellent Manx TT Superbike paru en 1996 et adapté un an plus tard sur Saturn et PC. À l’époque, Tetsuya Mizuguchi voulait frapper fort après le succès de SEGA Rally et a été séduit par la beauté du paysage de l’île de Man. Il a ainsi conçu un jeu qui puisse allier l’impact visuel à l’amour que les Japonais éprouvent pour les sorties en moto sur routes ouvertes. Seulement, à la différence de TT Isle of Man, le titre de SEGA est un pur jeu d’arcade, dans la lignée de ce qui se faisait dans ces lieux imprégnés d’odeurs de clopes froides. En 2018, les attentes sont bien différentes et ce n’est ainsi pas un hasard si Kylotonn a opté pour une simulation à l’impression de vitesse prononcée. Le circuit de l’île de Man est d’un tel dénivelé que les motos décollent littéralement, comme lors du passage de Ballacrye. Il arrive aussi régulièrement que les cylindrées se mettent à chasser violemment, la maîtrise du pilote devant faire le reste. Ce sont ces sensations sur routes ouvertes que l’éditeur français a voulu reproduire. Et très franchement, le report de la date de sortie (initialement prévue à la fin 2017) a fait un bien fou à ce titre.
UN CONTENU MODESTE
Il faut bien l’avouer, les jeux de course ont toujours une saveur particulière dès qu’il s’agit d’affronter des pilotes sur des circuits ouverts. Ce n’est ainsi pas un hasard si les grosses productions comme Forza ou Gran Turismo aiment mettre en avant des tracés comme Prague, Rio de Janeiro ou des lieux bucoliques imaginés de toutes pièces. Cela n’enlève bien sûr en rien le prestige et la technique des circuits fermés, mais l’approche de TT Isle of Man ne laisse décidément pas insensible. Il faut s’imaginer foncer à toute vitesse à travers des villages champêtres en frôlant les trottoirs et autres cabines téléphoniques à l’anglaise. Cependant, pour que le plaisir soit prolongé, il va falloir souffrir, chuter, se relever, repartir au combat et apprendre à négocier chaque virage avec la plus grande des précisions. Si le petit tutoriel est là pour donner un léger aperçu, il n’en est rien représentatif de l’épreuve à venir…
Après une introduction faisant monter la pression, le joueur est amené à nommer son pilote et à choisir sa couleur de tenue. Côté contenu et interface, TT Isle of Man fait dans la sobriété avec du solo découpé en plusieurs sections (course rapide, contre-la-montre, carrière et tutoriel) et l’indispensable multi local et en ligne. À ce sujet, on va réfréner les ardeurs des familles nombreuses, car le tout se résume à des courses à tour de rôle. Par conséquent, et bien que le mode accepte jusqu’à 8 joueurs, n’espérez pas d’écran splitté. Le titre de Kylotonn est avant tout un plaisir solitaire qui demande une concentration extrême. Le moindre écart, le moindre vacillement peut être fatal et il n’y a aucune possibilité de revenir en arrière comme c’est le cas dans la plupart des jeux de course actuels. Dans ces conditions, il va falloir appréhender chacun des 264 virages du tracé officiel de l’île de Man auxquels viennent s’ajouter des circuits fictifs et bien plus modestes en superficie. Avec dix pistes, le contenu de TT Isle of Man peut sembler un peu faible, surtout avec un mode carrière très classique dans son fonctionnement et totalement vide de mise en scène, mais l’intérêt est ailleurs.
LE FRISSON DE LA VITESSE
La plus grande satisfaction de TT Isle of Man réside bien sûr dans la reproduction fidèle de la célèbre course. Des membres de l’équipe de Kylotonn se sont rendus sur place pour prendre des photos et vidéos et utiliser un laser-scan afin de reproduire et cartographier l’intégralité des 60 kilomètres du circuit. C’est peut-être difficile à mesurer, néanmoins il s’agit d’un très gros challenge réussi avec brio par le studio parisien. Pour afficher une telle quantité de données, sans chargement, tout en conservant la fluidité, c’est une grande performance (et cela explique aussi l’absence d’écran splitté). Ainsi, et même si ce n’est pas le cas, le joueur a la sensation d’évoluer dans un monde ouvert. Couplé aux paysages magnifiques de la localité mannoise, le dépaysement est total ! Comme l’équipe française a fait en sorte de proposer une impression de vitesse digne de ce nom, on peut vous garantir que l’immersion est au rendez-vous. Frôler chaque mur à pleine vitesse, se pencher de tout son poids, doser l’accélération et le freinage, gérer la position de votre pilote sont autant d’éléments que nous aurez à prendre en compte. En matière de gameplay, TT Isle of Man prône la simulation, mais distille une petite touche arcade pour contenter tout le monde, via notamment quatre modes de difficulté, des styles de pilotage présélectionnés et une batterie d’options (ABS, Anti-patinage, Anti-stoppie…). Au départ, il est plus que recommandé d’activer la ligne de course pour ensuite s’en défaire petit à petit. En fonction de votre sélection, le pilotage sera plus ou moins accessible. Cependant, une chose est sûre, si les vues intérieures sont les plus grisantes, elles sont aussi les plus maniables. En effet, en caméra externe, la glisse – parfois étrange – de la moto demande une maîtrise supplémentaire et il n’est pas rare de partir complètement en sucette simplement en donnant de petits à-coups. Évidemment, c’est comme tout et on s’y fait, mais la vue casque (et à la première personne) nous a semblé, de loin, la plus efficace.
Avec ses 23 pilotes et sa quarantaine de motos (deux catégories : Super Sport et Super Bikes), TT Isle of Man est un jeu grisant mais qui demande pas mal d’apprentissages. Pour obtenir les meilleurs temps, la connaissance des virages est indispensable – même si la map peut être affichée – et il faut passer de nombreuses heures sur la route pour sentir son bolide, comprendre ses réactions et s’habituer à une vitesse qui colle littéralement au fauteuil. À tombeau ouvert, alors que le champ de vision se rétrécit, on a la sensation d’évoluer dans un tunnel sans fin où l’homme et la machine ne font plus qu’un. Votre serviteur n’ose à peine imaginer ce que ressentent réellement les véritables pilotes qui participent au TT, cela doit être démentiel. Et ce n’est pas un hasard si de nombreux reportages ont été réalisés sur cette compétition…
UN AUTRE MONDE
Pour les férus de jeux de moto « classiques », TT Isle of Man peut sembler totalement en deçà de certaines productions qui sont beaucoup plus généreuses en circuits, motos et pilotes. Il est aussi perfectible sur le plan de l’animation des pilotes, des collisions, de la technique ou encore des graphismes, et tout le monde n’accrochera pas à cette physique particulière, surtout en vue externe où la moto semble parfois tourner sur un axe. Il est évident que le comportement des cylindrées, lors des phases d’accélération et de décélération, manque de souplesse. Mais l’ambition de Kylotonn était de retranscrire au mieux les sensations éprouvées par les pilotes du Tourist Trophy de Man et on peut dire qu’ils sont parvenus à instaurer cette adrénaline inhérente à cette compétition hors du temps. Tous les passionnés de moto aspirent à cette liberté et le TT de l’île de Man est le seul endroit sur Terre où la bécane ne roule pas. Elle vole. Même si tout n’est pas parfait, le résultat obtenu par le studio français, surtout quand on sait qu’il s’agit de leur premier jeu de moto, est remarquable. Différent des MotoGP ou de la licence Ride, TT Isle of Man se grime comme une formidable alternative pour tous les amoureux des deux-roues.
Points forts
- Superbe reproduction du circuit officiel du TT
- Sons de moteur ultra-réalistes
- Un jeu sous licence officielle
- Impression de vitesse exceptionnelle
- Les vues internes
- Le plaisir de boucler ses 60 premiers kilomètres
- La modélisation des bécanes
- Les side-cars en DLC gratuit
Points faibles
- Mode carrière sans âme
- Contenu trop faible
- Le jeu mise tout sur un circuit (et neuf annexes)
- I.A parfois étrange
- Le comportement de la moto en vue externe
- Collisions un peu rigides
Réaliste et grisant, TT Isle of Man met une claque à laquelle on ne s’attendait pas. Sans qu’il soit maîtrisé à la perfection, le titre de Kylotonn impose sa personnalité grâce à une reproduction chirurgicale du tracé de l’île et des sensations démentielles. Certes, le titre manque de contenu et aura besoin de quelques patchs pour satisfaire amplement les chevronnés des deux-roues mais l’immersion a été poussée à un tel niveau qu’on voit mal comment les puristes pourront résister à l’appel de cette liberté virtuelle. Ou comment ressentir l’ivresse de la vitesse et le danger omniprésent sans risquer un seul instant de lâcher la rampe, si ce n’est de faire valser votre pad…