Dominant les hommes et s'élevant jusqu'au ciel, la montagne a toujours été un sujet de fascination. Un symbole qui est loin d'avoir été choisi par hasard dans Celeste. Le platformer de Matt Thorson, développeur qui s'était révélé avec TowerFall Ascension, promet une ascension riche d'émotions, de sauts millimétrés et de morts à répétition... à condition de réussir d'abord à gravir sa propre montagne intérieure et de se surpasser. Rassurez-vous : la récompense en vaut la peine.
Préparez vos crampons : l'ascension du mont Celeste promet d'être ardue
Si vous suivez de près l'actualité de Matt Thorson, vous avez sans doute déjà pu mettre les mains sur Celeste il y a quelques années. Un prototype du jeu, aujourd'hui encore accessible, avait été réalisé en quelques jours dans le cadre du Summer Games Done Quick édition 2016. Deux ans plus tard, le développeur indépendant, qui s'est occupé intégralement du level et du game design, nous livre ici un périlleux voyage sous sa forme la plus complète.
Échouer pour mieux réussir
"Plus vous mourez, plus vous apprenez". Les messages d'aides de Celeste donnent le ton. On tient là un platformer hardcore qui considère que l'échec est le meilleur moyen d'apprendre. Une approche qui, en temps normal, refroidit instantanément les ardeurs de nombreux joueurs, ceux qui préfèrent par exemple regarder quelqu'un se ruiner les pouces sur Cuphead plutôt que d'être frustré par les morts à répétition qu'il inflige. À première vue, Celeste a tout pour être rangé dans la même catégorie, avec ses centaines de pièces (plus de 700) renfermant plateformes, piques et autres pièges placés précisément de façon à punir le joueur imprudent qui sauterait un pixel trop loin ou trop près de là où il voudrait atterrir.
Seulement, les développeurs ont décidé de ne pas mettre à l'écart cette frange de joueurs. L'astuce : un outil d'assistance, permettant de se faire une expérience à la carte et de se tirer d'une situation trop ardue en ajustant certains paramètres, comme la vitesse du jeu, le nombre de dash utilisables ou tout simplement devenir invincible. Un outil à prendre comme un moyen d'apprentissage, à utiliser de préférence en dernier recours pour ne pas tuer l'intérêt du jeu et le sentiment d'accomplissement qu'il procure. La mort est une norme, mais le jeu recommence en un instant après chaque échec, sans jamais faire perdre plus de vingt secondes de gameplay pour nous pousser à recommencer. "Pourquoi êtes-vous si nerveux ?", "Vous pouvez le faire !" : les développeurs croient en nous à chaque instant et ils nous le font savoir au moment où le doute nous submerge.
La montagne de l'angoisse
Le doute, Madeline en est habité. Au début, les motivations qui poussent notre protagoniste à vouloir atteindre le sommet de cette montagne jonchée d'obstacles mortels sont floues. Très vite, au fil de l'ascension, de sa confrontation (littéralement) avec elle-même et des rencontres avec différents compagnons de route, du voyageur narcissique amateur de selfies au fantôme gérant d'hôtel perdu par ses échecs personnels, ses états d'âmes s'éclaircissent. Ils laissent entrevoir une réflexion sur la dépression et le surpassement de soi, à travers des dialogues d'apparence très simples, mais qui sont en réalité parfaitement ciselés pour servir une histoire touchante et libre d'interprétation.
Entre elle et son objectif se trouvent une ville en ruine, un hôtel en désordre ou encore un sombre temple. Autant d'endroits qui lui permettront de se confronter à ses propres limites. Dans son sac, ni corde ni piolet : sa seule "arme" est sa capacité à sauter, à grimper sur la plupart des surfaces tant qu'elle dispose d'assez d'énergie, et à "dasher" dans l'une des huit directions possibles. Le gameplay allie à la fois des sensations de prise en main rarement aussi agréables (même sur Switch en mode portable) à une simplicité et une efficacité imparables, mais il révèle plus de profondeur qu'il n'y paraît sur la durée.
Chacun des huit chapitres ajoute ainsi au minimum une mécanique de jeu, venant conférer un côté addictif et rythmé à l'ascension de cette montagne. Il y a des plumes permettant de voler sur une courte distance, des surfaces transparentes qu'il est possible de traverser, des bulles pour aller en ligne droite sur une direction tout en réinitialisant la possibilité de dasher... rien de réellement neuf, mais la variété proposée permet de ne jamais se lasser d'un level design affichant une précision d'horloger.
Ramène ta fraise
Généralement, le joueur n'a qu'une micro-seconde pour prendre ses décisions dans le feu de l'action : quand dois-je dasher ? Aurais-je le temps de grimper en haut de cette surface ? Il faut impérativement enchaîner une dizaine de secondes d'actions parfaitement calibrées pour s'en sortir. L'incertitude est permanente, mais le jeu n'est jamais injuste. En ce sens, il affiche un certain côté "puzzle", avec des mécaniques rappelant tantôt celles de Super Meat Boy, tantôt celles d'un Super Mario. Après avoir analysé l'écran de jeu et les obstacles qu'il renferme, l'angle, le timing et la portée des sauts sont autant de données à prendre en compte pour atteindre l'objectif : l'autre bout de l'écran pour poursuivre l'aventure, sachant qu'il y a parfois différents embranchements à prendre, mais aussi les fraises qui parsèment généreusement les niveaux. Ces dernières font office d'objets collectables, qui "impressionneront tes amis, mais c'est tout", précise le jeu lui-même. Elles n'ont aucun autre but que de satisfaire l'égo du collectionneur acharné en quête absolu du 100%. Celeste aime simplement mettre le joueur au défi, en affichant le compteur de morts et les minutes passées dans chaque monde. Plus qu'un rappel de nos échecs, une source de motivation pour toujours faire mieux (un compteur de speedrun peut d'ailleurs être activé) et une archive de notre persévérance.
Et il en faut pour voir le bout de tout le contenu que propose le jeu. Si atteindre le sommet de la montagne dans un premier run ne vous prendra sans doute qu'une dizaine d'heures grand maximum selon la dexterité de vos pouces, le joueur en quête de challenge trouvera le moyen d'étancher sa soif et doubler voire tripler la durée de vie. Il y a d'abord les faces B et C, des versions "dark world" de chaque monde qui haussent d'un cran vraiment significatif la difficulté, mais aussi les fraises dorées et les coeurs pour les plus motivées. De quoi occuper un bon moment tout en offrant son lot de moments mémorables, tel que l'ascension finale, un pur condensé euphorique de tout ce que propose le jeu.
L'ascension artistique
C'est sans doute le plus remarquable avec Celeste : il ne se contente pas d'être généreux en contenu et abouti dans sa vision du platformer. C'est simple, aucun aspect n'a été laissé au hasard ou négligé, jusque dans les détails. Les feedback sonores et visuels permettent ainsi d'aiguiller le joueur dans ses actions ou de les appuyer. L'exemple type, ce sont les cheveux de l'héroïne qui changent de couleur selon le nombre de dash qu'elle peut utiliser sur l'instant présent, ou encore la réduction du son lorsque l'on est plongé dans l'eau. Le soin apporté aux graphismes n'est pas en reste. Alors que les premiers niveaux affichent des teintes sombres, les environnements s'enrichissent de nuances plus colorées dès lors que l'on monte en altitude. On pourrait chipoter en disant que certaines compositions de décors viennent parfois entraver la visibilité des pièges, mais cela reste très rare. À ce pixel art volontairement minimaliste vient se greffer des éléments d'interface traditionnels (comme les textes des dialogues), une carte en 3D et des dessins faits main qui accompagnent les moments clés du jeu.
Dans les différentes atmosphères du jeu, il règne en permanence une douce mélancolie, parfaitement appuyée par des compositions musicales qui résonneront longtemps dans votre tête. La jeune compositrice Lena Raine a su retranscrire à la perfection cette idée d'ascension, avec des sonorités électros qui font monter l'adrénaline quand il le faut, des notes de piano qui appuient les moments de solitude ou encore des passages chiptune angoissants. De quoi permettre à Celeste d'atteindre l'excellence et de marquer durablement. Il n'innove en rien un genre déjà bien rodé et ne prend aucun risque, mais est plus que compétent à tous les niveaux. Il y a des sources de frustration, certes, mais le sommet est toujours là, jamais hors d'atteinte.
Points forts
- Gameplay parfaitement calibré avec un personnage grisant à prendre en main
- Courbe de difficulté juste et bien orientée
- Level design intelligent et précis, qui se renouvelle à chaque chapitre
- Un contenu généreux pour une durée de vie colossale : environ 10 heures et des centaines de morts pour terminer le jeu une première fois, au moins le triple pour le 100% et plus encore pour les acharnés du chrono
- Une bande-son remarquable, entre notes de piano douces et synthés aggressifs, signée Lena Raine
- Une histoire légère et touchante abordant des thèmes sérieux
- L'outil d'assistance, une excellente idée de game design qui rend le jeu accessible à tous malgré sa difficulté
Points faibles
- Un léger manque d'ambition en matière de mécaniques de jeu
- Des compositions de décors qui jouent parfois au trompe-l'oeil avec les pièges
Hormis le fait que vos pouces risquent de souffrir, difficile de trouver des défauts significatifs à Celeste, tant il emmène le genre du platformer à un sommet qui culmine à très haute altitude. Le titre de Matt Thorson et son équipe excelle dans tout ce qu'il propose : une prise en main grisante, des niveaux tellement bien agencés que l'ascension de cette montagne devient addictive, des musiques qui servent à la fois le gameplay et cette histoire qui devrait en toucher plus d'un... Il se permet en plus d'être généreux, et, sans doute son vrai coup de maître, de proposer une vision du platformer qui convient à tous types de joueurs : que vous soyez accro à la recherche d'objets collectables ou non, que vous ayez envie d'en baver ou tout simplement de vous plonger dans cette ambiance unique. Si vous avez déjà fréquenté Super Meat Boy ou N++, Celeste est tout simplement immanquable. Si au contraire vous hésitez à faire vos premiers pas, il n'y a sans doute pas meilleur moyen de découvrir le genre. Venez pour le challenge, vous resterez finalement pour Madeline et ses compagnons.