Qui a dit que les policiers passent leurs journées à se goinfrer de donuts ou à s'enfiler des verres de pastis ? Dans la ville fictive de Freeburg, les garants de la paix n'ont pas le temps de bailler aux corneilles. Premier jeu des Polonais de Weappy Studio, This Is the Police nous place dans la peau de Jack Boyd, chef de la police d'une ville corrompue jusqu'à la moelle où meutres, prises d'otages, agressions et vols sont quotidiens. Mais l'homme, poussé à la retraite par le maire après 30 années de bons et loyaux services, n'en a plus rien à faire. Son objectif : amasser 500 000 dollars avant son départ dans six mois afin de se la couler douce et profiter de sa nouvelle vie. Une tâche loin d'être aisée quand on voit que la mafia, les gangs, les complots et un maire véreux sont sur l'échiquier de ce jeu de gestion narratif.
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Le flic, c'est chic
Allier gestion et narration de manière efficace, tel est le pari que This is the Police tente de relever. Tout en proposant des phases de jeu où vos talents en management sont requis afin d'assurer la sureté de la ville de Freeburg, le titre prend le temps de poser un contexte et une ambiance qui sentent bon les années 80, les polars et les films noirs. La narration passe principalement par des séquences façon bande-dessinée qui apparaissent parfois entre deux jours de boulot, certaines pouvant obliger le joueur à prendre des décisions, comme les réponses à donner aux journalistes lors d'une conférence de presse. Le rendu est d'un minimalisme séduisant, avec cet aspect graphique polygonal pouvant rappeler celui d'Another World, accompagné d'une interface intuitive et épurée, même si ces fameuses cinématiques pèchent sans doute par leur manque d'animations. L'esthétique globale ainsi que l'ambiance restent bien maîtrisées (mention spéciale au sound design) et contribuent à faire ressortir le côté sombre de la ville, source quotidienne de maux de tête pour Jack Boyd, anti-héros dans toute sa splendeur qui profite du doublage viril de Jon St. John (la voix de Duke Nukem).
Alors qu'il nous raconte ses états d'âmes, ses réflexions, ses ambitions ou encore son histoire compliquée avec sa femme au fil des semaines, on se prend rapidement d'affection pour notre protagoniste dont l'objectif est d'amasser un joli pactole. Concrètement, le jeu démarre au jour 1, chaque journée se déroulant toujours de la même manière : la lecture des Unes de journaux, souvent en rapport à nos actions de la veille, le démarrage de la voiture, le choix d'une musique, le style alternant entre du classique et du jazz pour parfaitement se mettre dans l'ambiance, puis l'homme prend place devant sa maquette réduite de Freeburg installée dans son bureau, où se déroule la phase de gameplay.
De là, il faut principalement répondre avant un temps limité aux appels téléphoniques pour résoudre les crimes apparaissant sur la carte. Ceux-ci sont décrits brièvement par un texte, afin de pouvoir estimer leur gravité et envoyer sur place le nombre adéquat d'agents de police, en gardant en tête la valeur d'efficacité de ces derniers ainsi que leur jauge de fatigue et le temps de trajet pour arriver sur la scène de crime. Tout est une question de timing et c'est là tout le sel du jeu, qui fait fréquemment ressentir un sentiment d'impuissance lorsque toutes nos forces sont déployées, parfois pour des canulars, et qu'un crime important apparaît, nous laissant alors dans l'impossibilité de le résoudre.
Soyez prévenus, il y a de la lecture à se mettre sous la dent puisque chaque crime est différent du précédent, ce qui n'empêche pas que l'on finit rapidement par déployer machinalement nos forces sans même prendre le temps de lire. Si c’est assez amusant au début grâce au nombre de situations absurdes (du simple homicide à la femme qui dézingue à tout va dans un fast-food en hurlant qu'elle "déteste les gros"), le manque apparent de profondeur dans la gestion se fait vite ressentir. On se contente de cliquer le plus vite possible sur des cases pour répondre à des choix de dialogues puisqu'il n'y aucune scène d’action, simplement une alliance entre texte et image. De rares variantes de gameplay sont ajoutées au fil des heures de jeu, comme la possibilité de s'offrir les services de la mafia ou d'une multinationale pour ouvrir un compte en banque secret et sécuriser son argent, mais elles sont pour la plupart mal exploitées voire complètement inutiles.
Afin d'apporter un minimum de rebondissement, certains crimes déclenchent des pop-ups demandant de faire des choix d’action, même si l'on distingue sans peine le bon choix à prendre des autres choix absurdes. Il faut également gérer les détectives, nécessaires pour résoudre les affaires plus sensibles en reconstituant le déroulement d'un crime grâce à un système de cadres à replacer dans l'ordre. Intéressantes dans leur concept, ces enquêtes s'avèrent finalement poussives et mal expliquées, avec peu d'intérêt en terme de récompense. L'enthousiasme des premières heures laisse ainsi vite place à un effet soporifique. Regrettable alors qu'il y avait tant à faire avec cette base solide de gameplay (gestion psychologique des policiers, possibilité de construire un réseau de commissariats...).
La difficulté s'efface également assez vite, pour peu que l'on prenne des précautions sur la gestion de notre effectif d'agents : équilibre entre les deux services qui tournent chaque jour, très limités en personnel lors des premières semaines au point de devoir abandonner certains appels ou d'y aller en sous-effectif et risquer la vie d'un agent ou d'un civil, prise en compte des aléas de la vie (fatigue, maladie, décès familial...), mais aussi licenciement (légal ou non) des membres les moins efficaces et recrutement, un aspect du jeu impacté par nos choix et nos actions.
Bad cop or... bad cop
Dans cette histoire qui implique pas mal de personnages, entre le maire de la ville plus corrompu que n'importe qui, les mafieux, le procureur, les policiers ou le groupe féministe local, difficile de satisfaire tout le monde puisque la plupart des personnages ont des motivations opposées. C'est pourtant ce qu'il faut s'attacher à faire au mieux... et selon la direction voulue par le scénario, entièrement linéaire puisque les crimes ne sont pas aléatoires mais prédéfinis. De quoi tuer toute rejouabilité, ce qui peut poser problème quand on constate qu'un game over est si vite arrivé, surtout lorsqu'on approche de la fin au bout d'une bonne vingtaine d'heures de jeu. Parmi les facteurs à surveiller pour l'éviter, il y a principalement l'insatisfaction de nos équipes, pouvant entraîner une enquête conduisant tout droit devant le procureur, puis à la prison si cela se reproduit trois fois. Dans ce cas-là, deux solutions : recommencer le jeu à zéro, ou reprendre au début d'une semaine passée, ce qui équivaut parfois à perdre de précieuses heures de jeu.
Il faut ainsi jongler habilement entre les besoins de chacun. En répondant aux appels urgents de la mairie, le maire se montre plus enclin à allouer du budget aux forces de police, ce qui permet de recruter de nouveaux agents. À l'inverse, aider la mafia dans son business au détriment d'autres tâches et s'assurer leur soutien peut avoir l'effet contraire. Le problème, c'est que le jeu nous confronte sans cesse avec des choix politiques (réprimer par la force, ou non, une manifestation pour les droits LGBT ou pour ceux des noirs, fermer les yeux sur tel ou tel crime...) où il n'y a finalement qu'une seule bonne décision : celle qui n'amènera pas au game over, qui consiste donc à jouer au flic corrompu, le fait de laisser des crimes se dérouler n'ayant finalement pas de conséquences réelles.
L'illusion de pouvoir jouer son propre rôle dans le scénario s'efface donc rapidement, et c'est bien dommage. Gageons toutefois que l'histoire reste bien écrite et agréable à suivre, malgré le fait qu'elle alterne entre petits clins d'oeil et séquences originales d'un côté, puis moments de vide scénaristique fréquents avant de laisser place à une fin qui tombe à plat. À ce moment, on se dit que notre commissaire a bien mérité sa retraite.
Points forts
- Un style de narration façon BD agréable à suivre...
- Un concept de gestion intéressant...
- Interface épurée et intuitive
- Un thème intéressant et original
- Une écriture de qualité
- Une bande-son jazzy qui colle à l'ambiance
Points faibles
- ... mais qui manque d'animations
- ... installé dans une routine de gameplay lassante qui évolue peu
- Difficulté mal calibrée, avec des éléments de gameplay sous-exploités
- Dictés par le gameplay et le scénario, nos choix moraux et nos actes ont finalement peu (voire pas du tout) d'impact
- Textes minuscules en mode portable (version Switch)
Si vous ne jurez que par le gameplay et que vous coltiner des lignes de textes vous ennuie profondément, vous risquez de rapidement abandonner This is the Police, tant son concept, intéressant sur le papier, est étiré sur la longueur jusqu'à en devenir indigeste. Le titre est porté par le charisme de ses personnages, son ambiance années 80 saisissante et l'écriture mature de son scénario, tournant autour de la corruption, thème finalement peu illustré dans le jeu vidéo. On veut connaître la fin de l'histoire, et c'est finalement ça qui motive à faire défiler les jours dans le jeu plus que le côté gestion, qui sans être déplaisant se montre bien trop répétitif et limité pour être pleinement apprécié.