Ys VIII : Lacrimosa of DANA débute (presque) par un cliché du RPG : Adol Christin, le héros de la série, allongé sur une plage, seul rescapé visible d’un naufrage. De ce point de départ vu et revu, les développeurs de Nihon Falcom ont pourtant réussi à créer un petit (petit !) miracle de jeu où chaque idée narrative, chaque concept accompagne naturellement les mécaniques de jeu. Et inversement. Oublié le simpliste, mais solide, A-RPG des premiers volets, Ys VIII approche le genre avec un désir visible de le renouveler dès les premières heures. Et ce, même s’il se repose sur des idées déjà maintes fois exploitées.
Trailer de lancement de Ys VIII : Lacrimosa of DANA
Techniquement correct dans sa version PlayStation 4 avec ses 60 images/seconde, son lissage d’un aliasing autrement très présent sur PlayStation Vita, l’incontournable Ys VIII : Lacrimosa of Dana vient emplir l’e-shop d’un nouveau représentant du genre JRPG au même moment où Shining Resonance Refrain et Octopath Traveler y installent leur quartier. Du côté de l’histoire, des personnages, rien à rajouter de ce qui a déjà été dit pour les autres versions, si ce n’est l’intégration de tous les DLC vendus à l’unité précédemment. On retrouve donc ces combats dynamiques, ces dialogues (avec les nouveaux sous-titres) souvent teintés d’humour, ainsi que toutes les fonctionnalités (recrutement, défense du camp) de l’œuvre originale, intactes. Cependant, les amateurs de la langue de Sakaguchi devront encore attendre quelques jours avant de récupérer les doublages en japonais.
Hélas, si le jeu était imperturbable, presque stable comme un roc, sur PlayStation de dernière génération, cette version Switch est loin d’être aussi irréprochable : taux d’images en berne, approchant les 30 images/secondes sans jamais les dépasser, voire tombant en dessous à chaque scène chargée ; textures et rendu de certains éléments (eau) moins probants ; « marches d’escalier » visibles sur chaque arête, etc. En soi, Ys VIII : Lacrimosa of Dana demeure toujours cet action-RPG racé, orienté « exploration » qui nous avait séduit il y a quelques mois, mais sa tenue technique, un poil plus problématique sur Switch, ternit un peu le tableau.
Une fois passée la première grosse demi-heure à bord du Lombardie, un navire de croisière façon Titanic Médiéval-fantastique, Ys VIII : Lacrimosa of DANA dévoile son véritable visage. Echoué sur l’île de Seiren, Adol retrouve peu à peu des naufragés qui vont s’allier pour survivre dans cet enfer végétal. Camp de fortune établi, le joueur se voit alors confier deux missions : d’un, cartographier l’île mystérieuse pour de futurs explorateurs, de deux, y dénicher des ressources pour améliorer le confort et la protection des survivants, et peut-être in fine découvrir un moyen de fuir Seiren. Cette formule – (re)construire un village en glanant des éléments durant ses expéditions-, déjà présente dans des classiques comme ActRaiser ou Dark Cloud, est aujourd’hui d’une large partie des RPG, qu’ils soient nippons ou occidentaux, comme Dragon Age Inquisition ou Mass Effect Andromeda. Peu à peu, des lits, des rideaux, une tour de garde, une catapulte, etc. seront installés ici par les nouveaux habitants de l’île. C’est un fait, Nihon Falcom a parfaitement compris comment intégrer cette mécanique au sein de ce volet sans qu’elle paraisse juste plaquée. Ici, chaque naufragé retrouvé apporte sa propre expertise au village, et médecin, forgeronne et autres proposeront non seulement leurs services en échange de ressources, mais aussi leur aide pour ouvrir certains passages de l’île : éboulements, arbres effondrés bloquant des passages… Ainsi, il ne sera pas possible d’accéder à telle ou telle portion de Seiren sans qu’on ait gagné à notre cause n survivants. Un moyen un peu visible, mais plutôt convaincant, pour contrôler la progression du joueur qui associe une fois encore le scénario et l’exploration.
A armes égales
Mais, s’il étonne par l’intégration de cette course à la ressource inédite dans la série, c’est cependant du côté des affrontements qu’Ys VIII se distingue plus clairement. Très dynamique, reposant sur les fondations posées par YS SEVEN et Memories of Celceta, le système permet ici au Adol d’arpenter Seiren en étant accompagné de deux autres personnages dirigés par la console, avec la possibilité de passer de l’un à l’autre en pressant la touche Carré. Si cette option n’est pas toujours utile face aux créatures généralement rencontrées dans les zones d’exploration/combats, elle devient vite indispensable lorsqu’on s’attaque à l’un des nombreux boss. En effet, chaque compagnon est spécialisé dans un type d’attaque précis, et il convient de frapper le point faible de ces créatures avec l’une d’entre elles pour infliger le maximum de dégâts. Cependant, n’attendez pas que l’intelligence artificielle déniche la faiblesse adverse pour vous, il faudra jongler entre les héros, esquiver (L1), parer (R1), sauter (rond) pour contourner les créatures les plus imposantes, et tenter plusieurs angles avant de découvrir la faille et en profiter. Si les premières heures de jeu, les Boss se défont rapidement, plus tard il sera indispensable de jouer plus tactique, sachant que les alliés gérés par la machine attirent moins souvent l’attention (ou l’aggro) que le personnage contrôlé par le joueur (et sont donc moins blessés).
Au besoin, ils constituent un vivier dans lequel piocher si les potions de soins et aliment viennent à manquer. Au pire, fuir, et ne plus rien faire pendant quelques secondes suffit à remplir la jauge de ville. Un système idéal pour pousser le jouer à explorer et expérimenter, sans avoir peur d’être sanctionné. Outre les attaques classiques (bouton croix), il est de même possible de placer quatre techniques, glanées à certains niveaux d’expérience, sur des raccourcis (R1+ un des quatre boutons de façade), chacune consommant des points de magie dont la jauge se remplit avec le temps. Enfin, gardes et esquives éclaires, lancées au moment même de l’attaque ennemie, ralentissent le temps quelques secondes, histoire de matraquer sa cible. Riche, mais simple d’accès le système de combat tourne comme une montre suisse, avec une lisibilité quasi constante de l’action grâce à une caméra plus éloignée que celle de Final Fantasy XV, par exemple. Il n’y a que lorsque l’on « lock » la caméra sur un ennemi qu’il lui arrive d’être aux fraises, mais c’est suffisamment rare pour n’être que signalé. Si combattre est captivant, et constitue logiquement le cœur de l’aventure, ce n’est pas la seule raison pour continuer d’explorer Seiren.
Des originalité bienvenues
En fait, il y a de l’ingéniosité dans ce concept de naufragés, d’île mystérieuse, et cette ingéniosité se retrouve dans la double narration de l’histoire. D’un côté, il y a l’exploration de Seiren par Adol et la découverte des comportements des autres naufragés, de l’autre, les rêves d’Adol qui prennent de plus en plus d’épaisseur, se font de plus en plus présents, prégnants, comme si l’île tenait à conter la destinée d’une certaine Dana. Aux cut-scenes minimalistes des songes des premières heures succèdent des phases de jeu en bonne et due forme, et un rapprochement progressif entre les personnages. Mais cela, on vous laisse le découvrir... Autre idée bien amenée d’Ys VIII, les contre-attaques des créatures. Il s’agit alors pour l’équipe du joueur de défendre les fortifications et leurres du village face à plusieurs vagues de monstres. Pensé comme un mini-jeu d’arcade, cette section se pare même de scores pour chaque rescapé non jouable, ainsi que de multiples récompenses en fonction du rang (S, A, B, etc.) atteint. Ces séquences, assez inattendues, apportent un peu de fraîcheur dans une progression déjà bien menée. De fait, il est rare que l’on s’ennuie ou que l’on n’ait rien à faire dans Ys VIII : Lacrimosa of DANA. En plus de la recherche de rescapés, des activités annexes, comme des poissons à pécher pour créer des recettes qui soignent ou améliorent temporairement les attributs des personnages viennent varier l’expérience.
Stigmates d’un portage
Développé en premier lieu pour la PlayStation Vita, Ys VIII : Lacrimosa of DANA accuse logiquement le coup lors de son portage sur PlayStation 4. Si les personnages profitent de textures agréables à l’œil sur PS4, avec des expressions simples, mais suffisamment éloquentes pour transmettre leurs émotions, les animations des modèles s’avèrent quant à elles souvent rigides, notamment lors des mouvements durant les cut-scenes. Par ailleurs, le jeu n’est pas avare en texte pour pallier au manque de certaines animations. Mais c’est sans doute du côté des textures des décors que le bât blesse. Si le jeu n’est pas avare en environnements variés (plages, forêts, ruines d’une ancienne civilisation), le rendu parfois scintillant rappelle les premières heures de la PS4, telles les plages d’un Assassin’s Creed : Black Flag. Sur certains gros plans, on a même le droit à une bouillie de pixels qu’on dirait issue de l’ère PSone. Identiques à celles de la version PS Vita, les zones de jeu se sont révélées de taille plutôt moyenne (proche de celles d’une Final Fantasy XII). Les chargements entre portions de la carte sont heureusement instantanés, et ne gênent en rien à l’immersion. A noter qu’on a senti quelques rares baisses de frame rate sans raison évidente. Le bilan technique est donc loin, loin d’être reluisant, mais une fois passée cette constatation, le plaisir de la découverte, les combats, les personnages et leurs interactions, l’enrobage narratif font très largement oublier ces lacunes graphiques. Et n’oublions pas de parler de la bande son, avec des thèmes variés, oscillant entre l’atmosphérique et le heavy metal. Par ailleurs, le jeu propose un doublage en anglais ou en japonais, avec des sous-titres anglais ou français. Un petit conseil avant d’en finir : Ys VIII : Lacrimosa of DANA se fait un peu répétitif en raison de sa structure et de ses mécaniques mêmes, pensées pour la PS Vita, et donc des sessions courtes. C’est donc sous forme de courtes tranches que le titre de Nihon Falcom se fait le plus appréciable.
Faut-il craquer pour ce Ys VIII : Lacrimosa of DANA? Oui, si vous appréciez la série. Nihon Falcom a ici apporté suffisamment de nouveautés pour que l’exploration de Seiren passionne. Quant à ceux, en manque d’Action RPG, qui souhaiteraient découvrir la franchise, cet épisode est sans doute un des plus accessibles. Bref, chaudement recommandé.
Points forts
- Un système de combat qui marche du feu de dieu, à la fois simple et riche
- Des personnages sympathiques, caricaturaux, qui se découvrent durant l’aventure
- L’imbrication des quêtes « fedex » dans l’évolution du village
- Des boss qui demandent un peu de doigté
- Les séquences de contre-attaques des créatures
Points faibles
- La réalisation graphique héritée de la version PSVita
- Un peu de lassitude peut se faire sentir par moments
- Un peu cher si l’on s’en tient à la seule réalisation
Formidable machine de combat, Ys VIII : Lacrimosa of DANA innove et rénove presque à tous les niveaux. Affrontements ultra-rapides et lisibles, exploration pleine de surprises, ennemis variés, boss exigeants, personnages attachants, le dernier Nihon Falcom démontre à véritable savoir-faire en la matière A-RPG, réussissant même à intégrer naturellement des mécaniques jusqu’ici étrangères à la série. Un très bon titre donc. Seule une technique un peu en-deçà des attentes le dessert un peu. Mais c’est bien peu face au plaisir de visiter Seiren, et d’en dévoiler chaque secret.