En 2015, les Québecois du studio Thunder Lotus Games se faisaient remarquer avec Jotun, jeu artistiquement séduisant avec ses dessins fait main invitant à découvrir les mythologies nordiques, mais dont les combats de boss, spectaculaires et diablement difficiles, hantent encore les nuits des joueurs. Changement radical d'ambiance avec Sundered, leur nouvelle production nous plongeant dans une sombre aventure au coeur d'un monde en ruines, mais également de style de jeu. En faisant rencontrer deux genres, le Rogue-like et le Metroidvania, le charme opère-t-il aussi bien au niveau visuel que dans le gameplay ?
Le trailer de lancement de Sundered
Roguevania
Sundered est assurément un pari intéressant. S'il se parcourt comme un Metroidvania classique avec son monde ouvert en 2D invitant à l'exploration, il s'appréhende comme un Rogue Legacy, Rogue-like adepte de la "progression par la mort". Le moins que l'on puisse dire, c'est que Thunder Lotus Games prend ici un malin plaisir à infliger ce sort au joueur. Si vous ne ferez effectivement pas long feu après vos premiers pas dans le jeu, vous découvrirez rapidement sur votre chemin des autels permettant d'apprendre à utiliser le double dash, un grappin et autres pouvoirs. L'objectif : ouvrir de nouvelles routes et s'enfoncer toujours plus loin dans ce monde embrassant avec merveille l'imaginaire de H.P. Lovecraft et ses entités horrifiques, au level design basé sur un système semi-procédural. Comprenez-là que l'ossature principale des zones et les pièces importantes restent les mêmes, mais que leur intérieur est divisé en mini-salles dont l'architecture change à chaque retour à la case départ.
Le joueur sait donc toujours où il va. En revanche, il ne sait rien des surprises qui le guettent en chemin. Généralement, c'est la mort qui vous attend après avoir poussé l'exploration au maximum de vos capacités, et un retour dans le hub de départ, depuis lequel il est possible d'accéder à chacune des trois zones distinctes du jeu. Un concept souvent frustrant puisqu'il faut se taper des kilomètres d'allers-retours, mais pas décourageant dans le cas présent puisque l'on revient toujours plus fort à chaque mort grâce au colossal arbre d'attributs mis à disposition.
Celui-ci permet de dépenser les éclats durement acquis dans les coffres ou sur les créatures pour améliorer les capacités de Eshe, la mystérieuse vagabonde vêtue d'un voile que l'on contrôle. Régénération de bouclier plus rapide, meilleurs dégâts, elixirs de vie qui soignent... le tout est très complet, bien que l'on puisse regretter qu'il ne permette pas réellement de se forger son propre style de jeu, sachant que les bonus défensifs sont primordiaux. La véritable personnalisation se fait plutôt au niveau des talents, qui, tout en infligeant de légers malus, offrent des bonus en tous genres. Au final, le gain en puissance progressif et constant de notre personnage sans demander des heures de farming est un véritable point fort du titre.
Ma vie pour la horde
Si le gameplay s'enrichit donc rapidement sans être non plus complexe (une seule arme au corps-à-corps, une à distance), il reste dynamique et plaisant dès les premières minutes grâce aux nombreux combos adaptés à différentes situations. Manette ou clavier et souris en main, la maniabilité est au poil, peu importe le périphérique choisi. Comme Jotun, la 2D de Sundered sort des sentiers battus et suffit à faire de l'oeil à bon nombre de joueurs, notamment grâce à des animations réussies et nombreuses apportant une certaine fluidité à l'action. Des imposantes statues de créatures démoniaques d'un autre monde aux boss immensément grands en passant par la simple fumée des explosions, tout est entièrement dessiné à la main par les artistes du jeu.
Le problème, c'est qu'en embarquant les qualités de Jotun, Sundered a également chopé certains de ses défauts au passage. Les déplacements sont peu rébarbatifs grâce aux différentes compétences et à la présence de raccourcis à foison, mais l'exploration devient rapidement lassante. La faute d'abord à des environnements certes propres visuellement et renforçant l'impression de solitude mais trop peu variés, tout en étant desservis par ce level design aléatoire perfectible et quelques soucis d'optimisation technique. Mais c'est surtout sa manière d'alterner moments d'exploration dans des environnements vides et combats face à des hordes d'ennemis qui peut dérouter.
La plupart du temps de manière soudaine et brutale, le jeu peut vous envoyer en pleine figure un flot continu d'ennemis volants et terrestres envahissant tous les côtés de votre écran. Une manière de hausser petit à petit la difficulté durant une phase d'exploration trop longue et d'éviter que le joueur aille trop loin trop rapidement. Sachant que les récompenses sont relativement faibles si vous décidez de lutter vaillamment, bourriner la touche d'esquive et courir pour échapper à votre sort, souvent en vain, apparaît comme l'option la plus viable. S'il est possible de s'en sortir avec de l'attention et une certaine habilité, ce système fait souvent pencher Sundered du côté "jeu injuste" au lieu de proposer un vrai challenge. Pour ça, il faut plutôt se tourner vers les combats de boss et de mini-boss, particulièrement réussis. Quant au bestiaire, la variété d'horreurs cauchemardesques faisant office d'ennemis est suffisamment riche.
Résistez ou succombez
En retrait dès le début puisque vos premiers pas se font sans aucune indication, le scénario de Sundered est servi par une narration distillée au fil de l'aventure, par le biais d'une voix au timbre démoniaque s'exprimant dans une langue inventée, ou bien dans des salles spécifiques où cette même voix vous contera les terribles évènements du passé. Rien de bien transcendant, tout en étant suffisamment intriguant pour pousser à progresser, même si l'on garde dans la bouche une légère déception en se disant que le tout aurait mérité d'être plus développé. Sachant que l'on ne croise aucun PnJ, l'impression de solitude est grande.
Une impression renforcée grâce au travail effectué sur l'ambiance, notamment sonore avec des musiques discrètes mais qui savent faire monter la tension d'un cran quand il le faut, et un sound design global de qualité, entre les différents bruits environnants et les grognements terrifiants des créatures. Le jeu a également la bonne idée de proposer plusieurs fins, pour pallier une durée de vie relativement courte pour une première partie (comptez dix à quinze heures). Il vous faudra effectivement faire un choix entre accepter pleinement la corruption en absorbant les éclats des anciens récoltés sur les boss pour améliorer vos capacités et votre confort de jeu, ou bien les détruire dans un incinérateur et conserver votre humanité. De quoi replonger avec plaisir dans cette aventure aux multiples facettes, alternant entre bonnes initiatives et éléments plus aléatoires pouvant frustrer.
Points forts
- De superbes visuels et animations entièrement réalisés à la main
- Une tension permanente et une ambiance réussie
- Une progression convaincante et constante grâce à un système d'attributs et de talents
- Combats fluides, peu lassants et exigeants sans trop l'être, notamment contre les boss...
- Un nombre satisfaisant de capacités ouvrant la voie vers de nouveaux chemins
- Trois fins différentes
Points faibles
- Perfectible d'un point de vue technique (chargements, freeze...)
- Hormis quelques splendides panoramas, les zones sont peu nombreuses même si chacune est visuellement différente des autres
- L'alternance entre l'exploration et l'arrivée soudaine d'une horde, pouvant créer des situations injustes
- Certains combats frustrants lorsque les ennemis innondent l'écran, rendant l'action trop confuse
Sundered rend honneur au genre du Metroidvania en respectant ses fondamentaux, tout en apportant quelques idées sur la table comme son système de progression encourageant, histoire d'aider à supporter les dizaines de morts qu'il aime infliger. Si les premières sont douloureuses voire démotivantes, sa finition globale, portée par des graphismes somptueux dans leur genre et une ambiance Lovecraftienne efficace, devrait suffir à accrocher la plupart des joueurs à leur pad. Les plus motivés en auront pour leur argent avec les trois fins différentes du jeu et ses spectaculaires combats de boss... à condition de supporter son côté aléatoire et ses hordes d'ennemis qui ne manquent jamais une occasion d'infliger un retour à la case départ au moment où l'on s'y attend le moins.