Telltale Games s’est fait connaître du grand public avec son adaptation vidéoludique de la franchise The Walking Dead. Sa vision narrative du jeu d’aventure, bien que dirigiste, et ses personnages complexes ont séduit des millions de joueurs à travers le monde en 2012. Convaincu du bien fondé de sa formule, le studio s’est empressé d’acquérir les droits d’une flopée de licences à succès à commencer par Borderlands, Game of Thrones et Batman sans jamais abandonner sa poule zombifiée aux oeufs d’or… loin s’en faut. L'annonce de la saison 3 de The Walking Dead n'était une surprise pour personne. Et c’est bien là le problème. A New Frontier parviendra-t-il à renouveler une recette vieille comme Hérode et surprendre une communauté désireuse de nouveautés ?
Une rengaine violente
A New Frontier débute quelques années après la fin d’une saison 2 qui abandonnait Clementine à son sort, peu importe vos choix et leurs conséquence sur l’histoire. Les années se sont écoulées non sans mal et la petite fille apeurée a laissé place à une survivante aguerrie prête à tout pour protéger ses proches. Sans Clementine, The Walking Dead ne serait que l’ombre d'elle-même. Et pourtant, la mascotte de Telltale démissionne de son rôle d’héroïne pour devenir une simple spectatrice de sa propre histoire à notre grande surprise. Pour ne pas brusquer le fan, cette dernière est jouable lors de flashbacks explorant son passé, mais cela ne compense que partiellement la déception engendrée par un tel choix.
En lieu et place de Clementine, nous avons le droit à un Javier Garcia, archétype du bon gars sillonnant les routes des Etats-Unis après avoir perdu la majorité des membres de sa famille y compris son frère aîné David. Cette relation fraternelle est au coeur d’un scénario articulé autour d’un triangle amoureux qui mettra à maintes reprises le feu aux poudres. Un brin ridicule par moment, ce lien causera bien des torts à l’ensemble des protagonistes et sera le moteur d’un récit convenu. L’apocalypse zombie n’a plus de secret pour ceux ayant parcouru les précédentes saisons, lu les comics ou regardé la série.
Un marchandage musclé
Se renouveler semble définitivement compromis narrativement parlant. La plume des scénaristes s’assèche et recycle par défaut des situations vues et revues des dizaines de fois. Les séquences s’enchaînent sous des yeux lassés de subir une énième rengaine scénaristique et l’absence de cohérence dans les réactions des personnages ne fait qu’accroître ce sentiment de gêne. Telltale toussote à notre grand regret son savoir-faire et l’aspect téléphoné des apparitions de personnages n’est pas étranger à ce manque de crédibilité qui se dégage de l’aventure. Difficile de croire dans un récit qui puise dans le passé avec l’infime espoir d’en tirer du neuf.
Le ton adulte de A New Frontier sauve tout de même Telltale de la faillite. Les blagues vaseuses et les allusions sexuelles fusent en anglais (sous-titrées en français). Un bon vieux “Boner” de bon aloi fait toujours mouche même après avoir été le témoin de la fin du monde. La drogue est aussi du voyage et “adoucit” une violence qui n’aura jamais été aussi marquée que dans cette 3ème saison. Le sang gicle sur les murs. Les cervelles se dispersent par la pression d’une batte de baseball sur une boîte crânienne et Javier Garcia découvre malgré lui sa soif de sang. Et Telltale vous donne le choix. Tel un vox populi apocalyptique, la mort des PNJ est entre vos mains devenues expertes par la force des choses. La survie dans toute sa laideur… tout simplement.
Rencontre du troisième type
La survie par le choix
A New Frontier copie-colle le concept de série “by Telltale” dans le moindre détail sans même tenter de renouveler une recette réchauffée une dizaine de fois. Tales from the Borderlands et Batman : The Telltale Series osaient prendre de court le joueur et ajustait le gameplay à la franchise adaptée, là où la saison 3 de The Walking Dead jette la créativité aux oubliettes. Rien de neuf à se mettre sous la dent depuis TWD : Saison 2 et TWD : Michonne. Les mêmes phases d’exploration font suite à ces éternels QTE (Quick Time Event) sans lesquels le concept de film interactif ne serait rien. Le fun passe par le verbe et ces discussions à choix multiples supposées avoir des conséquences sur l’histoire. Et pour une fois la promesse est tenue.
Les personnages ont une mémoire et l’impact d’un mot se fait sentir des épisodes plus tard. Le concept de personnages “fonction” n’a pas quitté le navire, mais Telltale a progressé dans l’art de la dissimulation. Les retournements de veste impromptus sont bien moins présents, même si certains écorchent l’expérience, et la prise de décision sur le vif accentue cette impression de rush perpétuel tant recherché. Partir à la recherche de quelqu'un, en protéger un autre... ont enfin de véritables conséquences sur l’aventure. Chacun vit et meurt selon ses propres choix dans The Walking Dead : A New Frontier au point de manquer certaines séquences de jeu et de subir la mort d’un ou plusieurs personnages en fin de saison à la manière de Heavy Rain.
Le caractère des personnages évolue également avec le temps selon vos échanges qu’ils soient houleux ou non. Clementine, au fil des épisodes, apprendra la compassion, la confiance ou bien se refermera sur elle-même et privilégiera la voie du sang. The Walking Dead : A New Frontier a réussi là où les autres jeux de Telltale Games ont échoué en honorant une promesse faite aux joueurs il y a 5 ans.
Regarder la mort en face
Les productions de Telltale Games ne seraient que l’ombre d’elles-mêmes sans une direction artistique fidèle au matériau d'origine et cette saison 3 le prouve une fois de plus. Les graphismes de A New Frontier retranscrivent parfaitement cette patte “comics” née sur papier et témoignent du savoir-faire des artistes du studio. Le Cel Shading rend hommage à l’oeuvre imaginée par Robert Kirkman et appuie cette approche bande-dessinée tant recherchée. Par ce tracé "crayonné" et cette colorisation maîtrisée, Telltale transmet par la plume et le pinceau son amour du comics. Le trait et le mot dansent ici à l'unisson sur une piste d'asphalte couverte de sang séché que le joueur arpente la batte à la main.
Telltale Games n’a jamais fait mine de s’intéresser de près ou de loin à la technique. Les productions du studio misent sur une expérience narrative intense et une direction artistique fidèle au support d’origine pour se démarquer de la concurrence et A New Frontier rejoint la cause. Premier point notable, le jeu est stable et ne souffre d’aucun crash ou de baisses de framerate. Le moteur serait-il enfin robuste ? Rien de sûr à la vue des textures parfois floues et de ce manque de détails dans les environnements. Les décors sont vides. Des mouvements saccadés animent des personnages luttant pour avoir l’air vivant. Cette rigidité dessert en définitive le récit et amenuise ce vecteur d'émotions pourtant si important pour toucher le joueur.
Points forts
- L'impact des choix et des discussions sur le scénario
- Une direction artistique sous forme d'hommage au comics
- Une violence exaltée comme jamais auparavant
- Un ton adulte osant tout (ou presque)
- Une aventure intégralement sous-titré en français
Points faibles
- Clementine a perdu son statut de héros
- Aucune nouveauté de gameplay
- Un scénario convenu ne surprenant que trop rarement (pour une durée de 7h)
- Une réalisation vêtuste pour un jeu sorti en 2017
Les productions de Telltale ronronnent depuis bien trop longtemps. Le studio se contente de reproduire sa formule gagnante adaptation après adaptation sans se soucier du manque d’intérêt naissant pour ses jeux et The Walking Dead : A New Frontier en fait les frais. Sans être mauvaise bien au contraire, cette saison 3 souffre d’un sentiment de déjà-vu qui ne vous quitte qu’à de rares moments. La faute incombe à un gameplay et une plume convenus peinant tous deux à se renouveler, malgré cette volonté de rendre le propos plus mature. Et si la vérité était ailleurs ? Une aventure interactive se juge par sa capacité à impliquer le joueur, à le mettre devant des choix cornéliens et lui en faire subir les conséquences. Et sur ce point, Telltale transforme l’essai avec talent et allie le fond et la forme à l’aide d’une direction artistique fidèle au matériau d’origine (à savoir le comics) et une violence omniprésente, miroir de cet univers post-apocalyptique.