Avec Yooka-Laylee, les anglais de Playtonic ressuscitent l’esprit de la grande époque du jeu de plateforme sur Nintendo 64. Mené par une équipe d’anciens de Rare Software, les esprits facétieux à l’origine des cultissimes GoldenEye 007, Donkey Kong Country et bien entendu Banjo-Kazooie, livrent ici le successeur spirituel de ce dernier. Un duo charismatique de héros, de la récolte d’objets à tout va, une dose de plateforme à l’ancienne saupoudrée d’une généreuse pincée d’humour : telle est la recette de ce Yooka-Laylee. Mais est-ce vraiment dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures ? Réponse sans plus tarder en test.
On prend les mêmes et on recommence !
Yooka-Laylee est un pur produit nostalgique, un hommage plus que direct à son illustre modèle Banjo-Kazooie. Les deux titres partagent bon nombre de points communs : gameplay, humour des personnages, quête constante de l’objet à collecter et niveaux à thème à explorer. Le bébé coloré de Playtonic est une ode à un genre que le monde pensait presque éteint. Il aura fallu l’étincelle d’une bande de développeurs plein de souvenirs et le soutien financier massif des fans de la première heure des productions Rare pour ressusciter un jeu, un genre, et avec eux toute une ribambelle de souvenirs aptes à faire s’affoler le palpitant de tous ceux qui ont grandi avec une manette à la main au cours de la décennie 90. Mais si l’aspect général du titre fait mouche, difficile de retrouver cette même saveur d’antan dans ce projet que l’on sent marcher dans les grandes traces de son prédécesseur sans jamais parvenir à le dépasser. Yooka-Laylee possède pourtant de bonnes idées potentielles, une solide base de gameplay, un univers charmeur, mais il évolue sans cesse en équilibre précaire entre sa nostalgie exacerbée et sa propre quête d’identité.
On troque ici le célèbre duo de l’ours et de l’oiseau de Banjo-Kazooie au profit d’un caméléon rêveur et d’une chauve-souris plutôt blagueuse au gros nez rouge. Le tandem fonctionne à merveille et donne lieu à une série d’animations plutôt attachantes et réussies. Côté histoire, Playtonic fait là aussi dans la plus pure tradition du genre avec une trame simple adaptée à un vaste public. Tandis que Yooka et Laylee lézardent au soleil, les pages de tous les livres du monde sont dérobées par la terrible entreprise Capital B qui a pour projet de les convertir en pur profit financier. Ni une ni deux, nos deux amis se lancent à l’aventure à travers une série de cinq mondes et d’un HUB central afin de rassembler toutes les pages magiques perdues. On vous le donne en mille, ces éléments à collecter (appelés ici des « pagies ») sont l’exacte reprise des fameuses pièces de puzzle disséminées un peu partout dans les niveaux de Banjo Kazooie.
La nostalgie à la page ?
Ces pages servent de monnaie d’échange nécessaire à l’ouverture de nouveaux mondes ou à l’agrandissement de ces derniers. Playtonic apporte ici une touche de nouveauté à la formule du plateformer des années 90 en laissant au joueur un important degré de liberté dans l’exploration. Il est possible de débloquer les vastes niveaux dans l’ordre de votre choix pour y récupérer la ribambelle d’éléments planqués un peu partout et tenter de réaliser une série de défis calqués sur ceux des productions Rare de l’époque. Le joueur évolue donc sans cesse en terrain connu sans grandes prises de risque de la part du jeu.
Dans la plus pure tradition du genre, l’exploration complète des lieux passera par une palette de mouvements assez standards tous plus ou moins calqués sur ceux du duo Banjo-Kazooie. Saut, double saut, vol plané, attaque rodéo, le titre du studio anglais rythme notre progression au fil de l’achat de nouvelles capacités auprès de Trowzer, un serpent homme d’affaire portant le pantalon comme personne d’autre.
Loin d’être linéaire, Yooka-Laylee dispose d’une bonne prise en main, certes classique, mais encore très efficace de nos jours. Puisque l’intérêt principal du titre réside dans l’exploration méthodique du moindre recoin des niveaux, il aurait été dommage pour Playtonic de louper le gameplay de son projet.
Extrait de jeu de Yooka-Laylee, le monde s'agrandit
Défis d'à côté
Si la proposition initiale de cinq mondes à explorer peut sembler maigrichonne (Banjo-Kazooie en proposait neuf), ces derniers sont ici extensibles via la dépense de pagies ce qui donnera accès à de nouveaux défis au joueur. Côté environnement, on retrouve les grands classiques du genre avec l’habituel niveau de glace ou de jungle tropicale. Petit regret concernant le monde casino où les pages magiques seront à échanger contre des jetons gagnés après une série de mini-jeu peu inspirés. Vastes et colorés, ces niveaux se laissent parcourir avec un certain plaisir malgré de nombreux allers-retours entre les obstacles. Yooka-Laylee peine néanmoins à faire preuve d’une grande originalité dans la construction de ses mondes et de ses défis et sacrifie bien vite son approche de plateformer au profit d’une succession de mini-défis sans gros challenge. Courses contre la montre, phases de chariot en vue de côté, passages dans des anneaux, on répète plus ou moins les mêmes actions dans une succession de décors sans grande originalité.
Entre deux roulés-boulés et autre défis, le duo devra aussi se frotter à un casting plutôt famélique d'ennemis. Les “minions” génériques sont simplement reskinés entre chaque monde pour coller à la thématique de leur environnement et l’on croisera ici et là des paires d’yeux capables d’animer les objets auxquels elles s’accrochent. À l’usage, les combats du jeu, boss inclus, ne proposent presque aucun enjeu au point que l’on finira souvent par les passer faute de réel intérêt.
Nostalgie critique
La progression du joueur devient au final assez machinale au sein des mondes, on avance, on farfouille dans tous les recoins au sein d’un titre qui semble vouloir toucher à tout sans jamais parvenir à vraiment briller dans un domaine en particulier. Ce manque flagrant d’âme se fait ressentir dans le chara-design assez inégal des différents protagonistes. Si rien n’est à signaler du côté de notre duo de héros plein d’entrain, la chose se complique un peu lorsque l’on se penche du côté des autres PNJ. Entre les modèles douteux, et l’humanisation au petit bonheur la chance de certains objets du décor, le titre peine à retrouver l’efficacité et la simplicité qui faisait pourtant mouche dans Banjo-Kazooie. Si tout n’est pas raté, Yooka-Laylee fait preuve d’une inconsistance généralisée qui ternit ses ambitions nostalgiques.
On retrouve le même écueil dans les mini-jeux de Rextro, jouables depuis des bornes d’arcade placées dans chacun des mondes. Dans leur écrasante majorité, ils se montrent pénibles à jouer du fait de leur imprécision. Que dire aussi de la caméra qui prend encore trop souvent (et malgré plusieurs mises à jour) ses aises pour afficher certaines actions depuis le pire angle imaginable.
On notera de bonnes petites piques envoyée au nez de l'industrie moderne du jeu vidéo, de multiples références critiques à la société de consommation et aux travails des développeurs et des journalistes en génral. De quoi pimenter une écriture dont l'humour tombe malheureusement trop souvent à plat'''. Le tout est toujours mimé par des onomatopées sonores comme à la bonne vieille époque de la N64. Si l’humour se réclame dans la pure tradition Rare de l’époque, il se fait moins naturelle et surtout plus forcée. D’autant que la traduction française du jeu pêche régulièrement à retranscrire certaines vannes de la version originale et que de vilaines fautes semblent avoir passé le contrôle qualité.
Extrait de jeu de Yooka-Laylee, la nostalgie peut-elle laisser de glace ?
Toutefois, même avec ses défauts et ce petit sentiment d’amertume pour un projet que l’on aurait pu imaginer plus décomplexé, l’héritage Rare parvient à fonctionner sur d’autres aspects. Prenez les musiques par exemple, David Wise (Donkey Kong Country) et Grant Kirkhope (Banjo-Kazooie) sont de retour à la composition d’une bande-son mélodieuse, légère comme à l'accoutumée, et qui malgré quelques redites auditives entre les niveaux parvient à habiller une aventure acidulée que petits et grands pourront apprécier ensemble.
Il y a une énorme quantité de contenu à explorer dans Yooka-Laylee et il faudra compter entre 10 et 15h de jeu selon votre envie de récolter les 145 pagies du jeu.
Le problème est que, hormis le sentiment d'heureuses retrouvailles, celui de redécouverte d’un genre presque perdu, le jeu reste en dessous des aventures dont il puise toutes ses mécaniques. Il y a beaucoup d'idées potentielles, mais il manque cette petite touche de finition et d’âme qui a fait de Super Mario 64 et de Banjo Kazooie des classiques intemporels. Dommage.
À 30 fps plutôt stables sur PS4 et Xbox One et à 60 fps sur PC, le titre de Playtonic semble avoir réussi à corriger les quelques soucis de performances rencontrés lors de son lancement et affiche désormais un rendu suffisamment fluide sur tous ses supports. La version PC tournera à 60 fps dès lors que votre machine respecte les spécifications recommandées par le studio. Sans être un fleuron technique, la direction artistique hyper colorée de l’ensemble combinée à une bonne utilisation du moteur Unity offre un rendu global des plus agréables.
Points forts
- Un univers vibrant, vaste, coloré, assez plaisant à explorer
- Gameplay simple, mais plutôt bien huilé
- Un bon duo de personnages principaux et quelques PNJ amusants
- Un pur produit nostalgique assumé
- Une bande-son qui rappelle tellement de souvenirs
- De bonnes références et quelques vannes bien senties
Points faibles
- Un certain manque d’âme
- Chara-design en demi-teinte
- La caméra se montre encore un peu capricieuse
- Cinq monde à explorer, on aurait aimé bien plus
- La traduction qui ne parvient pas toujours à être à la hauteur de la VO
- Humour moins percutant que son modèle
Malgré les défauts et le petit arrière-goût amer que peut laisser ce Yooka-Laylee, force est de constater que le jeu de Playtonic remplit en partie certaines exigences de son cahier des charges nostalgique. Cet hommage très appuyé aux productions de la grande époque Rare devrait indéniablement faire de l’oeil aux fans de plateformers classiques de l’ère N64. Mais si l’on y retrouve les mêmes mécaniques de gameplay, l’ensemble se montre trop contrasté pour réellement briller à côté de ses illustres modèles. Coloré, plutôt efficace dans sa prise en main, charmant à de nombreuses reprises, Yooka-Laylee enchaîne aussi les rappels nostalgiques en demi-teinte avec sa galerie de personnages au design peu inspiré, son humour qui tombe souvent à plat ou bien encore ses défis sans grande inventivité. Reste alors une madeleine de Proust qui se laisse manger, mais qui manque finalement un peu de saveur.