En s'inspirant du roman "L'île mystérieuse" de Jules Verne, les frères Miller ont donné naissance à un jeu mythique dans les années 90. Fruit d'un labeur de 3 ans, Myst était l'un des premiers à exploiter les capacités du CD-ROM, tout en plongeant le joueur dans un monde à la fois réaliste et imaginaire. Vécue comme une véritable révolution, cette aventure à énigmes va rencontrer un tel succès qu'elle connaîtra une vague d'adaptations, plus ou moins heureuses, pendant plus de dix ans. Petit à petit, le genre va tomber en désuétude, emportant avec lui des heures de remue-méninges et autres casse-têtes bien tordus. Pourtant, les deux frangins, à l'origine du studio Cyan, ne vont pas oublier leurs débuts. En 2013, Rand et Robyn Miller décident de lancer leur campagne Kickstarter pour donner vie à un titre qui soit une suite spirituelle de Myst. Intitulé Obduction, le jeu a l'ambition d'égaler son modèle. Reste à savoir si la barre n'est pas placée trop haut...
C'est une certitude, les frères Miller aiment lâcher le joueur au milieu de nulle part. Tout commence par une nuit de pleine lune. Alors que les éclairs zèbrent le ciel et que les arbres sont malmenés par de fortes bourrasques, le joueur arpente un chemin sinueux en se laissant guider par une voix. Doublée en anglais et sous-titrée en français, elle pose les bases d'une aventure que l'on imagine déjà étrange. Après le prologue, nous sommes projetés sur Hunrath, un monde extraterrestre qui retient en otage plusieurs êtres humains. Pourtant, au départ, à quelques exceptions près, l'avatar (le sexe - au choix - est matérialisé par l'ombre projetée au sol) est désespérément seul. On découvre ainsi un environnement aux couleurs chatoyantes qui rappelle l'époque du Farwest. Tout comme Myst, Obduction ne prend pas le joueur par la main. Lors des premiers pas, les seuls éléments qui attirent l'attention sont des cristaux rouges, qui ne sont autres que des projeteurs de messages holographiques (à base d'individus filmés, l'une des habitudes du studio Cyan et des frères Miller). Au gré des communications, on commence à comprendre notre rôle et le chemin à suivre pour retourner sur Terre. Si vous aimez les allers-retours et les énigmes, parfois tirées par les cheveux, vous allez être servis !
N'EST PAS MYST QUI VEUT
Si vous êtes habitués aux jeux à énigmes, vous allez vous retrouver en terrain conquis. Des interrupteurs à activer, des codes à déchiffrer, des documents à lire... Obduction n'a pas l'intention de bouleverser les mécaniques de gameplay de Myst. En 2016, cela peut paraître un peu caduque mais ce choix est pleinement assumé. Le titre de Cyan, au-delà de ses nombreux puzzles et mystères, est avant tout un jeu d'exploration. Dire que vous allez crapahuter est un euphémisme. Les zones sont nombreuses et il n'est pas rare d'ouvrir des raccourcis afin de s'éviter bien des allers-retours par la suite. Si la progression conserve une certaine logique, il faut tout de même un certain sens de l'orientation pour pouvoir se repérer sans encombres. Cela ne vous empêchera pas de tâtonner, énormément, tant les mécanismes sont légion. On pense notamment aux aiguillages permettant de transporter le chariot lors des premières heures ou encore aux innombrables codes à retenir (avec certains algorithmes aléatoires faisant qu'une solution est différente d'une partie à une autre). A priori difficile, la progression se veut finalement intéressante et on en vient à apprécier l'aventure, rappelant par certains côtés le très paisible The Witness. Le problème, c'est que les petits soucis de repérage se transforment, dans la seconde partie du jeu, en un véritable traquenard.
LE LABYRINTHE DE TROP
Sans vous révéler l'intrigue, le jeu est construit sous la forme de mondes parallèles que l'on découvre au fur et à mesure. Si l'on se base à sa superficie, la première zone du jeu s'apparente à une sorte de HUB permettant de relier les autres univers. Seulement voilà, les énigmes des débuts font place à des choix aberrants, qui n'ont plus du tout leur place en 2016. On pense notamment à un labyrinthe qui en rendra fou plus d'un, obligeant à passer d'une dimension à une autre et en se coltinant des chargements absolument abominables. On pense aussi à certaines énigmes qui défient toutes les lois de l'ergonomie, sans parler du côté trop aseptisé du jeu ou de son interface. Myst, en son temps, était un titre génial et il demeure encore très plaisant de nos jours car il garde une logique et ne braque pas le joueur. Là, avec Obduction, c'est par moment à se mettre la tête dans le mur, tant les puzzles et les voyages entre les dimensions deviennent frustrants, voire énervants. À mesure que l'on avance dans l'histoire, on a la désagréable sensation de se retrouver face à une production qui a été bâclée sur la fin. Il est évident que le bébé de Cyan n'a pas été dosé comme il devait l'être. C'est dommage car ces défauts peuvent être rédhibitoires pour celles et ceux qui n'auront pas la patience de supporter les chargements. En l'état, il n'est certainement pas mauvais et la balade laisse, dans ses grandes lignes, un bon souvenir. Mais il n'a pas la carrure d'un Myst, c'est une certitude.
LA BEAUTÉ DES LIEUX
En revanche, s'il y a bien une chose qu'on ne peut enlever à l'équipe de Cyan, c'est le talent de ses artistes. Même si l'optimisation n'est pas toujours au rendez-vous, on pense notamment aux ralentissements et aux satanés "loadings", Obduction est très agréable à l'œil. Les teintes utilisées, la finesse des décors, le détail sur les textures, les effets visuels qui agrémentent le périple... il n'est pas rare de s'arrêter pour prendre une photo (oui, oui, c'est possible) et apprécier les sublimes panoramas. Du côté de l'ambiance, le résultat est un peu en deçà de la patte graphique. Comme les lieux manquent cruellement de vie et d'animations, on aurait souhaité des thèmes musicaux plus marqués. Là, en dehors de quelques mélodies au piano ou de passages à la guitare, le joueur se contente de bruitages et sons d'ambiance. Si le tout participe à l'impression de solitude - et c'est réussi - quelques mélodies orchestrales n'auraient pas été de trop. Pris dans sa globalité, Obduction est un titre correct, bien réalisé mais qui enchaîne trop souvent les maladresses. Si son enveloppe des temps modernes lui va à ravir, ses manquements en matière de gameplay - très retour dans le passé - risquent bien de lui porter préjudice. Une chose est sûre, votre serviteur n'est pas prêt de pénétrer dans un labyrinthe...
Points forts
- Graphismes et direction artistique réussis
- Une balade entre différents univers
- La patte Cyan, avec les hologrammes filmés
- Un level design de qualité
- Une première partie convaincante...
Points faibles
- ... mais une seconde moins maîtrisée
- Des chargements horriblement longs
- Des phases mal pensées
- Partie technique stable mais à optimiser
- Il faut aimer le gameplay des années 90
S'il n'a rien du mauvais bougre, Obduction n'a pas la teneur de son modèle. Moins onirique, il se fait sanctionner par une accumulation de choix hasardeux et aurait mérité une meilleure finition, aussi bien dans la continuité des énigmes que dans son optimisation globale. À moins de vouloir punir le joueur, il apparaît évident que le développement a été rushé en fin de parcours. Certaines phases sont terriblement mal pensées, parfois archaïques et viennent entacher une première partie d'aventure pourtant très agréable. Au final, on en garde un goût un peu amer et on se dit que Myst et Riven peuvent dormir tranquille. C'est dommage car le jeu est vraiment très joli et propose de superbes effets.