La difficulté dans le jeu vidéo, c'est tout un débat. Pour certains, un jeu difficile entraîne un ragequit rapide et un abandon qui l'est tout autant. Pour d'autres, c'est cette propension à se faire tuer dix fois d'affilée par le même ennemi avant d'enfin de pouvoir le pourfendre correctement qui procure le plaisir de jouer. Certains éditeurs se sont alors saisis de cette frange de joueurs à travers des titres comme les Dark Souls ou encore Bloodborne. Ska Studio, d'ampleur plus modeste, a décidé de faire de même à travers Salt and Sanctuary, un RPG pas comme les autres. Préparez-vous à découvrir ce qui fait le sel de ce titre...
Fer, sang et sel
Là où certains entraînent le joueur dans leur univers via une cinématique belle à en user les rétines, Salt and Sanctuary se permet lui de lancer le joueur directement dans l'action après avoir créé votre personnage et choisi parmi l'une des différentes classes possibles, allant de mage à assassin en passant par le chevalier ou le chef cuisinier (oui, vous avez bien lu). Le début de l'aventure est donc marqué par l'attaque de votre navire par un groupe de bandits désirant enlever la princesse qui se trouve à bord, acte que vous vous devez d'empêcher à tout prix.
Hélas, pour le commun des mortels, un incident tragique survient et l'on se retrouve très vite échoué sur la plage d'une île étrange après avoir dérivé plusieurs heures. Cette île maudite est l'antre de quelques personnages étranges et de créatures que la houle aura ramenés sur la berge, toutes piégées dans ce qui pourrait être un genre de triangle des Bermudes 2.0. Ne manquant ni de courage ni d'envie de se venger, notre héros se lance dans l'exploration de l'île... à ses risques et périls. Il s'agira donc, au fil de nos pérégrinations, de visiter l'île et ses différentes zones (village abandonné, cavernes, cachettes de bandits, château orageux, forêt maudite et bien d'autres), le tout se déroulant sous la forme d'un plateformer 2D dynamique et labyrinthique. Décors, ennemis et personnages baignent dans une ambiance cartoon glauque à souhait qui s'avère visuellement très réussie. Un plus indéniable pour un jeu qui, comme nous allons le voir, alterne entre différentes sources d'inspiration.
Saltborne contre Saltevania
Les enjeux de l'aventure sont simples, et sa progression l'est tout autant : se frayer un chemin à travers la zone jusqu'à atteindre une zone de sauvegarde, généralement aux abords d'un boss. La structure même du jeu s'inspire très fortement des Castlevania, allant jusqu'à lui reprendre certains ennemis, tout en l'adaptant à sa sauce. Ainsi, drops d'objets spécifiques à certains ennemis, bestiaire conséquent, pouvoirs (baptisés ici "marques") nécessaires au passage de certaines zones, et progression très verticale de l'environnement, tant d'éléments qui rappelleront à beaucoup le bon temps des opus 2D de la très célèbre franchise aux tueurs de vampires.
Cela dit, Salt and Sanctuary s'inspire aussi d'autres géants à travers l'un de ses éléments de gameplay: le sel. Etant donné que la plupart des ennemis rencontrés (tout du moins au début) sont morts noyés et ont été réanimés par des forces obscures peuplant l'île, ils lâchent en mourrant deux types de ressources : de l'or et du sel. Si l'or sert avant tout à acheter des objets, le sel lui a de multiples usages, allant de l'amélioration d'équipement auprès de forgerons jusqu'à l'augmentation de niveau. Hélas, si l'on commet l'erreur de se faire tuer par un ennemi, notre avatar perd tout son sel et devra, pour le récupérer, vaincre son assassin. Les développeurs de Ska Studios ne l'ont pas caché: la série des Souls a été une grosse inspiration pour leur jeu. Système du sel, difficulté retorse, nécessité d'éclairer les zones de sauvegarde ou encore objets communs avec les univers Souls-Bloodborne... Salt and Sanctuary ne manque donc pas de références, si bien qu'on pourrait parfois croire à une adaptation 2D d'un jeu From Software.
La foi et la statue de sel
On eût pu croire à une fable de La Fontaine, mais l'univers y est ici tout autre. En effet, comme dans les Souls, le scénario de Salt and Sanctuary est cryptique pour ne pas dire quasiment invisible. Il ne faut donc pas escompter d'aide pour progresser autre que les messages laissées par les autres joueurs sur votre chemin pour vous aiguiller, autre référence aux Souls. Mais votre pire ennemi dans la compréhension de cet univers malsain reste la traduction française du jeu, honteuse au possible.
Il s'agit en fait d'une vaste traduction Google où les phrases n'ont aucun sens et où chaque action pourra piéger les joueurs non familiarisés avec la langue de Shakespeare. Ainsi, sélectionner "goutte" vous fera perdre un objet, le mot "drop" en anglais pouvant être traduit par "abandonner" ou "goutte". Ce n'est là qu'un exemple des pièges que tend le jeu malgré lui aux joueurs francophones et anglophones, le mélange des deux langues résultant en un magma quasi impossible à traduire instantanément même pour les bilingues confirmés.
Difficile donc d'aborder l'équipement, avec lequel heureusement on se familiarise rapidement. Armures, casques, gants et autres jambières disposent chacun de différents attributs (résistance au feu, poison, coupures, etc) et il en va de même pour les armes. Fouets, haches fourches, bâtons, épées, lances, poêles à frire (rappelez vous qu'il y a une classe "chef cuisinier".) sont autant de moyens de fracasser les morts vivants et autres horreurs qui rôdent, là où les sorts et anneaux vous procureront divers bonus (soin, meilleurs drops, résistance au feu, augmentation de l'endurance...). En plus de l'équipement, il vous faudra aussi choisir entre différentes religions du jeu, qu'elles soient classiques (déesse bienveillante, Arbre de vie...) ou plus inspirées (voie des Traîtres, des Trois, de ceux du Fer... G.R.R. Martin n'est sûrement pas loin), qui vous récompenseront différemment en fonction de votre dévotion, et changeront ainsi votre conclusion du jeu.
Garder la foi, c'est aussi ce qui vous permettra de tenir lors des affrontements, notamment contre les boss. Souvent colossaux et louchant sur ceux des Souls / Castlevania une fois encore, il faudra parfois plus que de la persévérance et du farming de sel pour espérer s'en tirer vivant et pouvoir progresser jusqu'à la zone suivante. Car si certains ne disposent que de quelques mouvements comme c'est le cas du false jester (faux bouffon, mais non traduit dans le jeu), d'autres à l'image d'un dragon ou d'un cyclope géant pourraient bien valoir au joueur de longues frustrations. De quoi faire l'effet d'un peu de sel sur une plaie.
Une addition trop salée ?
Une fois le jeu terminé une, voire plusieurs fois (le New Game + permettant d'aller fouiner dans des zones potentiellement oubliées ou de retenter des combats à l'image du tout premier), vient le temps du bilan. Que penser de Salt and Sanctuary ? Et bien beaucoup de bien à condition que l'on aime les séries dont le titre s'inspire. Castlevania sur le fond, Dark Souls sur la forme, Ska Studios a réussi le pari un peu fou d'accoucher d'un hybride visuellement très réussi et qui ravit par son gameplay efficace et une difficulté pas aussi intenable que celles des jeux From Software, mais qui ne manquera pas de décourager les novices.
Plutôt long, varié et mystérieux, Salt and Sanctuary ne pêche que par quelques bugs mineurs mais bien présents (hitbox hasardeuses pour les nuages de poison, morts arbitraires alors qu'encore en vie à l'écran...) et surtout par une traduction qui n'en est pas une, et embrouille plus qu'elle n'aide. C'est d'ailleurs bien dommage car sans ces éléments, le jeu n'aurait fait aucune fausse note. À croire qu'il faut toujours un grain de sable (ou de sel) dans les rouages!
Points forts
- L'hybride parfait entre un Dark Souls et un Castlevania...
- Une difficulté relevée comme on les aime...
- Bestiaire fourni et boss en pagaille
- Éléments de personnalisation à foison
- Cartoon et glauque à la fois
Points faibles
- ... laissant peu de place à sa propre originalité
- ... mais qui en désarçonnera certains
- "Traduction" compliquant la progression et la compréhension du jeu
- Pléthore de petits bugs parasites
Salt and Sanctuary est un titre qui revendique haut et fort ses inspirations, allant jusqu'à s'octroyer directement divers mécaniques de gameplay de deux séries bien connues pour en faire un mélange savoureux à défaut d'être pleinement original. Aventure forcée pour les amateurs de challenge et d'univers gothiques suintants, pari risqué pour les autres... le titre de Ska Studios reste un excellent moyen de passer du bon temps à guerroyer et périr virtuellement en attendant la sortie du prochain Dark Souls, mais aussi tout simplement pour goûter à la même recette utilisée différemment et qui change ainsi de saveur... l'ajout de sel, assurément.