Le point de départ a le mérite d'être clair. Onze personnes dotées de pouvoirs psychiques se retrouvent contraintes de gravir tous les étages d'une tour afin d'éliminer The End, un mystérieux individu qui leur lance un ultimatum. Ils ont 30 jours pour vaincre leur ennemi avant que celui-ci n'envoie une tête nucléraire sur chacune des capitales de la planète. Mais pour éviter l'apocalypse et éliminer cet individu insensible aux balles, ils devront parvenir jusqu'au sommet de cette tour, sachant que le seul moyen de passer d'un étage à un autre est de sacrifier l'un d'entre eux. C'est à la majorité que le vote sera décidé, et si l'on en croit les dires de The End, il y aurait justement un traître parmi eux...

Prescience et jugement

Même si l'intrigue n'est pas aussi prenante que celle d'un Zero Escape et que les membres du S.E.A.L.E.D. n'ont pas autant de relief que ceux d'un Danganronpa, il est évident que les développeurs de Lost Dimension ont puisé dans ces deux séries une partie de leur inspiration. L'idée de démasquer le traître nous obsède du début à la fin, et comme celui-ci est déterminé aléatoirement à chaque partie, le suspense reste présent à chaque fois qu'on recommence le jeu. De plus, le chara design et la façon dont les portraits des héros sont intégrés dans les discussions offrent un rendu de type "anime" qui n'est pas désagréable du tout. Le personnage central, Sho Kasugai, ne peut se baser que sur ce que les autres membres de l'équipe lui confient pour savoir s'ils cachent quelque chose et pour réussir à démasquer le traître en influençant les votes de chacun lors des phases de jugement. Mais d'autres questions plus personnelles l'interpellent aussi, et notamment pourquoi le mystérieux The End semble avoir autant de ressentiment envers lui ?

Pour faire son choix et justifier son jugement, cruel dilemme qui se répètera on le rappelle à chaque pallier, Sho possède des dons de prescience qui lui prodiguent certaines visions qui vont l'amener à douter de tel ou tel de ses compagnons au fil de la partie. Dans le jeu, la vision prend surtout la forme d'une phase de poursuite un petit peu fantasmagorique dans laquelle on doit s'orienter dans un environnement entièrement vide et blanc en suivant la voix du personnage que l'on soupçonne. Si on parvient à le rattraper, on peut alors savoir si celui-ci est un traître ou bien s'il n'a rien à cacher. A partir de là, c'est seulement en discutant avec les autres membres du groupe qu'on peut tenter d'influencer le vote pour évincer un individu en particulier. Une fois le jugement rendu, la victime désignée est immédiatement éliminée par un rayon mortel envoyé par The End, et les autres protagonistes n'ont pas d'autre choix que de continuer.

De Valkyria Chronicles à Shadow Hearts

Mais la conséquence de cette élimination qui survient à chaque étage se traduit aussi par la perte d'un membre du S.E.A.L.E.D. Autrement dit, le joueur doit accepter de perdre régulièrement l'un de ses personnages, sachant qu'ils sont dotés de pouvoirs psychiques bien particuliers qui les rendent presque tous indispensables. Il y a parmi eux des individus doués de télépathie, de télékynésie, de pyrokinésie, d'électromagnétisme, et d'autres capables de se téléporter ou de léviter dans les airs. Le gameplay de Lost Dimension profite de toutes ces capacités pour offrir un système de jeu renouvelé en fonction des personnages que l'on utilise, sachant que le groupe actif est limité à six et que toutes ces skills se développent au compte-gouttes via l'arbre des compétences de chacun. A terme, on peut même élargir le panel de compétences d'un personnage en lui greffant celles héritées d'une des victimes du vote, ce qui est d'ailleurs le seul moyen de débloquer les techniques les plus évoluées.

Le mode de déplacement rappelle lui beaucoup celui de Valkyria Chronicles ou de Resonance of Fate. Le jeu se déroule au tour par tour dans des environnements 3D où la limite de déplacement et le rayon d'action sont matérialisés par un cercle, le but étant de se positionner judicieusement pour à la fois bénéficier du soutien de ses alliés et prendre l'ennemi à revers. Toute la subtilité du gameplay est de bien exploiter les tours de jeu de ses personnages avant que l'ennemi ne prenne la main, en profitant notamment du fait que la notion de soutien (via les "assist") est au coeur du système de jeu. Concrètement, si vous attaquez et qu'un allié se trouve à proximité, il viendra vous prêter main forte en ajoutant sa force de frappe à la vôtre. On peut ainsi enchaîner les coups de manière quasiment imparable en faisant intervenir jusqu'à six personnages à la fois. Combiné à la commande "defer" qui permet de se déplacer puis de passer le relais à un personnage qui a déjà joué, on peut mettre en place des stratégies de soutien vraiment très efficaces. Quant à la riposte, elle est, à l'instar d'un Fire Emblem, décisive. Qu'elle vienne de vous ou d'un adversaire, la contre-attaque peut s'avérer souvent plus violente que l'attaque elle-même et constitue donc un autre élément déterminant à prendre en compte durant les batailles.

Mais le système de jeu ne s'arrête pas là et intègre également de manière assez judicieuse la notion de folie, un petit peu à la Shadow Hearts où l'énergie mentale des héros diminuait à chaque tour. Ici, chaque pouvoir psychique utilisé par un membre des S.E.A.L.E.D. fait diminuer sa santé mentale, le poussant inexorablement vers l'état berserk si la mission n'est pas bouclée avant. Dans cet état, l'allié devient incontrôlable et s'en prend aussi bien à ses coéquipiers qu'à ses ennemis, ce qui peut faire basculer du tout au tout la situation, soit en votre faveur si vous avez de la chance, soit en votre défaveur si vos compagnons se situent un peu trop près du fou furieux. Voilà en tout cas un élément de gameplay plutôt bien amené qu'il colle assez bien à l'ambiance de méfiance et de folie qui caractérise l'ensemble du jeu. Paradoxalement, la notion de confiance se développe, elle, à chaque fois qu'on est de retour au QG, notre héros pouvant régulièrement s'entretenir avec ses alliés pour se rapprocher de certains d'entre eux, ce qui influera autant sur les votes que sur l'efficacité des "assist" durant les prochaines batailles.

Défaillances techniques et regrets

Manifestement, Lost Dimension est un T-RPG bourré de bonnes idées qui possède bien des atouts à revendre. Dommage donc que sa réalisation soit aussi pauvre, avec de gros problèmes de fluidité et des angles de vue catastrophiques, sans compter les plantages à répétition qui obligent à rebooter la console. On aurait bien aimé aussi que le bestiaire jouisse du même traitement que les personnages, plutôt que de se limiter à quelques méchas sans âme qui ne ressemblent à rien. Les boss sont aux abonnés absents et l'IA ennemie est à revoir, certains adversaires pouvant vous faire remporter une mission en éliminant leurs alliés par dommages collatéraux. Cela dit, le challenge n'est pas facile pour autant lorsqu'on opte pour le niveau de difficulté le plus élevé, et le fait de pouvoir recommencer la partie avec un nouveau traître compense légèrement le manque de missions proposées sur l'ensemble du jeu. Recommencer la partie est de toute façon le seul moyen d'accéder à toutes les quêtes des personnages qui ne se débloquent que lorsqu'on a atteint un niveau de confiance élevé avec eux. Dernière précision, il est encore une fois regrettable que les textes ne soient pas traduits en français et que le doublage original japonais n'ait pas été conservé, mais on s'y attendait.