Studio espagnol jusqu'ici surtout connu pour le point n'click horrifique The Last Door, The Game Kitchen effectue un virage à 180 degrés et s’attaque à un genre surreprésenté sur la scène indé : le Metroidvania. Avec Blasphemous, les développeurs ibériques tentent cependant de se démarquer grâce à un univers horrifique inspiré du folklore andalou. Le résultat est saisissant de malaise.
Si Metroïd s'était soudainement mis à l'horreur
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Bienvenu à Orthodoxia, un monde au bord de la corruption, où l’absolution passe par la torture et où les quelques habitants semblent s’accrocher avec désespoir à une religion qui ne leur fait aucun cadeau. Dans ce sombre univers, vous êtes le Pénitent, chevalier au casque pointu qui, armé de son épée Mea Culpa, parcourt la triste lande pour mettre fin au courroux de Dieu. Il passera par des lieux au nom aussi équivoque que la Confrérie du Chagrin Silencieux, le Couvent de Notre Dame au Visage Brûlé, le Pont du Calvaire… Vous l’aurez compris,Blasphemous use et abuse du champ lexical religieux, pour poser une ambiance étonnante, qui passe par l’écrit, mais surtout par l’image.
Le titre reste en effet volontairement nébuleux côté scénario et déroule par bribes son univers, à travers des dialogues très solennels avec une poignée de PNJ. L’écriture est volontairement pompeuse, quelque peu ampoulée. Peut être un peu trop d’ailleurs et ce style d’écriture finit par lasser, d’autant plus que Blasphemous semble avant tout vouloir se raconter par ses décors, absolument somptueux.
Gloire au saint pixel-art
Car nous avons ici affaire à l’un des plus beaux pixels-art de l’année, à un titre à la direction artistique saisissante qui, dès les premiers tableaux, nous embarque : chaque arrière-plan est détaillé, les statues sont gigantesques et effrayantes, les paysages grandioses et mornes à la fois. Comme si l’Espagne du 16e siècle s’était retrouvée corrompue par les démons et transportée dans un jeu Amiga. Il va d’ailleurs bien falloir lâcher le mot : si les mécaniques de Blasphemous s’inspirent beaucoup d’un Symphony of the Night, l’ambiance Dark Fantasy rappelle davantage Dark Souls, avec toutefois cette pointe de folklore ibérique qui lui permet de se démarquer. Non seulement Blasphemous est beau, mais il est également diablement bien animé : chaque coup porté à un adversaire est détaillé, précis et le titre ne lésine pas sur les effets gores lors d’une mise à mort. Le travail de réalisation fourni par The Game Kitchen est admirable.
Blasphemous est certes beau à se damner, mais est-il pour autant agréable à jouer ? Nous l’avons déjà évoqué plus haut, le titre reprend la structure générale d’un Metroidvania : une grande carte avec des dizaines de zones interconnectées entre elles, certains passages inaccessibles à moins de posséder le bon équipement ou la bonne amélioration, et une forte propension à nous faire faire des détours, avec raccourcis à débloquer à la clef. Le level design est travaillé, le jeu n’est pas linéaire pour deux sous et l’exploration rapidement très libre. Un rythme de progression volontairement laissé à l’appréciation du joueur qui a ses limites, puisque l’on peut régulièrement se retrouver à errer à travers les niveaux avant de savoir où aller pour progresser dans l’histoire. Beaucoup d’aller-retour parfois crispants, donc, d’autant plus que les points de voyage rapide sont trop rares.
Malgré tout, la découverte de l’univers et la traversée des niveaux restent un vrai plaisir. Grâce aux décors magnifiques, comme cela a déjà été dit, mais aussi grâce aux combats, nombreux, face à des ennemis très variés. Évêques en lévitation frappant le sol à coup de lance, crucifiés utilisant leur lourde croix comme arme, fantôme éthéré apparaissant et disparaissant en un clin d’oeil… Le bestiaire est très travaillé et chaque ennemi dispose de son propre pattern, bien lisible grâce à la qualité de l’animation. Même discours pour les boss, souvent très impressionnants par leur taille et qui offrent à chaque fois une situation différente. Malgré son unique épée qu’il garde tout au long de l’aventure (qui peut s’améliorer en dépensant des points d’expérience), le Pénitent dispose lui même de plusieurs techniques d’attaque et de défense : parade, glissade, coup chargé, combo, attaque à distance… La prise en main reste simple malgré tout, les affrontements étant surtout basés sur l’observation et la réaction.
Plus Hollow Knight que Symphony of the Night
De Symphony of the Night, Blasphemous ne garde cependant pas vraiment le côté RPG : si le Pénitent peut s’équiper de reliques lui offrant divers bonus (protection contre les flammes ou les toxines, faire apparaître la barre de vie des ennemis, augmenter la vitalité… du très classique) et débloque quelques pouvoirs magiques, son équipement reste le même et sa puissance n’évoluent pas, en dehors de son arme. Pas de loot à foison, donc, mais juste ce qu’il faut de petits bonus réguliers pour encourager l’exploration et la prise de risque.
Dernier point à noter : Blasphemous est ce que l’on peut appeler un jeu difficile, mais pas insurmontable, surtout dans sa première partie. On regrette en effet que, passé un certain événement, la barre de challenge grimpe brutalement, avec notamment des passages de plateformes assez frustrants, où les chutes dans des pics mortels risquent d’occasionner quelques moments de désespoir. On aurait en tout cas apprécié que la courbe de difficulté soit plus progressive. En l’état, le titre de The Game Kitchen reste un excellent Metroidvania, affublé qui plus est d’une réalisation en pixel-art absolument remarquable. Pour un premier essai dans le genre, c’est une franche réussite.
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Points forts
- Une ambiance gothico-horrifique saisissante
- Une magnifique réalisation en pixels-art
- Des animations fluides et détaillées
- Un Metroidvania classique, mais très bien exécuté
Points faibles
- Un manque de points de déplacement rapide, qui oblige à beaucoup d'allers-retours
- Une écriture très pompeuse, qui ne plaira pas tout le monde
- Scénario très nébuleux
- Une courbe de difficulté pas assez progressive
Un Metroidvania de plus sur la scène indé, certes, mais pas n’importe lequel : avec son ambiance macabre et saisissante, Blasphemous est d’ores et déjà l’un des plus beaux jeux en pixels-art de ces dernières années. Mais il n'oublie pas d’être efficace dans son application des recettes du genre, à défaut d’être très original. Exigeant, mais pas insurmontable, doté de combats précis et gratifiants, le titre de The Game Kitchen excelle sur de nombreux points. Quelques petits défauts entachent cependant le tableau : un manque de point de déplacement rapide, qui oblige à de nombreux allers retour, une écriture qui ne fait pas toujours mouche ou encore une courbe de difficulté qui augmente soudainement dans la seconde partie. Des défauts qui pèsent peu dans la balance.