Quel est le sens de la vie ? Pourquoi s'accrocher à l'existence, même lorsque tout semble s'acharner contre nous ? C'est à ces questions que tente de répondre le jeune studio espagnol BeautiFun Games à travers un premier jeu de plates-formes / réflexion narratif à l'esthétique alléchante. Mais lorsqu'on gratte un peu le vernis de l'apparence, qu'en est-il du reste du jeu ? Réponse en quelques mots.
Les jeux introspectifs ont décidément de beaux jours devant eux, puisqu'il est de plus en plus fréquent de voir des aventures remettant en question des mécaniques, des idées, voire des concepts philosophiques. On voit même fleurir ces derniers temps des ovnis qui sacrifient volontairement le gameplay pour orienter la pensée du joueur vers des sphères de réflexion plus élevées, moins brutales et grotesques que d'ordinaire. S'il ne fait pas tout à fait partie de cette catégorie, Nihilumbra rencontre tout de même des problèmes liés à l'équilibre délicat qui doit régner entre complexité du fond et de la forme.
Mais commençons par le commencement : au cœur du sombre néant naît un être, Born. Celui-ci s'enfuit sous les commandes bienveillantes du joueur et les conseils d'un narrateur omniscient pour découvrir le monde existant et tenter d'échapper au destin qui le poursuit sous la forme d'une marée noire et violette dévorant tout sur son passage, le Vide. Au cours de son voyage, il découvre qu'il peut être source de transformation, de création, de destruction, de réflexion et de sentiments, donc qu'il existe. Cette existence se manifeste surtout lorsqu'il prend le pouvoir de cinq fleurs colorées qui lui permettent de dessiner sur le décor et d'acquérir un certain nombre de capacités au contact des traits tracés. Chaque couleur se trouve dans un des cinq environnements spécifiques qui constituent les grands chapitres de l'histoire : le bleu qui permet de geler le sol et de le rendre glissant se situe dans les montagnes enneigées, le vert faisant tout rebondir dans la forêt, le marron sablonneux qui ralentit et colle au milieu du désert, le rouge brûlant dans le cratère d'un volcan, et enfin le jaune conducteur d’électricité dans une ville mécanisée en ruines.
Une palette d’interactions
Une fois chaque couleur débloquée, le joueur peut passer de l'une à l'autre avec la roulette de sa souris ou les choisir dans l'arbre à couleur. Lorsque le coloris voulu est sélectionné, il peut librement l’appliquer sur presque toutes les surfaces en cliquant là où il souhaite la voir apparaître (et l'effacer avec le clic droit), tout en faisant avancer et sauter Born avec les flèches du clavier. Les niveaux du mode Histoire sont une succession d'énigmes généralement assez faciles à résoudre, demandant le plus souvent d'utiliser la couleur trouvée dans le monde traversé. Le joueur doit atteindre certains endroits, éviter ou vaincre indirectement des ennemis, ou encore actionner des mécanismes avec des caisses pour ouvrir des portes. La simplicité de ces niveaux, dont le fonctionnement rappellera parfois un certain Portal 2, permet de terminer l'aventure en environ deux heures, tout en profitant pleinement des paroles du narrateur qui complètent parfaitement l'action en s'inscrivant progressivement dans les décors peints à la main. On appréciera également le soin apporté à l'animation des personnages, pourtant minimalistes, mais qui ne manquent pas de personnalité et sont rendus particulièrement expressifs et attachants par certains petits détails (Born éternue quand il a froid, sue à grosses gouttes près de la lave...).
Si le rythme d'introduction des couleurs semble un peu lent, il est justifié par le sujet de chaque chapitre qui associe chaque découverte à un élément en particulier que nous ne dévoilerons pas ici. Les environnements, séparés en sept ou huit niveaux, sont toujours conclus par une séquence de poursuite en scrolling automatique qui vient rompre la monotonie des allers-retours en apportant une touche de stress accompagnée d'une musique épique. En bref, si cette première partie ne met pas trop à mal les réflexes du joueur, elle se laisse grandement apprécier par son aspect artistique. On la parcourt avec émerveillement et on découvre avec plaisir ce que les développeurs ont à nous dire, bien que le message de fond soit un peu déprimant. On peut regretter d'en avoir vite fait le tour, cependant les créateurs ont pensé à tout puisqu'ils ont prévu un nouveau mode permettant, selon leurs dires, de rallonger considérablement la durée de vie du jeu. Une intention tout à fait louable de leur part, mais qui ne s'adressera malheureusement pas à tout le monde...
Une trop grosse rupture ?
En effet, le mode Void disponible après la fin de l'histoire s'oppose en tout point à l'expérience vécue précédemment. La structure des niveaux est la même, à ceci près qu'une avalanche d'obstacles semble s'être abattue sur le monde entre-temps, rendant les défis beaucoup plus corsés. D'ordinaire, on ne pourrait que se réjouir de cette nouvelle, d'autant plus que les concepteurs ont gardé quelques surprises sous le coude pour pimenter le gameplay (des fleurs absorbant les couleurs et nous empêchant de toutes les utiliser dans certaines zones par exemple) et nous obliger à revoir notre façon de jouer. Cependant, là où le bât blesse, c'est qu'il n'y a pas de transition progressive entre le premier et le deuxième mode de jeu. Le joueur se confronte subitement à une difficulté élevée, qui n'est même pas compensée par des explications. Le narrateur et les tutoriels se volatilisent brutalement, et c'est par l'expérience, parfois frustrante, qu'il faut découvrir et comprendre le fonctionnement de certains mécanismes encore inconnus. Des énigmes pour lesquelles il était possible de réfléchir posément avant d'agir sont remplacées par des courses-poursuites inattendues causées par l'arrivée d'un monstre furibond dès le début d'une séquence. Certains changements d'écran deviennent punitifs puisque des pièges placés juste au niveau des transitions sont inévitables à moins d'être tombé dedans au moins une fois. Les checkpoints permettent de limiter la frustration, mais certains retours en arrière s'avèrent particulièrement énervants, tout particulièrement lorsqu'on venait de réussir, par le plus grand des hasards, à ouvrir une porte en faisant rebondir un monstre sur l'interrupteur sans entrer en collision avec lui. En outre, certaines mécaniques, comme la limite de quantité de couleur que l'ont peut étaler entre deux séquences, ne sont pas suffisamment exploitées (on en vient à se demander la pertinence de son existence, dans la mesure où l'on ne tombe presque jamais à court de peinture), tandis que les énigmes demandant de combiner de façon un peu plus complexe les différentes couleurs arrivent bien trop tard.
Si les hardcore-gamers se réjouiront du mode Void et verront la durée de vie de Nihilumbra s'allonger considérablement, les moins hargneux peineront à passer ne serait-ce qu'un niveau et laisseront vraisemblablement tomber l'aventure là, chose particulièrement regrettable étant donné la longueur de la première partie. On déplore donc le manque de progression de la difficulté qui fait passer sans ménagement le joueur d'une promenade inspirée à l'enfer sur terre. Cela est d'autant plus dommage qu'un certain nombre d'Easter Eggs et une fin spéciale particulièrement amusante sont à débloquer pour les courageux ayant terminé tous les niveaux. On peut également pinailler sur la traduction française, parfois approximative et contenant quelques fautes, mais pas non plus au point de gâcher la compréhension du jeu. Malgré tout, Nihilumbra offre une expérience indéniablement intéressante et plaisante, tant pour les amateurs de belles choses que pour les adeptes de défis, et on ne peut qu'espérer le meilleur pour les prochains jeux de BeautiFun Games, à condition de régler les problèmes d'équilibre entre histoire et gameplay.
Points forts
- Une bonne réalisation artistique.
- Le contenu déblocable à la fin du jeu...
- Le concept d'interaction avec le terrain par le biais des couleurs.
Points faibles
- L'absence soudaine d'indications après la quête principale.
- … qui ne s'adressera pas forcément au même public que la première partie.
- Un gameplay pas forcément exploité au mieux.
Il est difficile de noter un tel jeu, dont les faiblesses pointées ici ne concerneront pas forcément tout le monde. En dépit du peu de temps requis pour terminer l'aventure principale et de l'aspect un peu décourageant du contenu additionnel, Nihilumbra offre une expérience qui vaut le détour pour peu que l'on soit à la recherche d'un voyage initiatique sombre et touchant.