Huit ans après Postal², l'équipe de Running With Scissors est de retour avec un troisième volet plus transgressif que jamais. Hélas, Postal III risque fort de ne pas marquer autant les mémoires que son prédécesseur, ou du moins pas pour les mêmes raisons...
Ultra-violent, immoral et déviant, Postal a défrayé la chronique à sa sortie en 1997. Ce titre met le joueur dans la peau d'un marginal qui, ayant perdu le contrôle de lui-même, commet un véritable carnage dans la ville où il réside. Encore plus subversif, le second volet paru 6 ans plus tard permet de se servir d'un chat comme d'un silencieux, d'asperger ses ennemis d'essence pour les brûler vifs, ou encore d'uriner sur les passants. Il a été interdit à la vente dans plusieurs pays, mais la série s'est forgée une réputation qui l'a même conduite sur le grand écran à l'occasion de l'adaptation de Uwe Boll. Autant dire qu'en dépit des aléas qui ont entouré son développement (d'une durée de plus de 5 ans !), Postal III était attendu par les psychopathes de tout poil.
Ce troisième opus nous laisse toujours incarner le Postal Dude qui, contraint de fuir Paradise City, ravagée par une invasion de zombies et une bombe nucléaire, fait route jusqu'à la ville voisine. C'est ainsi qu'il débarque à Catharsis (un nom évocateur), accompagné de son fidèle Champ, une terreur sur pattes qui adore croquer les parties génitales. A court d'essence, il se résout à effectuer des petits boulots pour gagner de l'argent. C'est l'occasion de croiser une galerie de personnages plus déjantés les uns que les autres, du maire de la ville – un clone de Ron Jeremy plutôt dépravé – jusqu'à Uncle Dave que les joueurs de Postal² connaissent bien, en passant par Uwe Boll et Oussama ben Laden. Le Postal Dude se verra confier une série de missions plus délirantes, empreintes de mauvais goût. Au programme : bombarder des manifestantes féministes avec les mouchoirs souillés aspirés dans un peep-show, ramasser des chats atteints du sida avant que des cuisiniers chinois ne s'en emparent, protéger l'esclave sexuel du maire de la curiosité des paparazzi, aider un groupe d'écolos à libérer des animaux de laboratoire, éliminer les Talibans qui tentent d'envahir la ville, donner une leçon à un gang de motards gays... Aussi inconvenant soit-il, le propos de Postal III est désamorcé par un humour qui se révèle encore plus prépondérant que chez son prédécesseur, et qui le rend sans doute un peu moins glauque. Ce troisième volet est, en cela, à l'image du film de Uwe Boll.
Aussi variées, décalées, politiquement incorrectes et délicieusement transgressives soient-elles, les situations proposées par Postal III s'avèrent quelque peu décevantes car elles ne s'inscrivent plus dans un monde ouvert, mais font l'objet d'une succession linéaire de missions entrecoupées de cut-scenes assez vilaines (bien que stylées). Si certaines conservent un esprit open world permettant de s'"amuser" un peu avec les passants et d'interagir avec l'environnement, la plupart se résument à des niveaux-couloirs ou à de vastes arènes. Pour ne rien arranger, les objectifs assignés au joueur sont à la fois peu intéressants et répétitifs ; ils consistent trop souvent à abattre X membres d'une faction donnée. D'aucuns regretteront également le type de représentation adopté : après la 3D isométrique de Postal et la vue subjective de Postal², place à une vue à la 3ème personne. Elle s'accompagne – et les développeurs s'en amusent – d'autres fonctionnalités issues des shooters console, comme un système de couverture pas trop mal fichu (en dépit de quelques ratés) ou encore une régénération automatique de l'énergie vitale assez permissive. Cela a tendance à rendre le jeu trop facile si l'on considère que l'intelligence artificielle, aux abonnés absents, ne risque pas de venir déloger un Postal Dude en train de récupérer ou de recharger. La faiblesse de l'IA confère même à l'action une tournure chaotique qui pénalise l'une des features de ce troisième volet, qu'il est temps d'aborder.
L'équipe de Running in Scissors, soucieuse de ne pas voir son nouveau bébé bâillonné ou muselé par la censure, et initialement intéressée par un portage du jeu sur consoles (un projet abandonné, faute de crédits), a fait en sorte d'accentuer l'attrait pour le versant non violent du gameplay, histoire de fournir une caution morale à la violence perpétrée par le joueur. S'il est toujours possible, comme dans Postal², de boucler les missions sans recourir au meurtre, cette retenue a désormais un intérêt. Un smiley indique en permanence l'état du karma du Postal Dude, qui va d'angélique à diabolique. En évitant de tuer des gens sans raison (il suffit pour cela de se servir d'armes non létales), il devient possible à terme de s'enrôler parmi les forces de l'ordre et de bénéficier en appui d'un nouveau fil scénaristique. Là où c'est pervers, c'est que ce changement de statut n'en suscitera pas moins le recours à la violence, notamment quand le commissariat sera assailli par un groupe de marginaux difficiles à calmer avec un Taser ou une bombe à poivre ! Bref, le jeu n'a rien perdu de son potentiel subversif, notamment en matière de violence graphique, un domaine où il s'avère encore plus trash que son prédécesseur : flots de sang, mutilations, décapitations et démembrements répondent présents à l'appel, localisation des dégâts à l'appui. Si vous n'êtes pas un pacifiste dans l'âme, il y a fort à parier que vous finirez chaque niveau avec les pieds dans un véritable charnier.
Une grande partie du fun véhiculé par ce troisième volet provient d'ailleurs de la multitude d'armes à disposition, plus délirantes les unes que les autres. Si on retrouve des grands classiques comme la pelle, le jerrycan d'essence ou la possibilité de pisser sur ses adversaires, l'arrivée du raton-laveur tronçonneuse (aussi dégueulasse que jouissif) est très appréciée, tout comme celle de l'aspirateur-souffleur, de l'essaim de guêpes, ou encore du primate contrôlé par stylo laser. Quand on vous dit que le jeu est encore plus déjanté ! Hélas, l'utilisation des armes blanches est souvent un calvaire tant le moteur de collisions s'accommode mal de la représentation à la 3ème personne : on a souvent du mal à toucher son adversaire quand bien même le curseur est positionné dessus ; et à côté de ça, il arrive fréquemment de heurter accidentellement une innocente victime, ce qui est agaçant pour qui veut garder un bon karma. Et même avec une arme à feu, les déplacements saccadés du Postal Dude rendent la précision délicate. Il faut dire que le moteur de jeu vieillissant (le Source Engine) n'arrange pas la qualité technique de l'ensemble, qui souffre d'une jouabilité très perfectible et d'un rendu visuel désuet (la modélisation des personnages est atroce) tout en nous infligeant une optimisation imparfaite et des temps de chargement bien trop longs. Si l'aspect technique n'est pas le plus important dans un Postal, voilà en tout cas qui fera réfléchir les fans de la licence.
- Graphismes10/20
Postal III est visuellement assez daté. Si les décors ont le mérite d'être propres, détaillés et assez variés, la modélisation, l'animation et les textures sont d'une qualité insuffisante qui ne justifie ni l'optimisation douteuse, ni les temps de chargement. Les cut-scenes sont vilaines mais assez stylées.
- Jouabilité8/20
Postal III opte pour une vue objective qui génère des problèmes de ciblage et de collision. La possibilité de s'accroupir (et de sauter) a été troquée contre un système de couverture trop permissif pour l'IA, inexistante. Enfin, le passage d'un monde ouvert à une succession de missions risque de faire débat. Dommage, car l'ensemble reste un shooter décent et finalement assez fun.
- Durée de vie12/20
Comptez sur 5 à 6 heures pour effectuer la vingtaine de missions proposées, qui vous mobilisent rarement plus d'une quinzaine de minutes. Postal III est doté d'un certain potentiel de rejouabilité, avec la possibilité de recommencer la partie en optant pour un karma différent.
- Bande son12/20
Entre ritournelles enfantines, nappes de synthé psychédéliques et hard-rock assourdissant, la B.O. décalée remplit bien son rôle. En revanche les bruitages sont décevants : les armes manquent de peps et les passants agressés sont trop discrets. Les doublages originaux sont corrects.
- Scénario12/20
Difficile de juger un scénario aussi décousu, aussi barré et aussi provocateur, qui ne sert bien souvent de prétexte qu'à un étalage de violence, de méchanceté et de mauvais goût. Mais il faut bien avouer que les situations sont suffisamment drôles pour susciter l'adhésion à ce plaisir coupable.
Tout aussi subversif mais sans doute moins glauque et moins dérangeant que son prédécesseur, Postal III remplit parfaitement son rôle d'exutoire cathartique, où l'ultra-violence le dispute au mauvais goût. Mais on aurait bien aimé qu'il soit aussi un vrai jeu, avec de vraies missions, un vrai moteur graphique et une jouabilité décente. En l'état, ce troisième volet est affublé de trop nombreux défauts pour pouvoir justifier son prix de vente ; on compte sur l'équipe de Running With Scissors (mais aussi sur les moddeurs, ne nous le cachons pas) pour rectifier rapidement le tir. Vous pourrez alors profiter d'un shooter décent, souvent très con, parfois hilarant, et finalement plus fun que ne le fut Duke Nukem Forever.