Nous sommes en 2009 après Jésus-Christ ; toute la planète est occupée par les gros éditeurs et leurs blockbusters d'action. Toute ? Non ! Car un village peuplé d'irréductibles développeurs indépendants résiste encore et toujours à l'envahisseur. Leur secret ? Seulement du talent, qui dans leur chaudron se transforme en véritable potion magique. Quelques gouttes de cet élixir suffisent à envoûter le joueur imprudent, qui se retrouve aspiré dans des expériences ludiques uniques : Braid, The Path... Et aujourd'hui Machinarium, un voyage absolument grandiose dans les méandres d'un univers robotique.
Un gentil petit personnage maltraité par trois grosses brutes, injustement expulsé de sa cité et séparé de sa copine, voilà en gros le scénario de Machinarium. Une histoire intemporelle rappelant furieusement les poncifs des contes de fées qui berçaient notre enfance, et se terminant évidemment par un happy end. La narration, sans aucun dialogue, repose uniquement sur quelques flash-back dans des bulles animées, qui reconstruisent progressivement la trame sous les yeux émerveillés du joueur. Ainsi résumée, l'intrigue peut paraître classique. Elle l'est assurément, mais sa force est de transposer des faits universels dans un monde métallique peuplé de robots. Il n'y a pas de vie organique dans Machinarium, tout n'est qu'engrenages, rivets et automates au milieu d'une forêt de tours rouillées, d'antennes et de tuyaux.
Avec un tel contexte, on pourrait craindre que Machinarium soit aussi froid et impersonnel qu'un morceau de tôle. Il n'en est rien, au contraire, c'est bien là que réside tout le génie des développeurs d'Amanita Design. Le studio a su insuffler une âme dans ce vaste assemblage de métal, qui crève littéralement l'écran par son aura envoûtante. Oui, le monde de Machinarium est un véritable enchantement, qui regorge d'inventivité et de poésie, n'ayons pas peur de lâcher le mot. Chaque rencontre est une petite bouffée de bonheur tant les personnages sont attachants, qu'il s'agisse de ce roboflic au grand cœur, de cette dame qui cherche son robochien, de ce vieillard grippé qui fonctionne encore à l'huile végétale, de ce trio de musiciens de rue ou encore de ce ventilateur qui se prend pour le sphinx. Atypique et plein d'excellentes trouvailles, l'univers de Machinarium contribue énormément au charme du jeu.
Ce charme passe aussi par l'aspect visuel. Ne cherchez pas une seule ligne parfaite dans les décors de Machinarium, tout est réalisé à la main, avec des premiers plans superbement colorés et gorgés de détails, et des arrières plans souvent juste griffonnés au crayon dans les tons gris. Ce mélange à cheval entre brouillon et chef-d'œuvre confère au titre un design unique devant lequel on ne peut qu'être admiratif. Regardez les captures qui ornent ce test, on dirait des dessins conceptuels, alors qu'il s'agit bien d'images in-game. Même le héros, qui n'est pourtant guère plus qu'une boîte de conserve sur pattes, est adorable avec ses grands yeux naïfs et son large sourire esquissé. La musique parachève le tableau avec des thèmes superbes, tout en douceur. Le compositeur joue à assembler d'étranges sonorités électro-industrielles, qu'il distord, sature, transcende enfin, pour déboucher étonnamment sur une véritable caresse auditive, à nous faire presque oublier, l'espace d'un morceau, le temps qui s'écoule inexorablement. Notez que si vous achetez le jeu sur le site officiel et non sur une plate-forme de téléchargement, vous aurez droit à la BO, en plus de donner davantage d'argent aux développeurs.
Machinarium est donc une prouesse visuelle et sonore, un petit bijou d'imagination, mais c'est aussi et avant tout un jeu d'aventure. Amanita Design n'a pas oublié de soigner le gameplay, fort de son expérience passée sur la série de jeux Flash Samorost. Notre petit robot est donc capable de récolter toutes sortes d'objets, qu'il stocke dans son corps à la manière d'un Bender. Soyez rassuré, c'est bien son seul point commun avec le robot vulgaire créé par Matt Groening... Ces objets servent à interagir avec l'environnement pour résoudre des énigmes, dans la pure tradition du genre. Un autre type de puzzle est constitué par plusieurs casse-tête logiques qui servent à déverrouiller une porte, à actionner un levier ou à manipuler un ascenseur. Enfin, quelques mini-jeux ponctuent la progression, comme un clone de Space Invaders et un puissance 5. Des phases qui ne volent pas bien haut en termes de gameplay, il faut l'admettre, mais elles ont le mérite de varier les défis.
Si vous butez sur un des problèmes rencontrés, Machinarium propose un système d'aide en deux étapes. La première fera juste apparaître une petite bulle de pensée pour vous donner un indice sur la marche à suivre, sans tout dévoiler. La seconde étape est un accès direct à la solution du tableau, qui devra néanmoins se mériter en jouant à un petit shoot'em up franchement dispensable. Vous accéderez alors à une superbe planche façon BD détaillant pas à pas la résolution du passage bloquant. Au final, même si la jouabilité de Machinarium est fondamentalement classique, elle se révèle très bien huilée. Les énigmes s'inscrivent parfaitement dans la cohérence de l'univers et de ses mécanismes bizarres. Et, petite originalité, le héros est capable de s'étirer, ou au contraire de se faire tout petit, pour accéder à certains objets. On pourrait toujours regretter l'absence de déplacements rapides, ou pinailler sur le clic droit qui appelle un menu contextuel (technologie Flash oblige) au lieu de ranger l'item sélectionné, mais ce serait faire preuve de sévérité déplacée. Machinarium est un bijou, point, inutile de lui chercher des crosses.
- Graphismes18/20
Les prix ne veulent pas forcément dire grand-chose, mais sachez que Machinarium a remporté celui de l'excellence visuelle au dernier festival des jeux indépendants, face à des titres comme Zeno Clash. Une récompense amplement méritée tant chaque tableau confine à l'œuvre d'art. Chaque lieu découvert constitue un nouvel enchantement pour le regard, qui ne cesse de saisir au vol des petits détails dans ces décors crayonnés où aucune ligne ne semble vouloir rester droite.
- Jouabilité16/20
Le titre parvient à conserver un bon équilibre entre énigmes à résoudre à l'aide d'objets et casse-tête. Ces phases de réflexion et de logique pure sont entrecoupées de quelques mini-jeux (puissance 5, Space Invaders...), basiques mais qui renouvellent agréablement le gameplay. Le double système d'aide permettra à tout le monde de progresser à son rythme. Au fond, les seuls reproches pourraient concerner la lenteur des déplacements et une certaine lourdeur dans la gestion de l'inventaire due aux limitations du format Flash, mais on oublie aisément ces broutilles.
- Durée de vie12/20
Quand on est à ce point subjugué par un univers, on aimerait forcément que ça dure plus longtemps. Car avec ses 4-5 heures de gameplay, Machinarium est une expérience aussi intense que courte. Son tarif d'une quinzaine d'euros appelle toutefois à l'indulgence.
- Bande son18/20
Faisant la part belle aux sonorités métalliques distordues, saturées ou éthérées, la musique est une réussite absolue. Souvent mélancolique, empreinte d'une grande douceur, elle nous transporte dans de délicieuses rêveries ouatées. Achetez le jeu directement sur le site des développeurs pour bénéficier de cette sublime BO.
- Scénario17/20
L'histoire de Machinarium possède tous les ingrédients d'un conte de fées moderne où les robots remplaceraient les créatures fantastiques. Du coup, elle est assez prévisible, mais d'aucuns diraient que ce n'est pas la conclusion qui importe, mais le chemin parcouru pour y arriver. Et quel chemin ! L'aventure du petit robot est faite de rencontres surprenantes, de petites scènes adorables, de flash-back émouvants... Le tout dans un monde attachant bourré de trouvailles.
Si vous aimez les jeux vidéo pour les émotions qu'ils peuvent apporter, pour découvrir de nouveaux univers, pour vibrer devant des décors irréels, pour laisser votre esprit vagabonder, emporté par une musique onirique, alors ne passez pas à côté de Machinarium. Plus qu'un simple jeu d'aventure, le nouveau titre d'Amanita Design est un émerveillement de tous les instants tant il déborde de créativité. Bref, c'est une expérience unique, qui ne se raconte pas, qui se vit, tout simplement, le temps d'un court, mais magique, instant.