Après Ankh, les Allemands de Deck 13 continuent d'exploiter le filon qui a fait leur succès : le jeu d'aventure humoristique au design cartoon. Jack Keane, leur nouveau titre, surfe en effet sur cette vague, plutôt porteuse en ce moment. Et si l'on en croit l'accueil dithyrambique qu'il a reçu outre-Rhin, on tient là un grand jeu.
Il se trouve en effet que le jeu débarque dans nos vertes contrées précédé d'une solide réputation, forgée sous les feux de la critique germanique qui ne tarit pas d'éloges à son sujet. Pendant que nos voisins prenaient visiblement un grand plaisir à jouer à Jack Keane, nous autres pauvres français ne pouvions que trépigner d'impatience en attendant sa localisation. Et en fait de localisation, c'est d'un doublage anglais dont nous bénéficions, ce qui n'est pas plus mal étant donné l'excellente qualité des voix et de leur interprétation. Seuls les sous-titres ne sont pas exempts de reproches, car ils ne retranscrivent parfois pas tout l'humour de certains dialogues. Pas de panique toutefois, Jack Keane reste très drôle.
Pour s'en convaincre, rien de tel que le synopsis du jeu : depuis sa base de Tooth Island, dans l'océan Indien, l'infâme docteur T fomente sa vengeance contre le p... le ppp... le Pire Britannique, comme il le dit lui-même avec son élocution si particulière. Son plan machiavélique consiste à modifier des plantes carnivores pour qu'elles mangent d'autres plantes, puis à les larguer au-dessus de l'Inde afin qu'elles détruisent les plantations de thé de l'empire colonial anglais. Modification d'espèce, largage aérien... Ai-je précisé que le jeu se déroule à l'époque victorienne ? Dans ce contexte, difficile d'imaginer des techniques aussi modernes que l'électricité ou l'aviation, et pourtant... Cet univers anachronique où les bateaux en bois côtoient les machines volantes est une des grandes forces du Jack Keane. Jack justement, parlons-en. Quel est son rôle dans cette histoire ? Au départ, cet orphelin un peu loser mais sympathique est capitaine d'un vieux rafiot. Il est donc chargé d'amener un agent au service secret de Sa Majesté jusqu'à Tooth Island afin de stopper le docteur T. Ca paraît simple.
Mais une fois sur l'île, le jeune homme va commencer à y découvrir des liens avec son enfance oubliée. Sa mission va alors se transformer en une quête de ses origines, qui amènera même le joueur à revivre une scène en flash-back en dirigeant un Jack haut comme trois pommes. Une bonne idée, parmi beaucoup d'autres d'ailleurs. Ainsi, la belle américaine Amanda sera elle aussi contrôlable durant trois courts chapitres. Le jeu en compte treize au total, conférant une très bonne durée de vie au jeu. Beaucoup d'heures seront nécessaires pour connaître le dénouement du scénario et voir son final haletant. Et il ne faudra pas ménager votre peine, car la difficulté devient rapidement élevée. Vos méninges vont être mises à rude épreuve. Les objets sont très nombreux, leurs combinaisons farfelues, il faut vraiment se creuser la tête pour résoudre certains problèmes, ou simplement tâtonner au hasard. Ce n'est pas un défaut, mais je préfère vous prévenir : préparez-vous à tourner parfois en rond sans trop savoir quoi faire. Pour ne rien arranger, certains lieux accessibles ne sautent pas forcément tout de suite aux yeux, malgré le petit scintillement indiquant les endroits où notre personnage peut grimper. Un soigneux balayage de l'écran est donc souvent indispensable.
Abordons plus en détail ces énigmes, qui sont comme il se doit au coeur du gameplay de ce point & click. Elles sont souvent totalement délirantes : par exemple, vous serez amené à faire rugir un tigre mort à l'aide d'un chariot, à faire quelques expériences botaniques ou encore à arranger un mariage. Pour cela, Jack dispose d'un inventaire conséquent, j'en ai déjà parlé, et notamment de son mystérieux couteau familial qui servira à plusieurs reprises. Fait assez rare pour être souligné, il y a même quelques alternatives pour réaliser certaines actions. De la même façon, il sera parfois possible de choisir l'ordre dans lequel effectuer les missions, comme lorsque Jack fait des petits boulots pour la mafia locale. En revanche, certaines mécaniques de jeu semblent un peu artificielles, comme certains objets qui disparaissent lorsqu'ils n'auront plus d'utilité par la suite ; même chose pour quelques lieux qui deviennent subitement inaccessibles lorsqu'il n'y a plus rien à y faire. C'est dommage, mais c'est de l'ordre du détail et ça a au moins le mérite de rendre les choses un peu moins corsées.
Qui dit jeu d'aventure dit énigmes, mais aussi dialogues. De ce point de vue, vous ne serez pas déçu. Hormis le bémol émis plus haut concernant les sous-titres, c'est vraiment bien écrit. Les répliques possibles sont nombreuses, souvent hilarantes et prononcées par une galerie de personnages déjantés. On trouve pêle-mêle le chauffeur de taxi (enfin d'éléphant plutôt) en délicatesse avec la justice, le porteur qui perd systématiquement ses aventuriers, le vieux prêtre impoli, le boucher poète ou encore Montgomery, l'agent spécial aux compétences douteuses. De nombreuses références parsèment les dialogues ou les situations, les plus évidentes étant les clins d'oeil à Monkey Island. Un antihéros malchanceux, jeune capitaine de bateau, qui débarque sur une île peuplée de singes... C'est un véritable hommage qui est fait à la série de LucasArts. Dommage qu'en général, on ne rende hommage qu'aux défunts... Bien sûr, j'espère de tout coeur que Monkey Island n'est pas complètement mort et que Guybrush Threepwood renaîtra un jour de ses cendres. Mais en attendant cette éventualité, il pourrait bien avoir trouvé en Jack Keane un successeur de choix.
- Graphismes14/20
Les graphismes, très colorés, sont assez inégaux selon les environnements. Si la jungle ou le temple sont réussis, c'est moins le cas du laboratoire ou de la partie basse du village. Le design cartoon des personnages fait mouche malgré des animations de courses un peu rigides. Bref, ce n'est pas par son aspect visuel que Jack Keane séduit le plus mais c'est tout de même agréable à regarder.
- Jouabilité17/20
Si les bases du gameplay sont tout ce qu'il y a de plus classique pour un point & click, certaines énigmes sont particulièrement compliquées. Le jeu est plutôt difficile, et même si son contenu le destine à tous publics, il vaut mieux le conseiller aux esprits déjà habitués à résoudre des problèmes complexes. Jack Keane nous offre donc un challenge soutenu, mais aussi varié, grâce à deux personnages jouables et à quelques alternatives bienvenues.
- Durée de vie17/20
Il m'aura fallu une grosse vingtaine d'heures environ pour venir à bout de l'aventure. La durée de vie est donc très bonne pour le genre, surtout pour une quarantaines de piastres, pardon, d'euros. Il y a même des objets spéciaux à dénicher pour débloquer quelques bonus.
- Bande son16/20
Peu de choses à dire de ce côté-là, si ce n'est que le doublage anglais est d'excellente facture, tout comme les musiques d'ailleurs.
- Scénario17/20
Le scénario se laisse dévorer d'une traite sans temps mort grâce à quelques rebondissements bien sentis. De l'amour, une vengeance familiale, un grand méchant à la James Bond... Tous les ingrédients sont réunis pour que Jack vive la grande aventure, lève un coin de voile sombre sur son passé, devienne un homme, et bien sûr sauve le monde. Le tout est servi par des personnages hauts en couleurs et un humour omniprésent.
On pourrait s'évertuer à trouver plein de petits défauts à Jack Keane. On pourrait citer les graphismes pas toujours au top. On pourrait regretter quelques mécanismes de gameplay. On pourrait le trouver presque trop dur parfois. On pourrait... Mais ces peccadilles ne sont rien en regard des qualités du titre. Elles ne résistent pas face à son histoire. Elles plient devant l'interprétation sans faille des protagonistes. Elles cèdent face à son humour. Et nous, on craque donc pour Jack Keane.