Au lendemain de la conférence Xbox de l'E3 2019, nous avons rencontré Hugues Ouvrard, le directeur de Xbox France. C'était l'occasion de discuter avec lui de la nouvelle stratégie de Xbox, et notamment tout ce qui concerne le Xbox Game Pass et le jeu en cloud gaming, les deux nouvelles mamelles de la marque au X vert. Mais comme nous l'a révélé le patron de la division française de Xbox, le fabricant américain ne compte pas abandonner le marché des consoles de salon, ni même celui du PC. Bien au contraire.
Retranscription de notre interview
2019 est une année importante pour Xbox, qui connaît depuis quelques temps de grands changements. La marque au X vert fait feu de tout bois sur le jeu par abonnement avec son Xbox Game Pass, dans le même temps qu’elle prépare le futur du jeu vidéo avec le cloud gaming. Sans oublier bien sûr de s’armer pour la prochaine génération de consoles de salon. À l’occasion de l’E3 2019, au lendemain de la conférence Xbox, nous avons eu l’occasion de discuter de l’avenir de la marque et de sa stratégie avec Hugues Ouvrard, le directeur de la division française de Xbox. Pour lui, c’est certain : 2019 est une année de transition.
H. Ouvrard : C'est une année de transition parce qu'on arrive à la fin d'un cycle de consoles. Mais c'est aussi une année particulière parce qu'il y a des choses qui évoluent sur le marché. L'arrivée du cloud gaming, l'arrivée du jeu par abonnement... On est dans une situation où on doit faire une conférence pour tout le monde. On doit faire une conférence pour les joueurs, on doit faire une conférence pour vous les journalistes, une conférence pour les distributeurs, une conférence pour les journalistes un peu plus économiques, une conférence pour les analystes financiers…
La grande différence cette année, c’est que Xbox, PlayStation et Nintendo ne sont plus seuls dans la course. Ou tout du moins, plus pour longtemps. De nouveaux concurrents débarquent et entendent bien changer la face du jeu vidéo. Parmi eux, Google, qui a dévoilé ses plans quelques jours avant l’E3 et qui présentait son Stadia à une partie de la presse pendant le salon. Chez Xbox, on reste toutefois confiant.
H. Ouvrard : Ça fait déjà, nous, quelques années qu'on travaille sur ce projet-là. Il est en démonstration sur le stand, je crois que tu l'as testé. Je l'ai testé aussi, c'est ultra bluffant. Je pense qu'il y a toujours un bon timing pour faire des annonces sur le cloud gaming, et c'est probablement le bon. Aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui se disent « Le cloud gaming, il faut qu'on en parle, il faut qu'on en parle », la réalité c'est que le cloud gaming, il est beaucoup lié, par exemple, à la 5G. Et que la 5G, en Allemagne, ils ont terminé l'appel d'offre après 411 tours d'enchères. En France, l'appel d'offre sur la 5G n'a pas encore démarré. En Corée du Sud, il y a de la 5G. Donc on va commencer des tests dans quelques pays à partir du mois d'octobre, mais dans la réalité, le cloud gaming repose énormément sur la 5G. Moi je pense, ce que j'ai vu d'annonces qui ont été faites y a quelques temps, c'est qu'en général quand les gens vérifient « est-ce que je suis éligibles ? », ils ne le sont pas. Donc on aura largement le temps de reparler du cloud gaming à l'avenir.
Alors tu sais que moi je suis pas un très grand de « Qui a gagné l'E3, qui a pas gagné l'E3 ». Ce que je pense, c'est que pour réussir dans le gaming, dans les années qui viennent, il faudra rassembler trois choses. Une communauté de gamers ; on a 60 millions de comptes Xbox Live actifs. Des contenus ; on a aujourd'hui 14 studios, on a fait rentrer DoubleFine dans notre portefeuille. Et puis maîtriser le cloud. Ça nous met dans une position unique, je suis pas sûr que les autres prétendants au marché aient autant d'atout dans leurs manches. Et c'est vrai que les actions, le jour des annonces du cloud gaming, qui ont été faites par cet acteur majeur, les actions de Microsoft, de Sony et de Nintendo, ont plutôt progressé. Je pense qu'il y a un avenir assez serein pour les acteurs traditionnels du jeu vidéo. Ça fait 40 ans qu'on fait du jeu vidéo chez Microsoft, ça fait 18 ans qu'on fait du jeu sur console, on est assez serein.
Chez Xbox, on préfère prendre son temps. Au début des années 2000, le géant du logiciel avait su anticiper la démocratisation de l’ADSL et avait préféré attendre avant de lancer son Xbox Live. Il en est de même aujourd’hui avec le cloud gaming. Phil Spencer a bien précisé à l’occasion de l’E3 que Scarlett ne serait pas la dernière console de Xbox ; et surtout, que le cloud ne pourrait pas fournir la même qualité de jeu qu’une vraie console de salon, ou un PC. Alors, chez Xbox, on préfère miser, pour l’instant, sur le jeu par abonnement, et donc le Xbox Game Pass.
H. Ouvrard : Le Game Pass, c'est un peu chez Microsoft "ceinture et bretelles", c'est-à-dire que ça marche tellement bien qu'on peut se permettre de se pencher sur d'autres sujets. On a extrêmement peu de pannes, il est très stable. C'est vrai que le Game Pass est devenu la colonne vertébrale de notre approche gaming. Mais aussi parce qu'on a dépassé le gaming uniquement sur consoles. On a annoncé le Game Pass sur PC, on a annoncé le Game Pass Ultimate, qui permet de regrouper les deux offres. Et on pense que la consommation de jeux vidéo à l'avenir va se faire sur le mode de l'abonnement. Aujourd'hui la plupart des gens consomment de la musique dans le monde par abonnement, la plupart des gens consomment, dans le monde, de la vidéo par abonnement. Y a aucune raison qu'ils ne consomment pas du jeu vidéo par abonnement.
On sait que le marché du jeu vidéo, et le temps que les gens peuvent consacrer les gens aux jeux vidéo aujourd'hui est devenu très rare. C'est là que se joue la vraie concurrence. Avec la musique, avec la vidéo, mais aussi avec d'autres jeux. Des jeux bien connus, qui peut être Fortnite, Apex... C'est plus difficile pour des jeux plus traditionnels, au sens habituel du terme, de s'imposer sur le marché. Et le Game Pass c'est un peu comme une deuxième fenêtre de diffusion, comme on peut le voir dans l'univers du cinéma. Qui permet de toucher un public plus vaste. L'adoption du public est très forte, la France est le premier pays en Europe, donc y a vraiment une très forte adhésion de la part des gamers, et on se rend compte, nous, que beaucoup de gens qui typiquement n'avaient pas acheté Metro Exodus au moment de la sortie, découvrent aujourd'hui le jeu. C'est intéressant pour l'éditeur en termes de visibilité pour sa franchise. Et puis c'est aussi intéressant sur certains jeux, pour la monétisation, une monétisation post-achat ou en l'occurence post-abonnement. Et puis enfin y a des jeux plus petits, qui n'ont que très peu d'espoir d'émerger dans la distribution traditionnelle, et qui peuvent là se tailler une visibilité.
Désormais chez Xbox, on voit plus large, on vise les « deux milliards de gamers » qui existeraient dans le monde, un chiffre régulièrement mis en avant par Xbox ces derniers mois. Une stratégie qui, selon Ouvrard, n’a pas de lien avec l’arrivée de Google dans le secteur, ou les performances de la Xbox One.
H. Ouvrard : Elle serait totalement la même, pour deux raisons. La première c'est que notre vision du gaming, c'est une vision étendue de celle de Satya Nadella pour Microsoft. Quand Satya est arrivé chez Microsoft, il a dit « Je veux permettre à chaque personne sur la planète de mieux travailler ». Et quand Phil Spencer est arrivé chez Xbox, il y a maintenant cinq ans à peu près, six ans... Il a dit « Je veux permettre à tous les joueurs sur la planète de mieux jouer ». Nous notre stratégie d'étendre au gaming, elle est pas liée à l'arrivée d'un concurrent. Microsoft est une entreprise assez importante pour avoir sa propre stratégie, sans être dans la réaction de ce que font les uns et les autres. Et si tu te souviens, je crois qu'on avait déjà eu l'occasion d'évoquer ça ensemble, notre objectif c'est de faire évoluer la marque Xbox, d'une marque de console, d'un produit, vers une expérience.
Ben la logique, je te l'ai expliquée tout à l'heure, c'est... Tu peux choisir de t'adresser à 10% du marché, ou tu peux choisir de t'adresser à 100% du marché. C'est toujours plus intéressant, pour une entreprise comme Microsoft, de s'adresser à 100% du marché, d'autant plus que t'as une position sur le marché du PC, traditionnellement, qui est assez forte. Je crois qu'il y a 90% des joueurs sur PC qui sont sur Windows 10. Donc la logique pour nous... Enfin, ça aurait été illogique pour nous de pas être présents sur PC, de pas favoriser le cross-play entre consoles et PC. Et puis ensuite, de favoriser l'étape suivante, entre consoles, PC, et la mobilité sur des devices mobiles. Moi je pense que l'intérêt, pour les éditeurs, c'est que leurs jeux soient joués par le maximum de monde. Et c'est ça qui rendra cet univers du jeu vidéo encore plus riche, parce que les développeurs vendront entre guillemets, ou proposeront leurs jeux à un public plus grand, qui permettra à l'univers du jeu vidéo de grandir. Et c'est pas en le cloisonnant, dans un marché qui est de moins en moins cloisonné, que tu arriveras à suivre le rythme du marché.
Prochaine étape pour Xbox ? Les premiers tests publics de xCloud, attendus pour octobre 2019. Et, bien entendu, le lancement de Scarlett, fin 2020. Des trois constructeurs traditionnels, Xbox est sans doute le seul capable de répondre à la force de frappe de Google. Pas de doute, ses faits et gestes seront surveillés à la loupe.