Quand on aborde Donkey Kong Country, d'innombrables souvenirs moites nous viennent à l'esprit. Rarement un jeu de l'époque, 1994 on le rappelle, n'aura autant su retranscrire la densité et la chaleur humide de la jungle. Avec une technologie 16-bits limitée, plonger les joueurs dans un univers demande un talent certain, chose dont disposait heureusement le studio Rare. Mais si le design général du jeu et la prouesse graphique qu'il représentait à l'époque pourraient être abordés sur bien des lignes, c'est évidemment sur la musique que nous allons nous attarder, et plus précisément sur un seul thème comme le veut la coutume de la chronique VGM. Et ce thème, qui vous chatoie actuellement les oreilles, n'est autre que Jungle Groove, sans aucun doute le morceau le plus iconique du jeu et de la série.
Donkey Kong Country - Jungle Groove
Voici une chronique vidéo qui n'est pas vraiment une chronique vidéo. L'idée de VGM (Video Games Music) est en fait de vous présenter un thème musical issu d'un jeu vidéo, ancien ou récent, et d'en faire une analyse écrite afin de comprendre pourquoi il fut marquant, que ce soit pour ses pures qualités musicales ou pour son utilisation en jeu. Puisqu'il s'agit d'une analyse, tout est potentiellement sujet à débat. L'idée est de parler de ressenti plutôt que de musicologie, ce qui m'arrange pas mal pour le coup.
Tout est meilleur avec du jazz
Certes, on pourrait penser que ce n'est pas très original de prendre la musique du premier niveau du jeu. Dans un sens, ce n'est pas faux. Mais outre le fait que je n'aie pas la prétention d'être original avec ce choix, l'efficacité de Jungle Groove dépasse largement le fait qu'il soit l'une des musiques les plus connues de Donkey Kong Country. Le thème fait partie des rares morceaux dont la mélodie principale (1'28) est reconnaissable dès les premières notes, pour une licence qui ne fait pourtant pas partie des plus connues de Nintendo (comparé à Mario, Zelda et Metroid par exemple). On a tout de suite à l'esprit les tribulations simiesques de Donkey Kong et Diddy, les chevauchées de rhinocéros et la récolte de régimes de banane. Une invitation au voyage qui passe par un genre qui marche décidément très bien dans les licences Nintendo : le jazz. Outre le fait que ce n'est pas la première fois que le jazz est associé à la jungle (Le Livre de la Jungle est un très bon exemple), ce genre musical a toujours véhiculé une image joviale et bienheureuse, en adéquation avec le personnage de Donkey Kong.
Vous ne le savez peut-être pas, mais dans le jeu vidéo, la composition de la musique du premier niveau n'est pas logée à la même enseigne que celle des niveaux suivants. Non seulement elle nécessite plus de travail, mais elles sont aussi conçues pour arborer un caractère plus universel que les autres thèmes. Pourquoi ? Parce que le thème du premier niveau sera toujours bien plus entendu que les autres par les joueurs et qu'il doit donc porter l'univers du jeu dans son entièreté plutôt que juste l'environnement du niveau. En effet, avant la sortie du jeu, les démos et les trailers présentent souvent le premier niveau plutôt que des moments plus avancés. Même après la sortie, si un joueur montre un jeu à un autre, il commence souvent par le début.
Cette règle est encore de mise aujourd'hui : si vous ne regardez que les premières minutes de Let's Play pour voir si un jeu vous intéresse, vous n'entendrez pratiquement que le premier thème musical du jeu. Ceci explique pourquoi ces morceaux sont à peu près travaillés comme les futurs singles d'un album. Il faut une mélodie catchy, quelque chose qui accroche le joueur rapidement pour qu'il reste et s'intéresse au reste du contenu, alors que les autres thèmes peuvent se permettre d'être plus profonds et complètement ancrés dans les environnements qu'ils sont censés représenter. Cela se vérifie d'autant plus avec des jeux qui proposent des mondes aux univers ultra thématisés : prenez Super Mario Bros 3 et voyez la différence d'appartenance musicale entre le thème de la world map du Monde 1 et celui de la world map du Monde 3...
Montée en puissance
Mais le plus étonnant avec ce morceau, c'est son intro. A une époque où les compositions étaient relativement directes et dans un genre (plates-formes) qui propose un gameplay immédiat, il est très surprenant de n'entendre la mélodie principale qu'après plus d'une minute d'introduction. Une introduction qui ferait presque office de musique d'ambiance, avec ses percussions et ses cris d'animaux. Presque ? Oui. Parce qu'au final, cette intro est aussi une longue montée en puissance qui sert encore mieux le reste du thème sur un plateau. Si les percus servent à plonger le joueur dans l'univers, la basse, avant même les cuivres, lance vraiment la danse. Et puisqu'on parle de danse, on peut justement noter que le thème, du moins dans sa première partie, est particulièrement dansant, quelque chose d'assez rare dans le jeu vidéo, surtout en 1994.
L'autre Jungle Groove
Et si je précise « dans sa première partie », c'est parce que ce Jungle Groove opère un sacré virage à 1'53. Lâchant soudainement toute sa vista, le titre du compositeur David Wise s'enfonce dans les profondeurs tropicales. Notez qu'on perd de suite l'aspect mélodieux pour quelque chose de plus intense, qui nous donne l'impression de s'enfoncer dans une flore épaisse et sombre. La différence avec la partie qui précède est tellement flagrante que beaucoup de joueurs pensent qu'il s'agit de deux thèmes distincts. D'ailleurs, à partir de 2'18, je trouve que le morceau se rapproche du thème Upper Brinstar de Super Metroid, un jeu pourtant d'un tout autre genre. Le fait qu'ils utilisent tous les deux les mêmes instruments émulés de la Super Nintendo peut jouer, cela dit.
Extrait de Super Metroid - Le thème Upper Brinstar à partir de 23 secondes
Au final, on peut définitivement dire que Jungle Groove est un morceau tellement complet et immersif qu'il peut porter l'univers de Donkey Kong Country à lui tout seul. Bien évidemment, le jeu de Rare ne s'est pas fait uniquement autour ce thème, mais il faut tout de même reconnaître le travail remarquable de David Wise, un artiste qui nous aura laissé une œuvre intemporelle.
Je vous laisse en paix, avec les versions Donkey Kong Country Returns et Super Smash Bros Brawl du morceau Jungle Groove.