Voici une chronique vidéo qui n'est pas vraiment une chronique vidéo. L'idée de VGM (Video Games Music) est en fait de vous présenter un thème musical issu d'un jeu vidéo, ancien ou récent, et d'en faire une analyse écrite afin de comprendre pourquoi il fut marquant, que ce soit pour ses pures qualités musicales ou pour son utilisation en jeu. Puisqu'il s'agit d'une analyse, tout est potentiellement sujet à débat.
Golden Sun : L'Age Perdu est un titre GBA qui a fait voyager beaucoup de monde. Après un premier épisode appétissant se passant sur des terres déjà vastes, on découvre avec joie un scénario complexifié et des possibilités de transport décuplées qui permettent d'explorer un horizon si large qu'il est facile de s'y perdre. Illustrant les distances par la diversité, chaque ville possède ses personnages, ses coutumes, sa gastronomie, ses histoires, et bien sûr sa musique attitrée. Le thème du Festival d'Izumo que nous allons explorer aujourd'hui n'est pas forcément le plus marquant. Il est cependant idéal pour aborder le travail surprenant réalisé sur la série, musicalement accompli par Motoi Sakuraba, et qui nous transporte à la fois dans le monde fantastique de Weyard, mais aussi dans les cultures d'une réalité plus contemporaine...
Amaterasu y es-tu ?
Pour les férus de culture japonaise, l'épisode d'Izumo doit donner une impression de déjà-vu. Nos héros arrivent sur une île de l'est soumise à un serpent géant capricieux. Celui-ci exige en effet que, chaque année, une jeune fille lui soit sacrifiée en échange de quoi il n'attaquera pas le village. Pas de chance, ce coup-ci, le sort a décidé d'envoyer la belle Kushinada, fiancée de l'impétueux Susa, entre les crocs de la bête. Pendant que cette dernière se lamente et accepte son sort, attendant la venue d'un héros légendaire, le jeune homme va saouler le serpent de Mikage avec du saké, et tenter de le décapiter dans son ivresse. Une stratégie qui ne fonctionne pas vraiment, mais permet à nos héros d'entrer en scène et de sauver la mise. Vous avez sans doute reconnu une partie du scénario, non pas d'Okami (nous y reviendrons plus tard), mais de l'ancienne légende de Susanoo et Kushinada. En effet, des noms des protagonistes aux barils de saké, en passant par la Lance Vaporeuse (plus connue sous le nom de Kusanagi) qu'on peut trouver dans la queue du serpent, les références aux mythes japonais sont légion. Les plus attentifs peuvent même discuter avec une danseuse du nom d'Izumo no Okuni, une femme ayant réellement existé au XVème siècle (au même titre que le village) et qui est aujourd'hui considérée comme la fondatrice du kabuki (forme de théâtre dansé).
C'est de l'Obon musique
Vous vous demandez sans doute "c'est bien beau tout ça, mais quel est le rapport avec la musique que nous venons d'écouter ?". Eh bien le lien est tout simple : de même que les visuels et le scénario se basent sur un patchwork culturel préexistant, la bande-son est, contrairement à ce qu'on pourrait penser, loin d'être une vague imitation exotisante de la musique traditionnelle japonaise. Elle présente même des références qui, si elles n'évoquent pas grand-chose aux non japonais, n'en sont pas moins très réfléchies. On notera, pour commencer l'opposition entre les deux musiques qui caractérisent le village. Le premier thème, Izumo in Despair, présente en effet une instrumentation typique de la musique de cour (gagaku) utilisant par exemple un shô (orgue à bouche) et un hichiriki (hautbois), ainsi que des sons longs et lents. En plus de rappeler un contexte traditionnel rigide, ce morceau illustre alors le statisme du village oppressé par le serpent et donc soumis à une obligation aussi ancestrale qu'absurde.
Mais les choses changent complètement lorsque le monstre est abattu, permettant au village de festoyer. Pour illustrer la liesse des habitants d'Izumo, Sakuraba effectue alors des choix qui tombent sous le sens. Tout d'abord le style change radicalement pour passer à un simple duo de flûte et de taiko (gros tambour). Ce dernier est en effet un instrument central dans les fêtes traditionnelles populaires, et particulièrement pour rythmer les danses. On notera d'ailleurs que le rythme répété dans ce morceau (reproduit approximativement dans l'encart ci-dessous) est très proche de celui joué traditionnellement à Kyushu lors du festival de l'Obon, qui célébre les morts. Bien que cette fête soit pratiquée avec de nombreuses variantes régionales, elle est le plus souvent caractérisée par le Bon Odori, une longue ronde dansée dans le style ondô autour de la tour (ou yagura) sur laquelle se tient le percussionniste.
En plus de se référer à un rythme traditionnel, la mélodie est basée sur un mode pentatonique et anhémitonique, c'est-à-dire qui n'utilise que cinq des sept sons de la gamme occidentale (ici : ré, mi, sol, la et si) et ne posséde pas de demi-ton. Bien qu'en théorie les modes japonais soient un peu plus compliqués, et que la note centrale varie de l'un à l'autre, on constate que la gamme est identique à celle du Kyūshū Tankô Bushi écouté juste au-dessus. En fait, ces deux thèmes sont probablement écrits selon un mode folklorique ancien appelé Yô. La référence musicale se révèle donc plus complète que ce qu'on aurait pu imaginer.
A gauche, transcription approximative de la formule rythmique.
A droite, notes utilisées dans la gamme.
L'Obon étant synonyme de festivités, donc de bonne chair, de boissons, de jeux et de feux d'artifice, le clin d’œil fait aux Japonais est assez clair. Les habitants des autres pays, en revanche, y sont forcément moins sensibles culturellement parlant. Et pourtant, des citations de cette figure rythmique se trouvent dans de nombreux autres jeux sortis des frontières nippones. On peut citer l'exemple le plus célèbre qui figure dans Okami pour symboliser des monstres ivres en train de festoyer, ou encore l'ambiance un peu plus bon enfant du festival Sumi dans le récent Pokémon Shuffle, qui accompagne des visuels de stands évocateurs. Pour en revenir à la bande-son de Golden Sun : L'Age Perdu, l'île d'Izumo n'est qu'un exemple parmi tant d'autres du soin apporté à créer un univers riche et instructif jusqu'aux fonds des fourneaux. Les renvois à de nombreuses cultures, qu'il s'agisse du gamelan javanais, de structures rythmiques africaines complexes ou encore de particularités architecturales et de textes mythologiques sont, à titre personnel, ce qui rend ce jeu toujours plus passionnant et agréable à jouer. Et vous, quelles sont les références qui vous ont marqué ?
On trouve d'autres références à la culture japonaise cachées dans les musiques de Golden Sun. La chanson de Yepp, dansée par des enfants de la ville de Yallam, est une reprise de la comptine de ronde Kagome Kagome. Cette référence apparaît également dans l'OST de Touhou 8 !