Aux commandes du moteur magique UbiArt, une équipe d'Ubisoft a décidé de commémorer à sa façon le centenaire de la Première Guerre mondiale. Un jeu d'artistes qui se pose quelque part entre pédagogie, humanité et essai artistique.
Alors que le PC, la PlayStation 4 et la Xbox One font actuellement tourner le nouveau jeu signé Yoan Fanise intitulé 11-11 : Memories Retold, la Nintendo Switch accueille l'autre jeu du créateur basé sur les événements de la Première Guerre mondiale, sorti en 2014. L’occasion de retrouver Anna, Emile, Freddie, Karl, et bien évidemment le compagnon canin Walt pour une aventure toujours aussi plaisante à parcourir.
Les graphismes en 2D ainsi que le style graphique simple semblant sortir d’une bande dessinée conviennent forcément aux processeurs de la Switch. Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre tourne parfaitement que ce soit en mode console ou en nomade. Il est quasiment impossible de déterminer des différences par rapport aux versions sorties en 2014 sur consoles et PC.
Le titre d’Ubisoft s’est équipé de quelques munitions supplémentaires afin de fêter son portage sur l’hybride de Nintendo. Nous retrouvons tout d’abord une bande dessinée de quelques pages à feuilleter, narrant une partie de la vie de Walt (le chien). À l’image du jeu, cette courte histoire à dérouler fait aussi bien la part belle à l’amitié qu'à la tragédie de la guerre. L’autre bonus, intitulé “The Art of Soldats Inconnus”, présente une galerie d’éléments graphiques utilisés dans le soft, allant des personnages aux story-boards de différentes scènes. Aucun contenu supplémentaire lié à l’aventure principale n’est cependant à noter, ce qui est toujours regrettable.
Jouable aux Joy-Con et même au tactile en mode nomade, Soldats Inconnus sur Switch est forcément conseillé aux personnes n’ayant pas connu une des versions d’origine.
Le test complet de Soldats Inconnus (par Dinowan)
La Première Guerre mondiale n'a jamais été un sujet de choix pour l'industrie du jeu vidéo et rares sont les titres qui se sont intéressés à elle d'une façon ou d'une autre. Allez savoir pourquoi, la Grande Guerre ne semble pas être bankable, sauf pour cette petite équipe d'Ubisoft Montpellier qui a saisi au vol les commémorations du centenaire et livré une production qui a même reçu le soutien de la Mission du Centenaire. Inspiré par les lettres des soldats ou de leurs familles, Soldats Inconnus raconte l'histoire croisée de 4 personnages qui vont traverser le conflit et ses événements les plus emblématiques ou marquants en tâchant d'éviter tout manichéisme de bas étage auquel les joueurs sont généralement soumis, pas de gentils Français d'un côté ou de méchants Allemands de l'autre.
Des hommes et un chien
D'ailleurs, Karl, le premier protagoniste de Soldats Inconnus, bien que vivant en France avec sa femme et son fils, est d'origine allemande. Expulsé et enrôlé de force dans les rangs de l'armée germanique, il est donc contraint d’abandonner sa famille et de combattre contre son pays d'adoption. Comme un malheur n'arrive jamais seul, à peine la gendarmerie a-t-elle embarqué Karl que c'est au tour d'Emile, son beau-père, d'être appelé côté français en dépit de son âge. Son but premier sera de tout faire pour retrouver son gendre et de le ramener en vie auprès de sa fille Marie. Il deviendra rapidement ami avec Freddie, un Américain venu de Louisiane gonfler les rangs de la Légion étrangère bien avant que son pays n'entre en guerre et avec pour ambition de venger la mort de sa compagne en abattant le baron propulsé général qu'il tient pour responsable. Anna de son côté est une infirmière belge qui rejoint le front pour retrouver son père et porter secours à tous ceux qui en auront besoin, Français, Canadiens, Allemands, Hongrois... Tous se croiseront, veilleront les uns sur les autres, partageront des buts communs et la compagnie de Walt, un chien secouriste de l'armée allemande qui n'hésitera jamais à leur venir en aide.
Ludo-documentaire
Pour raconter son histoire, Soldats Inconnus utilise deux méthodes. Chaque segment du jeu est introduit par un narrateur chargé de rappeler le contexte dans lequel les héros évoluent, dans quelle bataille ils sont plongés, dans quelle région dévastée ils sont envoyés ou dans quel camp de prisonniers on les cantonne. Les pérégrinations de ces quatre héros les amèneront à traverser les pires moments de la guerre, le premier usage des gaz, la première apparition des divisions blindées, la vie dans les camps de prisonniers, l'horreur des tranchées, l'hiver, la présence des troupes coloniales ou les absurdités tactiques de certains généraux. Chaque noeud historique rencontré est accompagné d'un peu de littérature illustrée par une photo couleur, en partenariat avec le documentaire Apocalypse Première Guerre. On peut en outre dénicher quelques objets cachés apportant encore leur lot d'enseignements, des détails aussi "anecdotiques" que l'évolution des plaques d'identification ou l'utilisation des casques comme braseros pour se tenir au chaud. Et pas question d'omettre des points comme le changement de couleur des uniformes français.
Entre Histoire et divertissement
Ca, c'est pour la vocation pédagogique du titre. Une fois en jeu, plus de dialogues, plus de textes. Toute la communication passe par des pictogrammes indiquant au joueur ce qu'on attend de lui. Aller par là, échanger un objet contre un autre, soigner, tirer au canon, etc. Des infobulles qui vont de pair avec des voix marmonnant un faux langage dans lequel se perdent quelques mots, des sons caricaturaux qui évoquent la nationalité de chaque personnage et son rôle. Entendre les soldats français baragouiner en roulant les R et en lançant quelques mots désuets d'une voix bourrue retranscrit par exemple parfaitement les origines paysannes d'une bonne partie des troupes et contribue aussi au décalage qui existe entre le fond informatif du jeu et sa forme plus légère et caricaturale. L'aventure de ce quatuor est en effet souvent assez improbable, prenant des airs de belle histoire humaine romancée sur fond guerrier, empreinte d'un ton tragi-comique qui crée parfois un détachement vis-à-vis des événements. Soldats Inconnus est une représentation très stylisée du conflit qui mêle l'esthétique d'une bande dessinée à la mise en scène d'un théâtre de marionnettes (ce qui n'a rien de péjoratif, s'il est nécessaire de le préciser) qui suggère plus qu'il ne montre. Il faut parfois chercher dans les détails à l'écran pour mieux comprendre, en remarquant par exemple les yeux exorbités d'un soldat qui court à l'assaut, qui symbolise l'enfer des mortiers en obligeant le joueur à slalomer entre les obus.
Malgré tout, Soldats Inconnus a peut-être tendance à trop styliser et à se montrer moins touchant qu'on pouvait le penser dans son scénario ou sa représentation de la guerre. Des scènes font exception toutefois, comme la transcription de la bataille du Chemin des Dames durant laquelle on ne foule plus le sol lorsqu'on grimpe sur une butte mais des piles de cadavres, poussé par un officier qui vous abattra si vous faites mine de reculer pour voir si vous n'avez pas laissé traîner un collectible. Un préliminaire à un très beau final soit dit en passant. A contrario, d'autres scènes ramènent le jeu vers la caricature et le pur divertissement, comme la prise de possession d'un tank anglais qui lui donne presque des airs de Metal Slug. Séquence qui pourra elle-même être suivie par une autre, plus posée, venant rappeler que la guerre frappe chaque côté des frontières aussi durement et injustement. D'un point de vue purement ludique, le titre d'Ubisoft prend donc des libertés avec l'Histoire, tout en en suivant le déroulé.
Prendre, donner, activer
D'ailleurs, sans doute serait-il temps de parler gameplay. Vous avez déjà eu tout le loisir de constater que Soldats Inconnus est intégralement en 2D, il vous reste à apprendre qu'il se présente la plupart du temps comme un point'n click avec contrôle direct du personnage. On progresse donc de zone en zone en cherchant le moyen de passer à l'étape suivante après avoir résolu quelques puzzles et énigmes. Ici, on devra simplement trouver le moyen de déplacer un objet d'un point à un autre, là il faudra d'abord fournir un item à un personnage qui nous en donnera un autre en échange et ainsi de suite. Le but des puzzles n'est pas toujours guerrier. Le joueur est amené à préparer un repas pour ses geôliers dans un camp ou à chercher de quoi écrire une lettre depuis le front. Fréquemment, le chien Walt est également mis à contribution, toujours prêt à ramener l'objet qu'on lui indique ou à activer un levier à distance afin de libérer un chemin. D'une manière générale, les puzzles ne sont pas bien complexes et ont peu de chances de bloquer qui que ce soit. Ce ne n'est pas nécessairement un problème puisqu'on peut comprendre la vocation très grand public du jeu, en revanche il est regrettable qu'ils soient aussi répétitifs.
Les puzzles ne sont cependant pas la seule occupation des 4 héros. Anna passe le plus clair de son temps à venir en aide aux blessés, ce qui se traduit par un jeu de rythme dans lequel on doit enfoncer les touches indiquées au bon moment. Une mécanique qui là encore a tendance à trop se répéter. De temps à autre, il faudra également savoir se faire discret, ce qui signifie tout simplement avancer quand un soldat ne regarde pas pour aller se cacher derrière un buisson. Dans un tout autre registre, on a déjà cité l'utilisation d'un blindé, on peut encore ajouter quelques courses-poursuites en voiture où l'on devra éviter les embûches qui tombent au rythme d'un peu de musique orchestrale, ou encore quelques lancers de grenades et une poignée d'affrontements contre des boss qui nécessiteront un peu d'adresse. En somme, Soldats Inconnus s'efforce d'être un petit méli-mélo d'idées sans pour autant réellement se renouveler dans le fond. D'une certaine manière, les séquences de jeu sont presque autant des éléments d'ambiance et de mise en scène que le reste de la réalisation.
"Fait main"
Une réalisation de haute volée d'ailleurs. Une fois de plus, le très agile moteur UbiArt prouve son utilité quand on le confie à des artistes talentueux. Soldats Inconnus a tout de la bande dessinée animée. La patte "à la main" se ressent partout à l'écran, dans les grandes lignes ou dans les détails foisonnants, les éclairages travaillés ou l'animation d'un officier vociférant. Chaque tableau est unique et on ne voit pas deux fois la même chose dans les environnements. Le résultat, que l'on parle de technique ou de direction artistique, est splendide. La bande-son profite elle aussi d'un joli traitement, qu'il s'agisse des thèmes musicaux aux marmonnements des personnages en passant par l'excellent doublage du narrateur effectué par Marc Cassot, dont vous aurez au moins entendu la voix dans Harry Potter (Dumbledore) ou Le Seigneur des Anneaux (Bilbon). Grand luxe.
Points forts
- La documentation illustrée
- Une bien jolie histoire ancrée dans l'Histoire
- La réalisation et la direction artistique magnifiques
- La dernière partie très efficace
- Les personnages attachants
- Durée de vie très honnête (une huitaine d'heures en comptant les arrêts lectures)
Points faibles
- Un esprit caricatural qui crée parfois de la distance avec les faits
- Trop peu de scènes vraiment saisissantes
- Des changements de ton abrupts déconcertants
- Le gameplay un peu trop figuratif et redondant
On ne savait pas nécessairement à quoi s'attendre avec Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Il ne s'agit pas d'un long plaidoyer contre la guerre ni d'un conte larmoyant sur les horreurs des tranchées. Ces éléments sont présents, ils sont le théâtre d'une histoire plus humaine, totalement fictive et romancée, qui traite d'amour, de séparation, de mort, de solidarité, même entre ennemis supposés. Ici on vous colle le nez dans une représentation touchante de la guerre, là on vous met un tank dans les mains pour affronter un boss. Il existe un décalage constant dans le gameplay et dans le rendu qui par moments il est vrai engendre trop de distance et casse le lien émotionnel avec les personnages et les faits. Malgré tout, on a bien du mal à ne pas se soucier du devenir de Karl, Emile, Freddie, Anna et Walt. Soldats Inconnus est un à-propos de la guerre qui ne cherche pas forcément à émouvoir, mais à servir de support d'apprentissage de l'Histoire, un guide illustré facile d'accès, un jeu qui au passage ne manque pas une occasion de vous apprendre un petit quelque chose.