Libéré de son contrat d'éxclusivité le liant à Sony, Quantic Dream a enfin pu proposer son catalogue sur d'autres plates-formes que la PS4. C'est ainsi que Heavy Rain et désormais Detroit : Become Human ont trouvé leur chemin sur PC et c'est à ce dernier que nous nous intéressons ici.
Fondamentalement pensé pour un gameplay à la manette, Detroit Become Human réussit pourtant très bien son passage au clavier / souris. Si naturellement le pad reste recommandé, le titre de Quantic Dream se révèle cependant agréable à prendre en main. Les QTE sont intuitives et les divers mouvements d'ordinaire à accomplir aux sticks sont désormais à mimer avec un mouvement de la souris. En somme, le travail d'adaptation est à saluer et la prise en main est immédiate, quelle que soit votre manière de jouer.
Même constat côté technique. Detroit poussé au maximum est toujours splendide et cette version PC vous permet de jouer en 4k / 60 fps si votre machine le permet. A l'exception d'un premier lancement du jeu qui s'avère relativement long, Detroit s'avère très stable par la suite. Nous n'avons, au cours de notre session de jeu, constaté aucun ralentissement. En somme, si vous n'avez pas eu l'occasion de faire le titre lors de sa sortie, cette version PC est une très belle opportunité pour découvrir l'une des meilleures productions de Quantic Dream.
Le test complet du jeu
Il aura fallu attendre 5 ans aux fans des productions Quantic Dream pour connaître la naissance du successeur de Beyond : Two Souls. Plus de 4 années de développement ont été nécessaires aux équipes du studio français pour tenter de pousser son ADN dans ses derniers retranchements et proposer une histoire aux embranchements multiples, grâce auxquels chaque joueur est libre de prendre les commandes du destin des personnages qu'il incarne. Autant le dire tout de suite, l'attente en valait clairement la peine.
Detroit est un jeu aux nombreuses surprises et aux nombreux embranchements scénaristiques. Afin que vous puissiez vous faire une idée précise du titre sans vous en gâcher l'expérience, sachez que ce test ne contient pas de spoiler, à l'exception des deux extraits qui y figurent, et qui ne dévoilent que des scènes intervenant très tôt dans l'aventure.
Bienvenue en 2038
Nous sommes en 2038 et la ville de Detroit, autrefois durement touchée par un effondrement de son économie, est parvenue à renaître de ses cendres en devenant la capitale mondiale de la production d'androïde. La puissante entreprise Cyberlife a été la première à mettre au point ces êtres singuliers, dont le mimétisme avec les humains est pour le moins troublant. Dans ce contexte, les androïdes ont progressivement remplacés les humains dans la plupart des emplois courants. Réceptionnistes, instituteurs, médecins... autant de fonctions désormais occupées par des machines dont la fiabilité n'est que peu remise en question au sein des entreprises.
Cependant, la démocratisation de ces machines ne s'est pas faite sans heurts et le taux de chômage chez les humains a augmenté en flèche. De ces multiples pertes d'emplois a découlé une certaine hostilité d'une partie de la population à l'encontre des androïdes. Ces derniers ne sont d'ailleurs pas totalement intégrés à la population et certains espaces sont d'ailleurs réservés à leur condition, donnant à la société du jeu des allures d'apartheid. Mais les choses sont sur le point de changer et certains androïdes commencent à montrer des signes de dysfonctionnement. Ceux qui se feront bientôt connaître sous le nom de « déviants » montrent effectivement des signes d'une conscience émergente et de sentiments humains bien éloignés de leur programme d'origine.
C'est dans ce contexte troublé que vous aurez la possibilité d'incarner trois personnages, aux destins bien différents, mais dont les intérêts sont liés. Kara est une femme au foyer, s'occupant de la petite Alice qui vit sous le joug d'un père tyrannique. Markus est un aide à domicile, chargé de s'occuper d'un peintre richissime tandis que Connor est un androïde secondant les forces de l'ordre sur les scènes de crimes, en particulier celles impliquant des déviants.
Si nous nous garderons bien d'en révéler la teneur exacte, nous tenions à saluer la présence d'un belle quantité de petites idées anodines en apparence, mais qui donnent à Detroit une cohérence en jeu mais également au-delà. Vous le comprendrez rapidement à mesure que vous progresserez dans le jeu, Detroit commence bien avant le bouton « nouvelle partie » et l'on sent à travers une multitude de petites fonctionnalités que l'univers du jeu a été savamment travaillé.
La condition d'androïde se résume souvent à être au service des autres.
Un scénario solide que l'on aurait aimé plus original
Il n'est assurément pas chose aisée que de vanter les mérites d'un jeu aussi narratif que Detroit : Become Human sans en révéler une partie de l'intrigue, mais c'est que nous tenterons de faire afin de ménager l'effet de surprise. Concernant le scénario du titre, nous pouvons affirmer que l'ensemble est assez solide, même si, comme on le redoutait, l'écriture a tendance à un peu trop forcer le trait, surtout dans ses premières heures. Effectivement, les premiers chapitres du jeu n'esquivent clairement pas de grosses maladresses d'écriture et quelques clichés, même si fort heureusement, ces écueils sont nettement plus dilués - quoi que présents - par la suite. Si l'intrigue globale a vite fait de devenir tentaculaire en fonction de vos choix (nous y reviendrons), nous aurions aimé que Quantic Dream nous propose une vision un peu plus personnelle et originale de la singularité, sujet maintes fois traité dans la littérature ou dans le cinéma. Cependant, si certes les thèmes abordés ne sont pas bouleversants d'originalité, leur traitement général est très plaisant à suivre, à plus forte raison que leur mise en scène est terriblement impliquante pour le joueur. Notez que si le propos adopté est parfois particulièrement sombre, le titre évite soigneusement la complaisance et sait aussi faire preuve de subtilité dans son approche des sujets les plus graves, parvenant à suciter à plusieurs reprises des émotions fortes chez le joueurs.
En outre, la vision de Detroit proposée par Quantic Dream est criante de crédibilité. Le studio répond à sa promesse de ne pas verser dans de la science-fiction, mais plutôt dans l'anticipation, donnant à cette année 2038 des airs de futur possible. Un grand soin a été apporté aux détails de l'univers, qu'il s'agisse des vêtements, des véhicules, des vitrines des magasins ou de l'architecture des bâtiments les plus modernes. Par ailleurs, plutôt que de forcer la contextualisation des bases de son univers, Detroit Become Human regorge de magazines à lire détaillant plus précisément l'atmosphère et les enjeux de cette année 2038. Nous vous invitons chaudement à consulter ces documents ayant l'intelligence de soulever des questions intéressantes, autant sur la place des androïdes que sur l'impact qu'ils ont, au même titre que l'humanité, sur l'écologie ou la géopolitique.
Enfin, techniquement, Detroit fait honneur aux standards de Quantic et offre son lot de panorama somptueux et de personnages que l'on jugerait parfois vivants. Alors il existe bien ici où là des petits pépins relatifs aux animations parfois un peu rigides, mais l'ensemble du travail des équipes de Quantic Dream est à saluer, le titre étant très souvent un régal pour les yeux.
Un nombre de variables qui force le respect
Nous le disions un peu plus haut, et comme le veut la tradition des jeux du studio, c'est essentiellement l'implication du joueur qui fait tout le sel du déroulement de l'aventure. À l'image d'un Heavy Rain, Detroit est divisé en plusieurs chapitres, chacun ou presque étant consacré aux différents personnages dont vous avez la charge. L'ensemble de Detroit est la somme de nombreux chapitres dont les connexions sont nombreuses. En effet, une grande quantité de décisions ou d'éléments observés au détour d'une exploration ou d'une conversation pourront avoir des répercussions à moyen et long terme. Il ne sera ainsi pas rare, par exemple, de se féliciter d'avoir entretenu de bonnes relations avec un personnage a priori insignifiant, ce dernier pouvant bien plus tard vous sortir d'une situation délicate.
Il est récurrent, s'agissant des jeux narratifs, que le discours marketing insiste sur les « choix et impacts » proposés tout au long de la session de jeu. Souvent, c'est surtout le cheminement qui mène à un dénouement fixe qui diffère sensiblement, plutôt que l'aventure en général. Ici, pas de poudre aux yeux, la promesse d'une expérience unique est largement tenue, conduisant sur des fins qui reflètent parfaitement l'ensemble des décisions prises au cours de la partie. Au cours de notre période de test, nous avons pu confronter pas moins de 8 parties différentes, chacune d'entre elles ne correspondant pas exactement à une autre. Alors bien évidemment, il n'existe pas d'histoires radicalement opposées par personnage et certaines décisions conduisent simplement à des lignes de dialogue différentes. En revanche, l'issue des nombreuses sessions de jeu a largement différé en fonction des décisions prises par chacun. Des plus dramatiques aux plus nuancés, les cheminements et aboutissements de Detroit comportent un nombre tout simplement ahurissant de variables savamment concoctées par Quantic Dream.
Connor enquête
Comme pour mieux mettre en exergue les ramifications du jeu, Quantic a eu l'excellente idée d'intégrer à chaque fin de chapitre les différentes arborescences possibles, indiquant celles que vous avez manquées, mais en les grisant, empêchant ainsi de connaître leur nature exacte. Ce procédé n'est pas qu'un simple moyen de mettre le nez du joueur dans les choix qu'ils auraient pu effectuer, il sert surtout à bien lui faire prendre conscience de la quantité astronomique de possibilités qu'une seule et même scène comporte. En outre, ces bilans vous permettent aussi de mieux appréhender à quel point l'action la plus insignifiante prise dans un chapitre antérieur peut débloquer des voies totalement inédites.
Qu'il s'agisse d'actions à réaliser ou de choix de dialogues, chaque décision est prise en compte par le jeu qui ne met pourtant jamais le joueur en défaut. Là où dans un Heavy Rain ou un Beyond : Two Souls, un joueur pouvait instantanément regretter une décision, sachant par avance que choisir tel ou tel dialogue conduirait à "une mauvaise fin", il n'en est rien dans Detroit. Les choix proposés, notamment lors des conversations, sont toujours parfaitement inscrits dans leur contexte et sont nettement plus subtils que dans les productions passées de Quantic Dream. Ainsi, le joueur a le plaisir de prendre les décisions qui lui ressemblent, et ce, d'une manière extrêmement naturelle. Il croisera les doigts pour avoir acté le choix qui évitera de conduire sa partie à la catastrophe, tout en restant persuadé d'avoir choisi la voie en accord avec son ressenti.
Des situations variées qui plancent le joueur sous haute tension
Quantic Dream a su en tout cas activer les bonnes ficelles pour donner un sentiment profond d'implication du joueur, en le plaçant dans des situations de haute tension et en proposant notamment des choix et QTE chronométrés. La difficulté et les enjeux dramatiques vécus par l'ensemble des personnages du jeu, ainsi que la conscience aiguë que chaque erreur ou mauvais choix peut changer drastiquement le cours d’événements produit très régulièrement un sentiment de peur panique chez le joueur, qui devra s'efforcer de garder son calme pour se sortir d'un mauvais pas.
C'est d'ailleurs davantage dans la manière de débloquer une situation (masquer des preuves, bien observer l'environnement...) plus que dans les QTE de combat, par exemple, que se trouve tout le sel de Detroit. Les actions contextuelles manquent de challenge, et si la vie ou la mort d'un personnage dépend parfois de la réussite ou non de ces QTE, leurs conséquences sont finalement assez minces et servent davantage à dynamiser la scène qu'à la modifier en profondeur.
Quantic Dream, on le sait, cherche à s'adresser à un public large, désirant également amener dans son giron celles et ceux n'ayant jamais approché un pad de leur vie. Ainsi, Detroit propose deux mode de difficulté. Un mode normal, qui concerne les joueurs connaissant la morphologie de la Dualshock 4, mais également un mode spectateur. Ce dernier propose des actions simplifiées, permettant aux novices de ne pas échouer systématiquement s'il ne connaissent pas sans la regarder la position de tel ou tel bouton. En outre, les QTE profitent d'un temps additionnel avant d'être ratées et les risques de perdre un personnage sont amoindries. Une bonne initiative si vous désirez faire profiter vos proches de l'expérience Detroit.
Quantic Dream, avec Detroit, a certes conservé son approche singulière du jeu vidéo, mais en a exacerbé le côté ludique, en proposant un titre rythmé et nettement plus varié que ne l'étaient les précédents titres du studio. Les scènes dramatiques et touchantes succèdent à des phases d'enquêtes plutôt maîtrisées, pour déboucher ensuite à des séquences de course poursuite tout simplement haletantes. Jouer autant sur le tableau du thriller et de l'action que celui du film d'anticipation permet à Detroit de faire respirer son intrigue et les phases d'un jeu qui jamais ne paraît linéaire.
Quantic Dream est en outre parvenu à multiplier les petites idées pour insuffler beaucoup de diversité aux chapitres du jeu qui se suivent, mais ne se ressemblent pas. Nous soulignerons d'ailleurs à cette occasion une réalisation de haute volée, certaines scènes étant tout simplement épiques et haletantes, et le rythme général de l'intrigue qui sait captiver d'un bout à l'autre. Notez qu'il vous faudra environ 10 heures pour une première partie pas trop ratée. Vous pouvez aisément tripler la mise si vous désirez absolument tout voir. L'ensemble est d'ailleurs servi par une bande-son particulièrement soignée qu'il s'agisse des musiques ou des doublages qui, s'ils sont meilleurs en version anglaises, sont plutôt convenables en français même si la synchronisation labiale aurait gagné à être retravaillée dans cette dernière version.
Bande-annonce de Detroit : Become Human
Points forts
- Une quantité affolante de variables
- Des choix qui comptent vraiment, créant une rejouabilité plus que solide
- Les 3 personnages bien brossés
- Univers cohérent et soigné
- Des thématiques graves traitées sans complaisance
- Beaucoup de diversité dans les différents chapitres
- Des situations variées : parfois stressantes, parfois épiques, parfois touchantes
- Le plus ludique des jeux Quantic Dream
- Très joli et témoigne d'un grand souci du détail
- Bande son et sound design superbes
Points faibles
- Quelques vraies maladresses d'écriture
- Certains clichés sortent un peu de l'ambiance
- Nous aurions aimé une vision plus originale du thème abordé dans le jeu
- Les QTE aux conséquences difficiles à évaluer, même en cas d'échecs
Detroit : Become Human est la synthèse de tout le savoir que Quantic Dream développe depuis 20 ans dans son domaine. Avec une réalisation de haute volée, un rythme haletant et surtout, une quantité de variables tout simplement ahurissante, qui vous fera voir ou non des pans entiers du jeu, Detroit tient sa promesse de laisser au joueur le soin d'écrire son histoire. Parfois épique, souvent touchant et dramatique, Detroit ne manque que d'un peu plus de finesse dans l'écriture et d'un traitement un peu plus personnel du thème de la singularité pour décoller pleinement. Il reste toutefois une excellente expérience que nous vous recommandons de faire et de refaire pour en saisir toute la profondeur et toutes les nuances. Une belle réussite et une vraie démonstration de force.