Après une première apparition remarquée en 2000, la franchise Total War traverse l'espace et le temps au gré des itérations et s'aventure même dans l'univers fantaisiste de Warhammer Fantasy Battle. Et le studio Creative Assembly ne compte pas s'arrêter là et s'intéresse désormais aux périodes charnières de l'Histoire avec la série spin off “A Total War Saga”. Thrones of Britannia s'attarde ainsi sur l'unification des royaumes des îles de Bretagne sous une bannière commune. Mais cette nouvelle itération est-elle à la hauteur des épisodes canoniques ? Réponse l'épée à la main.
Un royaume à feu et à sang
Une fois encore, la franchise Total War invite les stratèges virtuels à explorer, voire réécrire, l’histoire avec un grand H. La série de jeux répondant au nom de “A Total War Saga” réduit le scope des épisodes canoniques pour se focaliser sur certains événements clé. Thrones of Britannia s’attarde ainsi sur l’unification des îles britanniques suite à l’invasion vikings au cours d’un IXe siècle sanglant. An de grâce 865 apr. J-C, des hordes scandinaves déferlent sur les royaumes de Bretagne et s’emparent de York un an plus tard.
Face à ces envahisseurs descendus de leurs drakkars, seul Alfred Le Grand - roi du Wessex - fait front et après moult défaites corrigent les impies forçant Guthrum - leader des Vikings - à battre en retraite et à accepter un traité de paix le couronnant roi de la province de York. Les Vikings s’installent en Bretagne et ce n’est pas du goût de tout le monde. Nous sommes désormais en 978 de notre ère… A Total War Saga : Thrones of Britannia peut débuter.
Bien que la mise en scène n’ait jamais été le point fort de la série, celle-ci privilégiant le contexte à l'esbroufe visuelle, le jeu de Creative Assembly s’autorise tout de même une introduction plaisante à la manière d’un Animated Comics. De plus, des enluminures animées ponctuent les différentes campagnes des 10 factions jouables regroupées selon 5 ethnies et niveaux de difficulté parmi lesquelles les Écossais de Circinn, les Anglais de Wessex, les Irlandais de Mide, les Vikings Rois des Mers… Ce choix en rien anodin en début de partie définit à la fois votre approche des combats à venir, chaque peuple ayant ses forces et ses faiblesses, mais aussi vos liens avec les divers royaumes présents.
Les conditions de victoire évoluent également d’une faction à l’autre. De la “simple” unification de l’île d’Irlande sous une bannière commune à la conquête des terres écossaises en passant par la seule quête de renommée, ce Total War assure l’essentiel, à savoir une durée de vie conséquente. Comptez tout de même une dizaine d’heures par faction afin de garantir l’hégémonie du peuple élu par vos soins au préalable. Malheureusement, le manque de diversité dans les factions n’invite pas à la rejouabilité. Au-delà du visuel, les armées se ressemblent tout comme les stratégies employées. Difficile donc de différencier les Gallois des Irlandais par leurs seules aptitudes au combat. Là où un épisode tel que Rome II dépaysait avec ses factions venues des quatre coins d’Eurasie, Thrones of Britannia paraît monotone et reste dans l’ombre de son aîné.
Une mort pour tout déclencher
Une victoire par les armes
Avec Thrones of Britannia, le studio anglais ne prend aucun risque. Entre évolution (trop) lente et tradition, le cœur de ce Total War balance et recycle. Les adeptes de la franchise se retrouvent en terrain conquis avec des mécaniques héritées des épisodes précédents pour un résultat au goût de déjà-vu… Total War oblige. La principale différence réside dans l’échelle du jeu aussi bien temporelle que spatiale avec une carte réduite aux seules îles britanniques et une période historique extrêmement courte en comparaison des épisodes dits “classiques”.
Sur le papier, cette proposition était alléchante et redessinait la vision des Wargame made in Creative Assembly. Mais dans les faits, Thrones of Britannia est un Total War pure souche qui ne parvient jamais à se défaire de son héritage. Loin des escarmouches suggérées par le concept, les armées comptent des milliers de conscrits souillant l’herbe verte des plaines de Bretagne au cours de batailles rangées et de sièges toujours aussi plaisants à vivre. Les différences majeures ne sont aucunement légion et s’adressent en premier lieu aux initiés.
Le système de recrutement des unités a subi un lifting dynamisant les phases de jeu au tour par tour. Fantassins, archers, cavaliers… s’obtiennent en ralliant l’une des cités sous votre contrôle sans jamais avoir besoin de vous rendre à un endroit précis histoire d’obtenir un contingent spécifique. Les unités viennent ainsi gonfler vos rangs à la volée. Qui plus est, ces troupes fraîchement enrôlées ne comptent qu’un nombre limité de soldats augmentant au fil des saisons. Survivre est ici synonyme de puissance croissante et de renommée. Avec à sa tête un général, vos armées gagnent en efficacité et en prestige transformant des bleus en machines de guerre.
Le Breton est bagarreur et ne rechigne jamais à la tâche. Cet amour de la rixe s’exprime par le biais d’une ferveur de guerre qui traduit par les chiffres la volonté du peuple face à vos actes de bravoure. Si la victoire est plaisante et pousse au patriotisme, une guerre frontalière sans fin mine le moral de la population au point de la pousser à la révolte. Guerroyer pour la grandeur du royaume a ses limites et le peuple sait exprimer son mécontentement.
Guerre civile et conquête armée
Une conquête par les mots
Si l’épée est persuasive par nature, la suprématie d’un royaume passe par les mots et l’art subtil de la diplomatie. La gestion de vos territoires exige une attention toute particulière et une main de fer dans un gant de velours. Expansion de vos villes par la construction et l’amélioration des bâtiments, production de ressources dans le but de nourrir vos troupes ou encore de dégager des dividendes à réinvestir… Thrones of Britannia joue les bons élèves et récite à la lettre près le cahier des charges du jeu de stratégie à grande échelle. Le titre de Creative Assembly se démarque tout de même de certains de ses prédécesseurs par le retour de l’arbre généalogique, véritable couteau suisse diplomatique à l’origine d’intrigues politiques et d’arrangements en tout genre.
Un mariage pour occuper le trône d’un pays voisin, la mise sous tutelle d’un état, la signature d’un traité de paix… nul besoin de faire couler le sang quand l’encre suffit. Un roi se doit d’agir parfois dans l’ombre et les opportunités d’influer sur la vie de la cour sont nombreuses. Manipuler un noble, assassiner un proche pour éviter une guerre de succession ou encore le soudoyer pour garantir sa loyauté… un monarque tire les ficelles du pouvoir avec doigté. Et pourtant, la vie de leader réserve son lot de surprises. Déclaration de guerre, mort d’un enfant, trahison d’un proche… ces événements épicent votre règne.
Un roi ne peut espérer perdurer et marquer l’Histoire sans de fidèles alliés à ses côtés pour le soutenir. Néanmoins, les nobles qui vous entourent possèdent leurs propres aspirations. Par leurs actes, ces personnages à part entière évoluent organiquement même si les traits de caractère définissent leur comportement général. La trahison et la loyauté coulent dans leurs veines. Si certains seigneurs restent fidèles ad vitam æternam, d’autres se laissent dévorer par leurs ambitions au point d’usurper le trône et de soulever les territoires placés sous leur gouvernance. Par d’habiles jeux de pouvoir, ces nobles sont susceptibles de revenir à la raison. Dans le cas contraire, la mort de ces derniers est une solution viable. Savoir s’entourer fait toute la différence entre un règne prospère et une agonie lente.
Une érosion temporelle
Des milliers de soldats à l’écran se fracassant en temps réel à l’écran, la franchise Total War a fait de ses batailles épiques à grande échelle sa marque de fabrique. La quantité avant la qualité certains diront, et il faut bien reconnaître que le moteur de jeu toussote bien trop souvent. Visuellement, Thrones of Britannia ne flatte pas la rétine, mais assure l’essentiel… à savoir des affrontements fluides au sein d'environnements statiques et sans vie. La rigidité des animations et la chute de framerate lors des séquences jouées par l’intelligence artificielle témoignent d’une technique vétuste.
Et pourtant, le grandiose des affrontements balaye d’un revers de main cette course effrénée au “beau” pour se concentrer sur l’intensité de ces instants où le métal transperce la chair au son des clairons. Cependant, l’interface n’aide pas à profiter des multiples fonctionnalités et mécaniques de gameplay implémentées dans ce Total War. La carte de campagne balbutie ses fondamentaux en négligeant l’affichage des frontières. La superposition des informations ne fait qu’exacerber ce manque de clarté préjudiciable sur le long terme. Des menus austères à tiroir, des fenêtres à ouvrir et fermer sans continuité… ce Wargame se perd et avec lui le stratège candide
Bande-annonce de A Total War Saga : Thrones of Britannia
Points forts
- Un Best of des mécaniques de gameplay de la franchise…
- Des batailles épiques impliquant des milliers d’unités
- Un contexte historique fort plaisant à (re)découvrir
- Une durée de vie colossale avec 10 factions jouables aux conditions de victoire multiples
Points faibles
- … face au manque flagrant de nouveautés et d’évolutions majeures
- Une interface et des menus confus
- Des graphismes loins des standards actuels
Creative Assembly recycle avec talent. Ce Wargame ne se renouvelle que par touche et se contente principalement d’appliquer une formule ayant fait ses preuves par le passé… quitte à s’encombrer d’un moteur vétuste. Pourtant, le savoir-faire du studio anglais pour concevoir un jeu de stratégie à grande échelle performe une fois encore et invite les fans de la franchise à revivre l’unification des îles britanniques du IXe siècle au cours d’une campagne homérique. Thrones of Britannia est le digne successeur de la saga. Si vis pacem para bellum.