16 fructidor, an VII. Le clair de lune se reflète sur la houle comme le soleil fait étinceler des molaires en or. Le premier lieutenant MrDeriv oriente la voilure de l’artimon tandis que la matelote Sheitanina compte les trésors entreposés dans la cale. Le butin est conséquent : huit coffres ornent notre prison, et le crâne d’un squelette maléfique rutile sur le bureau du capitaine. La cloche du moucheur Bizoutier déchire soudainement le silence. “Un ga-ga, un galion !” hurle-t-il, longue-vue au poing. À cinq ou six noeuds, un superbe trois-mâts se dresse effectivement à l’horizon. Nous éteignons chaque lanterne du bateau et commençons à charger les canons. Il va falloir prendre une décision : partir à l’abordage de ce navire pour en extirper ses hypothétiques richesses, ou foncer toutes voiles déployées vers un avant-poste pour sécuriser définitivement ce qui a été durement collecté. Au loin, des grognements retentissent et la foudre déchire les cieux. Une histoire de plus est en train de s’écrire dans le grand livre aromatisé au rhum de Sea of Thieves.
Sea of Thieves, À l'abordage d'une aventure canon ?
Nous avons testé la version finale de Sea of Thieves pendant 4 jours et avons alterné les moments en solo, à deux, à trois et à quatre. Votre capitaine Carnbee et votre premier lieutenant MrDeriv ont également participé aux différentes phases d’alpha et de bêta pendant le développement du jeu. Nous signalons en outre que nous n’avons pas atteint le niveau maximum auprès de chaque guilde.
Un esprit sain dans un corsaire
Sea of Thieves, le jeu qui propose de vivre la vie mouvementée d’un pirate, vient d’émerger avec dans ses octets la promesse de s’amuser seul ou en équipe dans le but de devenir riche, réputé, et mieux habillé ! Non, ce n’est pas parce qu’un corsaire écume les côtes les plus mal famées de la planisphère qu’il se satisfait forcément de haillons qui sentent le graillon. C’est dans une taverne poussiéreuse que commence chaque histoire de Sea of Thieves. Point d’apparition incontournable à toute connexion dans l’univers, ce lieu de beuverie (et plus si affinité) est parfaitement trouvé pour confectionner une feuille de route, ou plutôt de mer, avec le reste de son équipage. L’univers du soft développé par Rare se compose d’une soixantaine d’îles. Pour se rendre sur l’une d’entre elles, il faut préparer et piloter son propre galion, seul ou à l’aide d’un équipage composé d’autres joueurs. Que ce soit dans les cales d’épaves sous-marines ou sur des plages dissimulées au sable chaud, différents trésors sont à dénicher. Une fois un butin collecté, il est obligatoire de le rapporter dans un des avant-postes de la carte pour le revendre, ce qui fait gagner de l’argent ainsi que des points de réputation à l’escouade.
La toute première fois que Sea of Thieves est lancé, il est demandé de choisir son pirate parmi une multitude d’avatars générés aléatoirement. Si vous n’aimez pas cette vilaine patate qui vous sert de nez, il est préférable de générer de nouveaux trublions plutôt que d’en choisir un par défaut, puisqu’il n’est pas permis par la suite de changer ses traits. Il reste évidemment possible de supprimer son pirate en cas de catastrophe, mais cela efface toute la progression enregistrée.
Les avant-postes sont à considérer comme des petites villes au sein desquelles il est possible à la fois de s’équiper en matériel (bananes, boulets de canon, planches de bois) et de choisir sa quête auprès de l’une des trois guildes. Les Collectionneurs d’or, tout d’abord, demandent à se rendre sur des îles pour y déterrer des richesses enfouies. Comme dans tout véritable jeu de chasse au trésor, il va falloir un certain sens de l’orientation pour traduire la croix rouge du parchemin qui représente l’atoll comme emplacement réel où il est indiqué de creuser. Parfois, il s’agit d’énigmes écrites à déchiffrer, faisant appel à la logique et à l’observation afin de suivre un chemin et trouver un coffre ensablé. Les jeux de mots posés dans ces papiers sont rarement mis là par hasard : il n’est pas rare de devoir jouer quelques notes de musique ou lever sa lanterne pour débloquer une nouvelle ligne. Ces missions pensées pour les trappeurs en herbe sont les plus travaillées et les plus amusantes à parcourir. Elles ont d’ailleurs, pendant bien longtemps, été les seules à être jouables pendant les phases d’alpha.
À l'assaut d'un fort de squelettes
La seconde guilde se nomme l’Ordre des âmes et missionne les pirates de se rendre sur des îles spécifiques pour détruire des groupes de squelettes qui reviennent par vagues jusqu’à ce qu’un capitaine (ou parfois plusieurs) débarque. Une fois le boss anéanti, son crâne s’écrase sur le sol en guise de butin. Enfin, l’Alliance des marchands réquisitionne des aventuriers pour capturer les animaux (ou apporter des objets) décrits dans un contrat. Munis de cages, les chasseurs ont pour mission d’identifier les bonnes espèces (parmi les différentes races de poules, cochons et serpents) pour les enfermer afin de les rapporter en temps et en heure au commerçant précisément mentionné sur le contrat.
Même si l’on apprécie l’existence de ces missions, nous déplorons une trop grande similarité entre elles dans la manière de les réussir. Qu’il s’agisse de chercher un trésor, trouver un animal ou détruire un capitaine, les quêtes des trois guildes ne proposent pas de grandes variations. Il est effectivement nécessaire d’aller d’un point A vers un point B, d’affronter des squelettes pour récupérer trésor/crâne/bestiole, puis de retourner au point A ou vers un possible point C et ainsi valider la quête et monter en réputation. Résumé ainsi, Sea of Thieves peut paraître vaguement intéressant. Il peut heureusement compter sur ses nombreux instruments pour maintenir le cap vers la franche rigolade.
L’atoll des coups de bol
Il est temps de s’accorder sur un point primordial : le jeu édité par Microsoft est pensé pour être joué en coopération, idéalement à quatre et en compagnie de ses amis. Même s’il est possible de se lancer seul dans l’aventure à bord d’un petit bateau, c’est le multijoueur avec d’autres compères qui confère à l’épopée une aura particulièrement étincelante. Rien que prendre le large à bord d’un trois-mâts nécessite une certaine coordination et pas mal de communication entre les membres de l’équipage. L’ancre se lève, les canons se chargent, les voiles se hissent et s’orientent par rapport au vent dans la joie et la bonne humeur. Alors que le capitaine prend la barre, aveuglé par la voilure dressée dans son champ de vision, les matelots l’aident à s’orienter en visionnant la carte dans la soute et en observant l’horizon.
En cas de casse à cause d’une erreur de navigation ou de boulets ennemis venus réchauffer l’atmosphère, l’escouade doit impérativement se munir de planches en bois pour reboucher les trous de la coque avant que le bateau ne sombre sous les eaux. Ce terrible liquide peut effectivement être la source de bien des tourments s’il n’est pas jeté hors de l’embarcation à temps. Dans l’univers de Sea of Thieves, le navire est le point de réapparition, en cas de mort. Si ce dernier est coulé, les joueurs passés de l’autre côté reviennent sur une île éloignée où flotte un nouveau véhicule.
En PvE, les ennemis principaux demeurent les squelettes. Ne vous fiez pas à leur apparence rachitique, ils peuvent poser de vrais problèmes à une équipe désorganisée ou incomplète. Ces êtres démoniaques sont armés, peuvent se soigner, et sont dotés de diverses caractéristiques qui varient selon leur type. Détail amusant : dans les forts squelettes, la musique utilisée fait résonner quelques accords du thème de Spinal (Killer Instinct). Les fans apprécieront.
L’aspect social de Sea of Thieves brille sur chaque partie de sa proue. Certains objets comme les parchemins, la boussole ou encore la montre peuvent être brandis sous le nez des autres collègues présents. Une action pratique pour montrer à tous, par exemple, une carte afin de se mettre d’accord sur une destination. Les matelots ont également à leur disposition une roue d’expressions leur permettant d’afficher à l’écran des phrases enregistrées. Enfin, ceux qui apprécient jouer RP seront ravis de retrouver une série d’animations à exécuter dans la peau de leur avatar (comme danser, s’asseoir, saluer, entre autres). Il n’est pas rare de terminer une aventure debout sur les tables de la taverne, saoul comme une barrique, en train de jouer divers instruments de musique devant un collègue qui danse. Certaines légendes racontent même que des corsaires s’amusent à se vomir dessus après avoir ingurgité plusieurs grogs à la suite. Ces pirates s’équiperaient même de seaux pour être certains de bien se renvoyer leurs relents verdâtres à la figure. Rustres ! Tous ces éléments additionnés ont pour résultat un jeu accessible dont les règles et les contrôles se mémorisent rapidement et se partagent à plusieurs. Il ne faut en tout cas pas compter sur le très court tutoriel d’introduction pour enseigner les bases techniques du pirate émérite.
L’homme est un loup solitaire pour l’homme
Le but de Sea of Thieves ne se résume pas à détruire le capitaine indiqué, trouver le trésor enterré ou capturer l’animal recherché. Chaque objectif réussi donne accès à un butin (coffre, crâne, cage occupée) qu’il faut obligatoirement ramener à un avant-poste pour gagner de l’argent (via la revente) et bénéficier de points d’expérience supplémentaires. Ce procédé, qui oblige à passer du temps en mer à l’aller comme au retour, multiplie les risques de rencontrer d’autres équipages. Comme nous en informait notre premier lieutenant MrDeriv dans son aperçu, la carte du jeu est en fait une instance de serveur où 16 joueurs évoluent simultanément. Cela signifie que quatre groupes de quatre participants (ou des équipages de tailles différentes) sont regroupés ensemble dans l’univers. Face à d’autres quidams humains, il faut prendre les bonnes décisions rapidement et être parfaitement coordonné avec le reste de l’équipage. Vaut-il mieux affronter les assaillants et tenter de remporter leur hypothétique butin ou fuir jusqu’à un avant-poste au risque de se faire suivre ? La tension est à son comble lorsque la guerre fait rage sous les tirs des canons tandis que les deux navires qui s’affrontent protègent les nombreux trésors glanés au fil des quêtes. Ces rencontres sont le point d’orgue de l’expérience Sea of Thieves, et sont la cause des plus épiques sessions de jeu comme des pires moments de frustration. Il est effectivement possible de perdre toutes ses richesses non sécurisées à la suite d’un affrontement mal géré. C’est ça aussi, la vie d’un pirate.
Si vous tombez à l’eau, une sirène apparaît pour vous téléporter sur votre navire. Si vous n’en avez plus, elle vous amènera sur une île qui dispose d’une nouvelle embarcation. Pratique.
Des événements de groupe partagés par tous les participants présents dans l’instance apparaissent régulièrement pour mettre au défi les matelots les plus valeureux. Dans le cas des forts de squelettes par exemple, un énorme nuage luisant en forme de crâne indique à tous les pirates de la carte que mille merveilles reposent dans une salle fermée à clé, au milieu remparts bien gardés. Pour l’ouvrir et mettre la main sur ces innombrables richesses, le chef squelette doit être occis. Cependant, avant que ce dernier ne sorte de sa tanière, ce sont des vagues régulières d’adversaires damnés qu’il faut détruire. Plusieurs équipes peuvent s’entraider pour repousser ces affreux, néanmoins lorsque l’heure de partager le butin sonne (voire avant), tous les coups sont permis. Sea of Thieves donne des règles simples qui s’appliquent universellement à chaque moment et sur chaque environnement de l’aventure, laissant une grande liberté aux joueurs dans la manière de vivre leur épopée. Ce côté sandbox signifie qu’il est par exemple tout à fait possible de faire feu en plein avant-poste sur un pirate ramenant son trésor, afin de le lui voler pour le valider à sa place. C’est rageant pour la victime, mais les règles sont ainsi faites que les armes ne sont jamais interdites. Dans notre journal de bord, nous avons noté quelques comportements de vils palefreniers attendant tranquillement que les butins viennent à eux en ville, ne laissant aucune chance au loup solitaire qui souhaite déposer ses richesses.
L’expérience initiale
Contrairement à d’autres jeux multi qui récompensent les joueurs par un système d’expérience donnant accès à des armes plus puissantes et à des compétences améliorées, Sea of Thieves félicite ses matelots par de l’argent et des niveaux de réputation qui montent en fonction des guildes servies. Ces indemnités donnent accès à la fois à du cosmétique et à des contrats plus difficiles rapportant plus de récompenses. Les nouvelles armes à se procurer ne tirent donc pas plus fort et les jambes en bois dorées ne font pas aller plus vite, tout est ici purement visuel. L’intérêt du jeu pourrait donc ne pas s’imposer de lui-même auprès de ceux qui ne jurent que par l’évolution des caractéristiques. Il faut avouer que passer des heures à chasser du Kraken et à survivre aux assauts ennemis pour, au final, recevoir un chapeau, n’est peut-être pas ce qu’il y a forcément de plus motivant. Le sentiment de progression provient avant tout du chiffre qui détermine le niveau de réputation, ni plus, ni moins. L’intérêt des parties réside donc dans les histoires qui se créent au sein d’un univers où les rouages simples pourraient être perçus comme un manque certain de profondeur. Les développeurs ont répété peut-être un peu maladroitement que Sea of Thieves, en l’état, est une base délivrant une “expérience initiale” qui sera rapidement mise à jour avec d’autres mécanismes. Même si à l’horizon, l’orage commence à gronder, le titre de Microsoft prend le large avec suffisamment de bouées de sauvetage pour assurer une bonne expérience à un maximum de participants.
Dans les options du jeu, il est possible d’afficher la rubrique “équipage” qui donne la possibilité d’enfermer un joueur en prison comme de saborder le navire, en cas de votes suffisants.
Points forts
- Des mécanismes qui octroient une liberté appréciable d’action, que ce soit en PvE ou en PvP
- Parfois épique, souvent amusant
- Très joli, particulièrement dans les effets d’éclairage et le rendu de l’eau
- L’ambiance sonore au top
Points faibles
- Les quêtes des différentes guildes se ressemblent trop
- Des îles communes et peu variées dans leur level design
- Le degré d’amusement dépend particulièrement de la qualité des pirates accompagnant le joueur
- Gameplay de combat superficiel
- Encore des bugs gênants, liés au lancement
Sea of Thieves donne de multiples outils aux joueurs pour qu’ils plongent, ensemble, dans de grandes aventures maritimes à base de petites quêtes et d’éminents affrontements. Avec un système d’XP faisant la part belle aux améliorations strictement cosmétiques, le titre de Rare mise sur les voyages parcourus plutôt que sur la destination. L’intérêt ne réside en fait pas dans les quêtes en elles-mêmes, mais dans tout ce qui gravite autour. Chaque excursion peut potentiellement réserver des moments mémorables, pour peu que l’on trouve les bonnes personnes avec qui partir en mer. Derrière l’aspect cartoon de sa direction artistique et ses jolis graphismes, Sea of Thieves est en fait impitoyable envers les joueurs désorganisés et solitaires. Ses missions peu variées et ses îles trop semblables l’empêchent cependant d’accéder à la fontaine de jouvence. Annoncé comme un jeu service au contenu régulièrement mis à jour, l’abonnement via Game Pass est surement le meilleur moyen de goûter au grog concocté par Rare sans risquer de hoqueter sur son prix fort.