5 ans de développement pour un jeu vidéo, cela peut sembler être une éternité. Il fallait pourtant bien cela afin que Lionel "SeithCG" Gallat, animateur 3D passé chez Dreamworks reconverti en développeur touche-à-tout, donne vie au projet dont il rêvait. Avec ses airs de dessin animé, son héros atypique et son gameplay réduit à de l'infiltration simplifiée, Ghost of a Tale prend à contre-pied la plupart des productions actuelles, pour notre plus grand plaisir.
Notre avis sur Ghost of a Tale en 3 minutes
Avant de conter les aventures de Tilo, une souris ménestrel, Ghost of a Tale est avant tout le défi fou de Lionel Gallat. Après 15 années de vie professionnelle, qui l'ont amené à travailler sur l'animation de films comme Le Prince d'Égypte, Sinbad, Moi, Moche et Méchant ou La Route d'Eldorado, l'homme s'est lancé corps et âme dans le développement de son premier jeu, sans expérience en la matière au préalable. S'il a ensuite été rejoint par cinq autres collaborateurs, le rendu final n'en reste pas moins un véritable tour de force, et pas uniquement sur l'aspect visuel.
Souris des villes, souris des chants
Certains jeux dégagent une magie qui opère instantanément, et Ghost of a Tale est incontestablement de ceux-là. À la manière d'un conte, il nous narre les péripéties de Tilo, une petite souris retrouvée enfermée au fond d'une obscure prison. Pour notre héros, libéré par un mystérieux individu, pas question de croupir dans cet endroit nauséabond : sa chère et tendre Merra a disparu. Une motivation suffisante afin de le pousser à prendre son courage à deux mains et arpenter des lieux hostiles, surveillés par des rats anthropomorphes faisant trois fois sa taille qui n'hésitent pas à lui sauter dessus à vue dans le but de l'empaler à coups de hallebarde. Et il suffit de jeter un oeil au luth juché sur le dos de Tilo pour comprendre une chose : ménestrel de profession, son seul moyen de survie est sa capacité à se faufiler discrètement, ou à galoper rapidement sur ses quatre pattes.
Une ambiance qui devrait faire appel à vos souvenirs d'enfance : Robin des Bois, Brisby et le secret de Nimh, Légendes de la Garde, Rougemuraille ou encore Mice and Mystics sont autant d'influences que l'on devine. Ainsi, les allées du château, qui au départ nous oppressent comme sa prison souterraine, nous donnent au final l'impression d'être à la maison. Comment ne pas tomber sous le charme de cette forteresse médiévale, de sa cour baignée d'une lumière réconfortante, de sa forêt à la végétation luxuriante ou de sa plage aux couchers de soleil apaisants ? Même lorsqu'il se montre très sombre en intérieur, Ghost of a Tale est une vraie prouesse graphique, exploitant le meilleur du moteur Unity sans souffrir de soucis d'optimisation.
Le principal coup de maître est évidemment à mettre au crédit des animations. Le rongeur chétif que l'on contrôle ne tient pas en place : posez votre manette, et il se mettra à observer à gauche à droite d'un air terrifié et inquiet, à agiter son museau pour renifler autour de lui ou à jouer avec sa queue. A aucun moment on ne se lasse de le voir s'animer. Le même soin est apporté aux rats, dans un univers vivant qui ne reste jamais inactif. Un moyen de renforcer l'empathie et l'immersion dans le jeu, qui n'oublie pas pour autant de proposer d'agréables sensations de gameplay.
Au nez et à la moustache
Si vous êtes allergiques à l'infiltration, Ghost of a Tale pourrait bien vous laisser sur la touche lors des premiers instants de jeu. N'espérez pas vous balader en toute tranquillité, malgré l'absence totale de combats. Au lieu de transformer notre souris en quatrième mousquetaire, il faut se débrouiller avec son côté inoffensif et ses capacités limitées. Ses seuls outils matériels sont des bâtons pouvant actionner des leviers à distance, des bougies afin d'enflammer certains objets, des flacons remplis de liquide de manière à faire tomber les gardes au sol, ou encore des bouteilles, utiles pour assommer les gardes dépourvus de casques. Autant dire qu'ici, la meilleure défense, c'est la fuite, à condition d'être vif, et surtout la discrétion. Tilo répond ainsi au quart de tour, ayant pour effet une prise en main des plus agréables. Il faut veiller en permanence sur une jauge de détection matérialisant le danger, et faire en sorte qu'elle n'atteigne pas le seuil critique, auquel cas les gardes se montreront sans pitié. Endurance, pour courir, et vie sont liées dans une seule et même jauge, si bien qu'elle se vide rapidement et que la mort est vite arrivée.
Pour profiter au mieux de Ghost of a Tale, privilégiez l'utilisation d'une manette. Même si le combo souris / clavier est jouable en pratique, cela vous permettra d'éviter quelques bugs, notamment si vous souhaitez changer la configuration des touches.
Heureusement, les rats que l'on croise ne sont pas très futés : sprinter un bon coup afin de disparaître un court instant de leur champ de vision et se cacher dans le seul objet du décor pouvant servir de planque, souvent un tonneau, un coffre ou le dessous d'une table, suffit généralement à les faire retourner à leurs occupations, sans qu'ils se posent la moindre question. À condition de faire preuve d'un minimum de patience et d'attention, la tension ne plane que rarement avec ce système de cachettes très simpliste, ces dernières servant également de points de sauvegarde. Ils sont donc nombreux, et c'est tant mieux : "sauvegardez tôt et souvent", dit un vieux proverbe souris particulièrement sage qui apparaît parfois quand on lance le titre. L'infiltration s'efface toutefois rapidement, notamment en deuxième partie de jeu, pour faire la part belle à l'exploration.
Une souris qui a du flair
Plus qu'un jeu d'infiltration, Ghost of a Tale est d'abord une invitation à la découverte. Sans être particulièrement étendue, la forteresse où l'on déambule est conçue de manière très compacte, avec de nombreux couloirs, souterrains et autres chemins cachés. La moindre pièce comporte son lot de meubles à fouiller, de coffres à ouvrir ou d'aliments à chaparder dans l'optique de regagner les précieux points de vie perdus. Il faut aimer chercher par soi-même : n'espérez pas tomber sur des objets visibles au premier coup d'oeil dans chaque couloir, le titre préfère récompenser la curiosité. Une qualité primordiale pour espérer progresser dans cet immense labyrinthe qui en découragera plus d'un.
Les allers-retours sont une routine, et ils peuvent paraître d'autant plus frustrants qu'aucun système de déplacement rapide n'existe. Mais grâce à son level design soigné, Ghost of a Tale n'en a finalement pas besoin. Petit à petit, on découvre que toutes les zones sont intelligemment liées entre elles, par des dizaines de raccourcis facilitant les déplacements. Découvrir le moindre recoin de chacune d'entre elles procure un réel plaisir, tant elles fourmillent de détails. Difficile toutefois de ne pas pester lorsque le jeu n'indique pas clairement où il faut se rendre, en nous laissant avec une courte description initiale. Certaines zones, très vastes, occasionnent également quelques moments où l'on tourne en rond, comme la plage où il est difficile de se repérer sans se perdre.
L'Agence sourisques
Pour s'orienter dans sa quête et en savoir plus sur la disparition de sa femme, Tilo peut tout de même compter sur quelques précieux alliés. Certes peu nombreux, ils sont tous attachants à leur façon, que ce soit la grenouille pirate à moitié folle, le duo comique de souris chapardeuses, ou le rat forgeur. Contre quelques florins, ce dernier se montre enclin à livrer quelques indices, voire la solution à une énigme, ou à indiquer un objet recherché sur la carte.
Ces personnages secondaires sont pour Tilo l'une de ses rares sources d'informations, à condition d'accomplir certains services pour eux. La quête principale se divise alors en objectifs secondaires rarement inutiles, puisqu'ils représentent l'occasion idéale de mettre la main sur des vêtements indispensables à la progression. Tilo peut ainsi troquer sa capuche de ménestrel contre une tenue de garde, de pirate ou encore de rôdeur, qui permettent de tromper la vigilance des gardes sur la réelle nature de notre prisonnier en cavale (on vous a bien dit qu'ils ne sont pas futés), tout en apportant quelques bonus (vitesse de course, endurance...).
Ajoutez à cela une dizaine de compétences supplémentaires à débloquer (meilleure résistance aux chutes, capacité de faire briller les objets-clés...), et des points d'expérience à accumuler afin d'augmenter la barre de vie de Tilo, et Ghost of a Tale affiche une dimension RPG sympathique venant apporter un minimum de profondeur. S'il faut parfois jouer le rôle du larbin en allant chercher un objet précis forcément bien caché, la motivation pour ne rien laisser de côté est bien là. Le cas contraire vous ferait passer à côté de certains dialogues, qui ne manqueront pas de décocher un sourire sur votre visage.
Soulignons d'ailleurs la traduction française, impeccable, qui retranscrit parfaitement les jeux de mots et les chants historiques que notre ménestrel joue parfois, à la demande des autres. C'est l'un des moyens utilisés pour donner de l'épaisseur à un univers étonnamment touffu et cohérent, et à une intrigue qui se révèle plus intéressante qu'elle n'y paraît. Enjeux politiques, histoire du monde qui s'étend au-delà des frontières du jeu... quiconque prendra la peine de fouiner pourra jouer les rats de bibliothèque et étoffer ses connaissances du lore.
Des trous dans le gruyère
Malgré tout le charme qu'il dégage et les efforts qu'il fournit pour se montrer le plus généreux possible, difficile de ne pas avoir quelques regrets une fois l'aventure de Ghost of a Tale terminée, au bout d'une bonne douzaine d'heures de jeu. Rares sont les joueurs épargnés par la pléthore de bugs venant ternir l'expérience de jeu. Contrôles impossibles à reconfigurer, quêtes que l'on ne peut pas terminer, caméra folle... la liste est longue, si bien que les patchs sortent quotidiennement. Si l'on peut critiquer l'état du titre, difficile de trouver quelque chose à redire sur l'implication de son développeur.
On ne peut également s'empêcher d'imaginer ce qu'auraient donné les péripéties de Tilo avec des cinématiques et un doublage. Le sound design, soigné bien que parfois trop discret voire manquant par moments, apporte heureusement de la vie : crépitement du feu, armures qui claquent, bruits de pas... Cela n'empêche que certains moments clés manquent de percussion, dont la séquence finale. Laborieuse d'un point de vue gameplay, celle-ci arrive de manière précipitée et laisse trop d'éléments scénaristiques en suspens. On quitte alors Ghost of a Tale avec l'impression d'avoir découvert un jeu loin d'être exempt de défauts, mais définitivement unique, et l'inévitable envie de voir arriver une suite.
Points forts
- Un univers charmant, exploité à fond et avec justesse
- Visuellement bluffant, notamment au niveau des animations
- Un level design intelligent, qui nous pousse à découvrir les moindres recoins des environnements
- Un scénario prenant avec quelques rebondissements et de bonnes surprises
- Des quêtes annexes rarement inutiles
- Des dialogues riches et bien écrits pour des personnages attachants
- Le concept des costumes à compléter pièce par pièce
Points faibles
- Gameplay limité, avec une partie infiltration simpliste qui s'efface vite à cause des costumes
- L'IA des ennemis, trop permissive
- La fin laissera certains joueurs sur leur faim
- Pas de doublages ni de cinématiques
Sur de nombreux aspects, Ghost of a Tale force le respect. Véritable jeu d'auteur, il peut regarder droit dans les yeux et sans rougir les productions AAA du marché grâce à son rendu visuel épatant. Sans combats, sans cinématiques, avec un gameplay simpliste et des moyens limités, ce conte fantastique que l'on dévore avec une âme d'enfant parvient à nous happer immédiatement dans son univers, pour nous relâcher une fois la dernière page tournée seulement. Unique et attachant sont sans doute les mots qui conviennent le mieux au titre de Lionel Gallat, qui a de grandes chances de devenir l'un de vos coups de coeur si vous daignez lui pardonner ses quelques imperfections.