Akitoshi Kawazu. À moins d’être fan absolu de Final Fantasy, et de connaître ses multiples développeurs sur le bout des doigts, ce nom ne vous dira sans doute rien. Et pourtant, Game et Battle designer des deux premiers FF, producteur appelé à la rescousse pour terminer Final Fantasy XII, Kawazu a marqué la production de Square Enix de son empreinte depuis le milieu des années 1980. Amateur éclairé de wargames, de jeu de plateau, de jeux de rôles, Kawazu a toujours privilégié les systèmes, les mécanismes, bref une approche « occidentale »- sur l’histoire ou le scénario. Sorti sur SNES en 1993, et jusqu’ici resté inédit en Occident sur consoles (la version mobiles, sur laquelle se base d'ailleurs la version ici testée, datant de 2016), Romancing SaGa 2 réaffirme cette philosophie de la plus belle, et parfois de la plus complexe, des façons.
Romancing SaGa 2 débarque en Europe sur consoles
Dès ses premières minutes, Romancing SaGa 2 prend le contrepied de nombre de JRPG sortis sur NES et SNES. Narré en flashback quasi-intégral sous la forme d'un récit épique, l’oeuvre de Kawazu ne met pas en scène un personnage unique ni même une équipe fixe, mais une lignée d’empereurs qui se transmettent non seulement le pouvoir sur Avalon, mais aussi des sorts glanés durant leur règne. L’objectif du joueur est alors double. D’un, de faire prospérer son empire en l’agrandissant peu à peu, ce qui en augmente les revenus, de deux, d’éliminer les sept démons (sept héros qui, dans le passé, ont vaincu le mal et sont devenus des démons) qui ont envahi les diverses régions du pays. A chaque nouvelle génération (quand un empereur meurt), on a alors le choix entre quatre successeurs qui reprennent les rênes de l’Empire. Et qui dit interpréter un empereur, dit vivre dans un palais, gérer les affaires communes, financer les recherches de ses armuriers et inventeurs, construire des annexes à sa forteresse pour profiter de nouveaux sorts, de nouvelles armes, etc. Toute cette partie de l’aventure est gérée de manière très simple et visuelle, vos interlocuteurs vous demandant simplement si vous acceptez de répondre à leur requête d’espèces sonnantes et trébuchantes. A d’autres moments, vos conseillers s'enquéreront de la quête à lancer, suite de celle que vous venez d'achever, etc. On retrouve ici toute la liberté d’action et d’exploration des RPG des années 1980, ainsi que leur narration très libre, Kawazu et son équipe permettant au joueur de mener les quêtes dans l’ordre qu’il souhaite, voire même en proposant des misions annexes tout à fait optionnelles. Si bien qu’entre les divers successeurs possibles, les décisions prises, les alliés embauchés ou les évolutions du palais, chaque partie s’avère différente de la précédente avec la sensation d’être libre de ses actions pour terminer l’aventure. Ce n’est évidemment pas tout à fait le cas, puisque Romancing SaGa 2 ne propose qu’une seule et unique fin en bout de chemin, seul le sexe de l'Empereur final variant.
Au fil de l’épée
Comme dans ses précédents titres, Kawazu infuse de son amour des systèmes complexes et originaux - le designer est fan des wargames d’Avalon Hill et de Donjons & Dragons - dans Romancing SaGa 2. Ainsi, on retrouve très naturellement le concept de compétences qui s’améliorent en les utilisant (mais avec un déblocage minoré par des jets de dés aléatoires invisibles au joueur) déjà présent dans Final Fantasy II - et sans doute inspiré du système BASIC de l'éditeur Chaosium-, et qui aujourd'hui encore divise les joueurs… Ces compétences sont ici liées aux armes et armures portées, chaque personnage disposant d’un certain nombre d’emplacements pour ses lames (ou potions) et pour ses pièces d’équipements. Ainsi, si un personnage porte une épée longue et une masse, le joueur dispose alors de deux menus distincts, présentant des attaques spécifiques à chaque arme, chaque type de créature rencontré étant sensible à certains dégâts. Et ce qui est vrai pour les haches et lances l’est aussi pour les sorts, répartis de façon usuelle : eau, feu, terre, vent… avec des possibilités de fusion. Dans Romancing SaGa 2, il convient aussi de gérer au mieux ses formations de combat, et l’emplacement de ses combattants. D’abord parce que la position des alliés dans le groupe influe directement sur leur initiative. Par exemple, durant un tour, un soldat placé au premier rang attaquera avant un magicien relégué en arrière. A contrario, ce dernier sera protégé des attaques physiques au corps-à-corps alors que ledit soldat, et ceux qui l’entourent, seront les premiers visés. Ensuite, parce qu’à la manière de Fire Emblem, ou des Roguelike -Kawazu a récemment revendiqué l’influence de hack sur système Unix-, les héros de Romancing SaGa 2 peuvent mourrir de manière permanente (oui, la fameuse « permadeath ») s’ils tombent un certain nombre de fois (représenté par les Life Points ou LP) sur le champ de bataille'''.
Disons-le tout de suite, préparez-vous à voir mourrir beaucoup, beaucoup de vos sujets et de vos Empereurs avant d’arriver à la fin. C’est en fait toute la beauté épique et tragique de ce titre où les héros n’ont qu’un temps de vie limité, trépassent pour Avalon, avant de laisser la main à une nouvelle génération de plus jeunes guerriers prêts à leur tour à se sacrifier pour leur patrie. Mais pas de Game Over ici, si ce n’est à la toute fin. Ainsi qu’on l’a mentionné en tout début de texte, Romancing SaGa 2 prend la forme d’un flashback, d’une chanson de geste, comme l’histoire d’Avalon est narrée par un barde dans une auberge: ce n’est donc pas tant l’aventure de ces combattants, de ces empereurs qui est contée que celle de la lutte incessante, historique, d’un pays en construction contre les forces du mal. Encore une fois, Kawazu et son équipe se font ici avant-gardistes. Enfin, pour en finir avec les affrontements, il faut noter qu’à la manière d’autres titres de la même période, les adversaires (du moins, un adversaire représentant un groupe d’ennemis) sont visibles durant la phase d’exploration et qu’il est donc potentiellement possible de les éviter. Oui, potentiellement, car une fois qu’ils vous ont repérés, ils fondent sur vous tel un essaim de bourdons. Les empoignades sont donc (très) nombreuses, et de plus en plus ardues au fur et à mesure de l’aventure, les monstres gagnant en puissance en même temps que l’équipe du joueur. A l’inverse de nombreux titres du genre où l’on passe son temps à massacrer du troll pour « monter » ses héros, on évitera donc ici de nettoyer intégralement les niveaux visités''', à moins qu’il ne s’agisse de l’objectif principal de la mission, sous peine de se retrouver à peiner rapidement lors de chaque rencontre ennemie, et encore plus face aux boss.
Aux futurs stratèges
Techniquement parlant, rien de bien glorieux: Romancing SaGa 2 assume son âge - le revendique presque avec ses pixels qui envahissent l'écran-, ainsi que son statut de portage (un peu) fainéant de l’original (et de la version mobiles), avec seuls quelques classes et donjons inédits, notamment pour en révéler un peu plus sur le destin des sept héros légendaires devenus démons. Pour nous, joueurs occidentaux qui n’avons pas connu le jeu original, ces ajouts passeront sans que l’on s’en rende compte… Reste que l’interface, moderne, efficace, lisible, héritée de la version iPhone manque clairement de personnalité. Mais peu importe. Au-delà d’une patte graphique pixel-art directement issue de la Super Nintendo, c’est surtout l’absence de sous-titres français (tout le jeu est en anglais) qui risque de limiter drastiquement le public auquel s’adresse le titre. Pour autant, laisser de côté ce Romancing SaGa 2, ne le considérer que comme un «petit» JRPG à une vingtaine d’euros, voire comme une vieillerie, serait une grave erreur. Oui, le jeu n’explique quasiment aucun de ses concepts, aucune de ses mécaniques -pourquoi ne pas avoir intégré une aide de jeu, le manuel original lisible à tous moments autrement que sur PC ?-, oui, il punit comme jamais ceux qui s’y lancent comme dans un classique JRPG, comme dans un Final Fantasy plus accessible.
C’est que, dans ses entrailles, au plus profond de lui, se terrent des systèmes de jeu de plateau, des règles de wargame, qui demandent au joueur de combiner les classes, de sacrifier ses unités, d’expérimenter avec les armes, de prendre des décisions tactiques qui influeront parfois sur la difficulté même des affrontements, sur le déroulement narratif même de l’aventure. Et, oui, il sera sans doute nécessaire de recommencer intégralement une partie après quelques heures de jeu, une fois ses systèmes particuliers bien intégrés. Romancing SaGa 2, un jeu de plateau sur consoles ? Oui. Très clairement. Pour qui apprécie ce type d’approche (où la rejouabilté, l’expérimentation et l'échec sont des passages obligatoires), le titre se révélera un petit joyau brut, brutal, peu conciliant certes, mais parfaitement passionnant par les multiples possibilités qu’il offre. A contrario, si c’est l’histoire qui vous tient éveillé dans un JRPG, mieux vaut éviter ce Romancing SaGa 2 dont le déroulement narratif ne tient qu'au bon vouloir, et à la ténacité, du joueur. Un vrai jeu « made in Kawazu ».
Points forts
- Jouer une lignée d’empereurs et développer son palais
- Des systèmes, des systèmes, des systèmes partout !
- Une réalisation qui supporte bien le poids des années.
- Découvrir enfin une oeuvre majeure du JRPG
- L’histoire d’un pays qui se créé par l’action du joueur
- Énormément de choix
Points faibles
- Où est passé le tutoriel ?
- La politique de tarifs de Square Enix
- Des combats à quasiment chaque pas
- Beaucoup, beaucoup d’aléatoire
- Tout en anglais
A la fois accessible et terriblement nébuleux dans un premier temps, Romancing SaGa 2 n’est pas un jeu qui se donne : il faut l’éprouver, expérimenter avec ses règles et mécanismes pour découvrir, sous les atours d’un JRPG très classique, un titre plus malin, plus complexe qu’il n’y parait, un titre dont on comprend pourquoi il a su passionner les joueurs japonais au point d’être aujourd’hui «légendaire». On regrette cependant que l’éditeur n’ait pas cru bon d’intégrer une quelconque notice pour aider à sa découverte, très empirique. Dans les faits, se lancer dans l’aventure sans véritable indication revient presque à se jeter dans une partie d’un Darkest Dungeon, sans tutoriel. Alors, oui, l’expérience est plaisante -même si Square Enix a encore gonflé le prix depuis la version iOS-, mais elle ne se destine qu’à un public bien précis, féru de systèmes, de mécaniques, de tactique et de difficulté, à un public amateur de jeux de plateau. Tous les autres passeront leur chemin sans doute lassés par la multiplicité des affrontements, ou par la dose importante d’aléatoire, d’imprévisible durant les affrontements.