Décidément, l'éditeur Annapurna Interactive a le flair pour détecter et prendre sous son aile des jeux créatifs qui sortent des sentiers battus. Après What Remains of Edith Finch et son expérience narrative remarquable plus tôt dans l'année, c'est au tour de Gorogoa de s'inscrire sur la liste de ces jeux courts, mais qui savent émerveiller à chaque instant de jeu. Avant d'entrer dans les détails, rendons hommage à Jason Roberts, l'unique personne dont les mains sont à l'origine de chacune des tuiles dessinées du jeu et, surtout, dont le cerveau a imaginé son splendide concept de jeu après plus de six ans de réflexion.

Picture perfect

Il suffit d'un simple coup d'oeil dès le lancement de ce puzzle game pour comprendre ses fondations. Le jeu s'ouvre sur un simple panneau, laissant apercevoir un garçon dont le regard est dirigé à l'horizon vers les toits d'une ville, traversée par un mystérieux dragon coloré. De manière intuitive, on remarque qu'il est possible de cliquer sur un élément du décor, avant de voir l'espace de jeu prendre la forme d'une grille composée de quatre carrés. À cet instant, une unique tuile représente la fenêtre à travers laquelle le personnage regardait. Il n'en fallait pas plus pour que la magie opère et que Gorogoa nous embarque dans son monde contemplatif : au lieu de simplement déplacer cette tuile sur une case adjacente, celle-ci se sépare en deux, l'une représentant la ville, l'autre la fenêtre menant sur un espace vide.

Façon jeux d'objets cachés, il faut ainsi trouver avec quelles parties du décor il est possible d'interagir. Derrière chaque tuile se cache en réalité une scène interactive, dans laquelle les personnages et les objets présents peuvent parfois s'animer en conséquence des actions du joueur. D'un point de vue gameplay, cela se manifeste par plusieurs types d'actions à mener sur les images : il est notamment possible de les déplacer sur la grille, de les fusionner en les superposant, mais aussi de jouer sur les différents plans en zoomant sur certains éléments, ou encore de les placer côte à côte pour former une seule grande image, ce qui peut servir notamment à faire naviguer le protagoniste ou des objets d'un endroit à un autre. En d'autres termes, il s'agit de continuellement changer notre perception du monde que l'on observe attentivement sous nos yeux.

S'il faut parfois se casser la tête et tenter des actions aléatoires avant de comprendre un peu par hasard comment agir, le jeu ne manque pas d'aiguiller le joueur pour ne jamais le frustrer grâce à un système d'indice (que l'on peut désactiver dans les menus) indiquant de manière visuelle les objets sur lesquels on peut cliquer. Sachez toutefois qu'il n'y a rien de plus satisfaisant que de réussir par soi-même à composer, décomposer, créer et défaire les tuiles entre elles. Mieux encore, le concept n'a de cesse de surprendre, tant les situations et les panoramas rencontrés sont variés et ingénieusement conçus, à tel point qu'il est difficile de ne pas écarquiller les yeux et de rester admiratif en débloquant certaines situations.

Art abstrait

Dépourvu de dialogue, le scénario de Gorogoa se montre ambigu et peu explicite du début à la fin. On tient là une véritable aventure onirique aux côtés de ce jeune garçon, que l'on suit dans sa récolte d'intrigants symboles colorés. La structure du jeu, entièrement linéaire, s'appuie sur ces cinq éléments qui constituent l'objectif à atteindre lors de chacun des chapitres de l'aventure. L'espace d'un instant, on traverse une ville portant encore les stigmates d'une guerre, avant d'atterrir quelques tuiles plus tard dans la chambre d'un autre personnage, avec pour objectif d'allumer une lampe en utilisant la lumière d'une étoile. Le genre d'histoire que l'on peut s'amuser à interpréter de diverses manières selon votre imagination, et qui donnera satisfaction aux amateurs de métaphores. Histoire de renforcer cette part de mystère, le titre peut compter sur les services du compositeur Joel Corelitz. Remarqué pour son travail sur The Unfinished Swan, l'Américain livre ainsi des partitions reposantes, parfaitement dans le ton.

Finalement, avec son concept maîtrisé de bout en bout et son attention particulière portée aux détails, Gorogoa présente peu de défauts si l'on fait exception de son manque d'enjeux narratifs, et si investir dans un jeu qui ne vous occupera pas plus longtemps qu'un film ne vous dérange pas. Une durée de vie à prendre en compte avant de passer à l'achat, mais qui semble être le format adapté pour ne pas prendre le risque de tomber dans la répétitivité et de voir la magie s'essouffler.