En littérature, en cinéma comme en jeu vidéo, des univers dystopiques sont toujours dépeints, que ce soit en tant qu’alerte, ou en tant qu’exutoire. C’est sans doute pour rappeler le passé et panser leurs blessures et celles de leurs aînés que les développeurs du studio bucarestois Sand Sailor ont créé Black The Fall. C’est hélas avec les mauvais outils que la jeune entreprise a bâti son univers.
Black The Fall : bande-annonce
"LA DICTATURE C’EST MAL, M’VOYEZ"
Cet univers est un monde de fiction basé sur des faits réels, qui se sont déroulés sous le régime communiste roumain, de 1945 à la révolution de décembre 1989. Les libertés individuelles sont extrêmement restreintes, la misère est le quotidien du peuple qui vit dans la peur entretenue par la police secrète. Cette réalité, les développeurs l’ont transposée dans un monde parallèle doté de technologies avancées en termes de contrôle et d’armement ; on croisera notamment d’imposants robots bipèdes, similaires à l’ED-209 de Robocop.
Dans ce contexte, un vieil ouvrier rappelant Winston Smith décide de briser ses chaînes. Peut-être trop immédiatement pour que l’on comprenne d’abord ce personnage et ses motivations ; Sand Sailor Studio comblera ce manque en nous donnant un aperçu du totalitarisme au fil de notre échappée belle. Un tableau peint avec trop de lourdeur et de maladresse pour parvenir à faire mouche. Ne sachant où se situer entre fiction et réalité, les développeurs ont manifestement eu peur que nous ne comprenions pas le message et ont alors usé de clins d’œil peu subtils et de ficelles prêtes à rompre. Les geôliers de notre héros prennent la forme de rustres à bedaine et aux yeux rouges, tandis qu’Inside faisait davantage dans la finesse pour évoquer le pouvoir et le contrôle des masses.
COMME UNE IMPRESSION DE DÉJÀ-VU
Car vous le remarquerez dès la bande-annonce, Black The Fall singe le chef-d’œuvre de Playdead de bien des façons, et imitait visuellement Limbo lorsqu’il était en accès anticipé. Nous retrouvons tout ce qu’il faut de plate-forme en 2,5D, de direction artistique minimaliste, d’angles de caméra distinctifs, de monde industriel et sombre, de la liberté qui pointe au bout d’un puzzle… sans jamais atteindre la science du studio danois.
Parlons tout d’abord de la présentation générale du jeu, correcte sans impressionner – à l’image de l’ensemble de la prestation. Visuellement des tons rouges et jaunes s’ajoutent avec parcimonie à un ensemble monochrome, ce qui est une riche idée vu la thématique abordée, et sert à mettre l’accent sur certains éléments du décor. Étonnamment celui-ci est souvent fait de gros polygones mal dégrossis et non texturés, ce qui doit faire, on veut bien le croire, partie de la notion de minimalisme, mais cela donne tout de même une drôle d’impression. Au moment où notre héros rejoint la terre ferme, le jeu convainc davantage avec des environnements plus riches, dotés d’une belle profondeur de champ, sans non plus nous faire décrocher la mâchoire.
Les animations des PNJ sont assez grossières, et celles du protagoniste sont lourdes, ce qui est problématique s’agissant d’un platformer. Prenant à tort l’exemple de Prince of Persia 2, l’individu se lance notamment dans une animation compliquée lorsqu’il se retourne ; on a aussi régulièrement affaire à des sauts frustrants lors desquels nous touchons la plate-forme visée sans nous y accrocher.
Inégal, le sound design de Black The Fall renforce parfois bien l’ambiance proposée avec des sonorités justes ; le moment où se lance L'Internationale est l’un des instants où le titre tire dans le mille. À bien d’autres endroits cependant, les musiques se révèlent être assez sommaires et répétitives, les bruitages peu convaincants.
CASSE-TÊTE
Au niveau de son gameplay, le titre s’inspire notamment d’Inside en proposant des puzzles basés sur la physique et le timing. C’est essentiellement ici qu’il brille puisque nous avons dans les mains des règles cohérentes avec lesquelles jouer, jusqu’à trouver la réponse par l’expérimentation ; on pensera notamment à des logiques liées au comportement de l’eau. Black The Fall bat également de ses propres ailes avec l’inclusion d’un outil volé par notre héros, qui permet de contrôler à distance ses semblables, ou plus tard, un robot à quatre pattes. En voilà une bonne idée, jouant sur la coopération et rappelant les jeux Abe.
Plusieurs fois le titre nous offre des challenges bien pensés, qui nous donnent un peu de fil à retordre, ou nous propose de bonnes idées, comme la scène dans le noir où nous devons nous repérer au son. Jamais non plus extatiques, ces passages restent rares et laissent souvent place à des énigmes simples et répétitives (rester immobile, envoyer un laser au bon endroit), quand il ne s’agit pas simplement de scripts irritants. Prenons comme exemple un moment où une porte est barricadée mais visiblement facile à briser, et une boule de démolition se tient non loin, mais trop pour toucher la porte. On expérimente, on teste, il semble impossible d’avancer la grue et l’on se dit alors que l’on pourrait propulser notre ami robotique sur la porte. Le boulet s’abat sur notre ami et ne fait que le pousser péniblement ; ce n’était manifestement pas prévu ainsi, passons. Détrompez-vous : c’était la bonne réponse, mais il fallait demander au robot de se mettre en boule, condition grâce à laquelle l’animal passe soudainement en vitesse Mach 3. Car ainsi a parlé le script. Le problème est ici un souci de feedback, rien ne nous invitant à aller plus loin dans notre raisonnement initial.
À propos de notre compagnon robot, un autre travers du jeu vient du fait que si nous nous déplaçons sur un rail, le bestiau peut pour sa part aller en profondeur ; ce qui sert quelques fois seulement. Le plus souvent, nous voudrons lui monter dessus et n’y parviendrons pas, car il sera un peu décalé par rapport à notre plan. De manière générale donc, les mécaniques du titre sont trop fastidieuses et frustrantes pour nous marquer positivement, malgré quelques idées sympathiques qui ne relèvent pas non plus du jamais vu. Sans parler du fait que les phases séparant les puzzles tiennent davantage de la longueur que de la respiration venant rythmer l’expérience.
Points forts
- Le contexte historique utilisé
- Un choix de couleurs qui fait sens, certains panoramas sont appréciables
- Quelques idées de gameplay pas géniales, mais bonnes
Points faibles
- Une présentation visuelle et des animations qui ne séduisent pas
- Une bande-son oubliable et des bruitages peu convaincants
- Une narration chaussée de gros sabots
- Des puzzles souvent vite expédiés, ou alors carrément fastidieux
- Trop de longueurs pour une expérience si courte
Vous l’avez compris : construit sur une base historique fascinante, parsemé de quelques idées inspirées en termes de direction artistique ou de gameplay, Black The Fall n’atteint jamais l’excellence au cours des trois heures qu’il nous propose. Visuellement et musicalement pauvre, maladroit dans son propos et lourd dans son gameplay, il n’est à conseiller qu’aux boulimiques du puzzle-platformer.