Faëria, The Elder Scrolls Legends, Krosmaga, Gwent… On ne va pas faire la liste de tous les jeux de cartes free-to-play sortis récemment tant le genre a le vent en poupe depuis que le succès populaire (et financier) qu’est Hearthstone a vu le jour. Si la plupart n’hésitent pas à reprendre les mécaniques de ce dernier afin de faire leur place sur ce marché hyper concurrentiel, certains ont le mérite de se démarquer. Duelyst, débarqué en août 2016 après une campagne Kickstarter, s’affiche comme l’un d’entre eux. À mi-chemin entre CCG et tactical-RPG, la création originale des indépendants de Counterplay Games vaut-elle le détour ou n’est-elle qu’un énième pay-to-win à la durée de vie éphémère ?
TACTICAL CCG
Duelyst est l’enfant d’Hearthstone, c’est indéniable. On peut facilement constater qu’ils partagent le même ADN, de l’interface des menus, en passant par son système de Général / Héros, ses modes de jeu, jusqu’aux différents effets des cartes que l’on peut collectionner. Pourtant, il y a une différence majeure entre les deux : Duelyst est sans le doute le jeu de cartes au tour par tour qui vous poussera à prendre le plus de décisions. Ici, peu de place au hasard, hormis le tirage.
Les deux joueurs s’affrontent sur un plateau composé de neuf colonnes de cinq cases, avec uniquement les deux Généraux présents en jeu au début de la partie. Chaque Général dispose de deux points d’attaque, d’un « Bloodborn Spell », analogues aux pouvoirs de héros dans Hearthstone, et de 25 points de vie. Vous l’aurez compris : il vous faudra prendre le dessus sur le Général adverse, en utilisant vos points de mana pour déployer différentes cartes d’unités, de sorts ou d'artefacts (des armes procurant divers bonus à un Général) et mener l’offensive. Parmi le pool de plus de 500 cartes disponibles, une grande partie est considérée comme des cartes neutres. Le reste est réparti parmi les six factions jouables, chacune ayant des mécaniques de jeu différentes. Par exemple, Songhai mise sur ses sorts et ses combos, tandis que Abyssian permet d’invoquer facilement une horde de petites unités.
PUZZLE PERPÉTUEL
L’utilisation du plateau change littéralement la dimension du jeu, qui prend alors des allures de Fire Emblem, Advance Wars, Final Fantasy Tactics ou même de jeu d’échecs. Sachant que vous pouvez uniquement invoquer une créature sur les cases adjacentes à vos unités alliées, et que la grande majorité d’entre elles ne peuvent se déplacer que de deux cases par tour, le moindre mouvement, la moindre décision que vous prendrez, et ce dès le début de la partie, aura un impact décisif sur le reste du match. Sur laquelle des huit cases adjacentes à mon Général dois-je jouer cette créature ? En face ou derrière ? Derrière permettrait de la mettre en sécurité et d’attaquer ensuite. Mais si je la mets devant, elle bloquerait la route de l’autre Général, tout en étant vulnérable. Dès ce choix fait, un autre puzzle se présente à moi : dois-je attaquer avec mon Général, quitte à prendre des dégâts en retour et ne plus pouvoir bouger après ?
Une fonction « replace » permet à chaque tour, si vous le souhaitez, de choisir et remplacer une carte de votre main par une autre de votre deck. De quoi permettre d’avoir en permanence, à moins d’un gros manque de bol ou d’un jeu mal construit, différentes options pour répliquer face à ce que l’adversaire propose, sachant que l’on débute avec cinq des 40 cartes de son deck en main. Les parties ont ainsi un rythme effréné et ne sont ni trop longues ni trop courtes (comptez 4 à 6 minutes en moyenne). Les joueurs en quête d'un jeu poussant à la réflexion trouveront donc leur compte. Ceux ne voulant pas se prendre la tête et qui aiment les cartes aux effets aussi aléatoires que destructeurs risquent de vite lâcher l'affaire, tant Duelyst mise sur la prise de décision des joueurs et laisse peu de place à la surprise.
PIXEL CARTES
Ce qui saute aux yeux avec Duelyst, et cela risque d’en refroidir immédiatement plus d’un, c’est le parti pris de sa direction artistique. Tout de pixel art vêtues, les cartes, leurs animations et leurs modélisations sur le plateau de jeu sont une franche réussite. La BO, discrète, est efficace et met le tout en accord pour un final cohérent. Si on sent que les développeurs tirent leur inspiration de jeux comme Starcraft 2 ou Magic, le bestiaire est aussi riche que varié. On est loin des classiques elfes, nains ou orcs.
Une variété qui s’illustre également dans les effets de cartes. On retrouve des unités à "Provoke" (Provocation), "Opening Gambit" (Cri de Guerre) ou "Dying Wish" (Râle d’agonie) ayant des équivalents dans Hearthstone et plus largement la plupart des CCG, mais aussi des cartes "Ranged", capables d'attaquer n’importe où sur le plateau, ou "Flying", qui peuvent contourner les lignes adverses et se déplacer sur n’importe quelle case. Une poignée d'exemples de mécaniques tirant profit du plateau. Le joueur peut ainsi se montrer créatif dans la composition de son jeu et sortir des sentiers battus tant le métagame est ouvert, les développeurs apportant un soin particulier à l’équilibrage, même si une poignée de légendaires restent trop gamebreaker.
Un modèle économique honnête
Construire rapidement sa collection de cartes dans Duelyst se révèle être peu fastidieux, sachant que le jeu se montre assez généreux. Carte commune offerte quotidiennement, cartes légendaires déblocables en terminant des succès, quêtes journalières et bonus de victoire du jour pour obtenir de l’or… en moins d’une heure de jeu, on réunit la somme demandée pour s’offrir une "Spirit Orb" de l’un des deux sets de base coûtant 100 gold, ou pour se payer un accès à The Gauntlet contre 150 piécettes. il s'agit là d'un mode Draft, similaire à l'Arène d'Hearthstone, dont les récompenses valent le coup même si l’on perd tous ses matches, sachant qu’à la septième victoire on vous offre gracieusement un nouveau ticket d’entrée.
Vous connaissez sans doute cette frustration ressentie lorsque vous farmez le ladder pendant une semaine, puis, heureux de récolter le fruit de votre dur labeur, dépensez tous vos gold d’un coup en boosters… pour au final n’avoir qu'une pléthore de cartes communes. Ici, en moyenne, comptez une carte épique et une légendaire tous les deux et quatre boosters. De quoi être rapidement compétitif sur le ladder, allant du rang 25 au rang « S ». Celui-ci est d’ailleurs imposé, puisqu’on ne peut pas jouer en ligne sans avoir la pression du classement. Dommageable, mais les modes « Practice » contre l’IA et « Solo Challenges », des puzzles invitant le joueur à la réflexion tout en appréhendant les mécaniques du jeu, permettent tout de même de se faire la main. Ce dernier fait gagner quelques gold au passage pour acheter ses premières cartes.
Free-to-play oblige, Duelyst propose divers éléments cosmétiques, certes dispensables, mais au tarif légèrement abusif : 3,99 € pour une émote, 7,99 € pour un skin de Général… Le tout est au cœur d’un système de coffres, que l’on loot assez fréquemment mais qui nécessitent une clé, monnayable contre de l’argent réel, pour être ouverts.
On lui pardonne aisément cet écart, tant le jeu n’oblige jamais le joueur à passer à la caisse. Les deux dernières extensions peuvent être achetées à 19,99 € l’unité, chacune ajoutant une quarantaine de cartes. Mais les plus patients peuvent aussi se procurer un booster pour 300 pièces d’or, afin d'obtenir trois cartes que vous ne possédez pas déjà (et en trois exemplaires !), évitant ainsi les doublons.
Finalement, il ne manque à Duelyst qu’une version nomade sur mobile, prévue depuis déjà plusieurs mois, pour satisfaire les amateurs de jeux de cartes les plus exigeants. Les dernières informations en date annonçaient une sortie pour l’été 2017. De quoi redonner un coup de fouet bienvenu à ce jeu, dont la communauté et l’exposition médiatique est beaucoup trop faible compte tenu de l’originalité et la qualité de la formule qu’il propose.
Points forts
- Le pixel art bluffant...
- La profondeur de jeu apporté par le côté tactical, maîtrisé
- Laisse peu de place au hasard
- Pas besoin de payer pour s'amuser et être compétitif
- Modèle économique honnête
- Factions plus ou moins équilibrées
Points faibles
- ... même s'il ne plaira pas à tout le monde
- Pas de mode non-classé en ligne
- Les prix du contenu cosmétique
- Plus exigeant et moins "fun" que ses concurrents
- On veut la version mobile !
Destiné à un public spécifique et plus restreint que ses concurrents, Duelyst s’affiche comme une alternative originale aux jeux de cartes du moment. Pour peu que le pixel art ne vous rebute pas et que les tactical-RPG ne soient pas votre hantise, vous trouverez là une pépite, stratégique et addictive à souhait. Counterplay Games a su forger son identité, donnant en toute discrétion un léger coup de pied dans la fourmilière du monde des CCG free-to-play.