Furyu ne baisse pas les bras. Après l'échec commercial sur l'archipel du pourtant très innovant Lost Dimension, le modeste éditeur re-signe sur PSVita avec un nouveau RPG original porté sur la tactique. Le relatif succès de ce nouveau titre au Japon (50 000 exemplaires distribués) et la carrière internationale de Lost Dimension (maintenant sorti sur PC) poussent Atlus à le localiser, cette fois sous le nom de The Caligula Effect.
Test réalisé à partir d'une version japonaise, sur une partie complétée de 32 heures de jeu.
Caligula commence un rien abruptement : le héros se retrouve dans un lycée inconnu, au beau milieu d'une cérémonie de début d'année où il ne connaît personne. Il cherche alors à fuir et tombe nez à nez avec un élève au visage complètement difforme. Il va vite comprendre qu'il n'est plus dans la réalité et fera connaissance avec un étrange club se désignant comme le kitakubu. Ces jeunes plus perspicaces que les autres se rendent bien compte qu'ils sont dans un monde purement fictif et cherchent le moyen de revenir dans le monde réel. Kitaku signifie d'ailleurs littéralement “rentrer chez soi” : habile jeu de mot puisque kitakubu désigne généralement les écoliers n'appartenant à aucun club, et donc rentrant directement chez eux après les cours.
Toujours est-il que les membres de ce groupe développent le Catharsis Effect, métamorphose qui va les rendre aussi difformes que les créatures qui les pourchassent. Le Catharsis Effect est symbolique du design général de Caligula, volontairement sombre car axé sur les teintes de gris pour coller intelligemment aux thèmes principaux que sont la tromperie et la mort. Cet état de transe va leur donner la force d'accomplir leur objectif : tuer μ (prononcez “Mew”), la créatrice de ce monde fictif appelé Moebius.
World of Illusion
Mais avant d'atteindre μ, il faudra vaincre les inquiétants gakushi qui approuvent ce monde et contribuent à maintenir l'illusion en l'état en composant de la musique. En effet, μ est une chanteuse virtuelle qui trompe les élèves par son chant. Chaque méchant, chaque donjon aura donc son propre morceau. Et pas n'importe lequel puisque, parallèle à Hatsune Miku oblige, toute la tracklist de Caligula est composée de morceaux Vocaloid. Furyu a conclu un partenariat avec des artistes Vocaloid renommés : CosMo暴走P et 蝶々P (qui ont déjà officié sur Hatsune Miku Project Diva F) sont à l'affiche de ce RPG. On retrouve d'ailleurs dans Distorted Hapiness de CosMo暴走P des accents présents dans son Sadistic Music Factory de Project Diva F. Cela donne au jeu publié par Atlus une bande originale puissante qui dynamise les combats, notamment Sin ou Cosmo Dancer. Plus fort encore, les paroles sont même en adéquation avec la personnalité du boss. La seule fausse note sur cette partie musicale est que Caligula utilise les deux morceaux les moins énergiques au début de l'aventure, ce qui n'aide pas à entrer dans le jeu.
Mais la plus grande qualité de Caligula est son histoire extrêmement bien écrite. Les thèmes abordés sont particulièrement graves et sérieux (maladie, filiation, solitude, vie professionnelle, deuil, rejet de soi...), mais c'est le rapport à ces thématiques qui est particulièrement bon. Le scénario interpelle en effet directement le joueur à travers la confrontation d'idées entre les héros et les gakushi. Ces échanges posent des vraies questions : les mondes virtuels, les réseaux sociaux nous éloignent-ils trop de la réalité ? Cette réalité est-elle forcément meilleure que le virtuel ? Caligula développe comme ça beaucoup d'enjeux à partir des sujets sus-cités d'une manière passionnante de bout en bout. Malgré la réalisation modeste, la mise en scène est suffisamment ingénieuse (excellent travail de la caméra par exemple) pour se plonger dans la narration.
Persona-like oblige, chaque allié aura sa propre histoire divisée en chapitres progressifs tout au long du jeu. Cette partie annexe est au moins aussi bonne que l'histoire principale car les révélations nous sont pas moins poignantes et le suspense toujours fort. Et comme dans l'ensemble de la narration, la qualité d'écriture n'empêche pas Caligula de jouer la carte de l'humour, souvent à bon escient : certaines vannes que se balancent les personnages entre eux sont bien senties. Au-delà des personnages principaux, le titre vous permet d'embarquer n'importe quel PNJ dans votre équipe, principe déjà utilisé par le dévelopeur Aquria dans Sword Art Online Hollow Fragment. Mais dans la mesure où ces derniers sont essentiellement des copies de vos propres personnages en termes de capacités de combat, l'option s'avère être bien vite anecdotique.
Tous les chemins mènent à Rome
Là où le jeu de Furyu impressionne clairement mois, c'est dans sa progression. Les donjons s'enchaînent de manière linéaire sans à-côtés et n'y a pas de réelle quête ou activité annexe pour se changer les idées. Ce manque ne serait pas très grave si la structure du jeu ou des donjons était bonne ou même intéressante, mais soyons franc ici, ce n'est pas le cas. Caligula est un jeu-couloir comme on n'en fait (heureusement) plus : le level design est pénible avec des donjons qui manquent cruellement de clarté, et qui ne sont finalement qu'une longue succession de combats jusqu'au boss. On est souvent perdu sur ces cartes et la patience vient à manquer dans ces zones souvent quadrillées d'ennemis. Le dernier environnement est symptomatique de ce fait avec ses secteurs tous identiques, sans vrai point de répère. On aime chercher dans un RPG, mais l'avancée dans Caligula est au final plus laborieuse que motivante. La technique n'arrange pas les choses puisque les chargements sont excessivement longs, les graphismes vieillots, le framerate plus qu'inconstant et cette version japonaise plante toujours en 1.05…
Avec une progression aussi laborieuse, Caligula avait plutôt intérêt à proposer des combats intéressants. Et là c'est le cas ! Furyu propose un tour par tour par ATB qui permet de construire des enchaînements de manière tout à fait innovante. Première particularité, le système vous permet de voir l'avenir : au moment de choisir votre prochaine action, l'écran de combat vous révèle l'intention de l'ennemi pour que vous puissiez adapter votre stratégie. En fonction du type d'attaque, il faudra utiliser un contre particulier ou se mettre défense.
Une fois la contre-attaque amorcée, vous pouvez construire des combos complexes soit en projetant l'ennemi en l'air et en utilisant des techniques ayant un bonus de combo aérien, soit en le faisant tomber et en utilisant des techniques ayant un bonus d'attaque au sol. En contrepartie, le timing pour raccorder ces attaques est très minutieux, et il faut donc ajuster le début du tour du personnage sur la frise ATB. Heureusement, l'action s'arrête à ce moment-là et vous pouvez décider tranquillement. Accessoirement, vous pouvez arrêter le temps manuellement pour prendre quelques photos sous le meilleur angle.
High risk, high return
Dernière chose et pas des moindres, tous les ennemis ont un niveau de risque croissant et qui les rend plus dangereux. Mais c'est aussi et surtout un levier de gameplay, puisque certaines de vos capacités profitent du niveau de risque de l'adversaire : Mifue, par exemple, ne pourra utiliser ses techniques les plus efficaces que sur des ennemis de risque 2, 3 ou plus. Dans le même ordre d'idée, certaines super-attaques ne s'exécutent qu'à niveau de risque 5, le plus élevé. C'est purement jouissif de construire le combo parfait, surtout que le jeu vous délivre une petite appréciation (Cool, Amazing, Stylish...) comme à la grande époque de Devil May Cry. Même si le système est brillant, le challenge n'est pas toujours au rendez-vous si on le maîtrise pleinement. Seuls les groupes d'ennemis sont vraiment compliqués à vaincre, la plupart des boss manquant de férocité.
Points forts
- Scénario intelligent et bien mis en scène
- Personnages fascinants
- Système de combat addictif et novateur
- Musicalement très vivant
Points faibles
- Techniquement plus proche d'un jeu PSP
- Gros soucis de finition (plantages, framerate, chargements...)
- Level design à la limite du supportable
Caligula est aussi fascinant qu'il est techniquement et structurellement défaillant. C'est le genre de jeu qui marque par ses qualités artistiques et un cœur de gameplay innovant. Mais dans le même temps, on peut être déçu par le laisser-aller sur le plan technique, et découragé par une progression assez fade, voire énervante. Un Persona-like néanmoins assez compétent, y compris du côté tactique, et un bon coup d'essai pour Furyu qui a déclaré dans ses voeux de début d'année travailler sur cette base.