Il a fallu deux ans à Ed Annunziata pour convaincre Sega de produire Ecco the Dolphin, titre d'action et d'exploration devenu culte chez bien des joueurs malgré sa difficulté. Jouer un dauphin, seul face aux mystères des profondeurs, dans un monde dépouillé de toute présence humaine... Le projet pouvait sembler un peu fou, rêveur en effet ! Pourtant voilà encore deux ans après, en 1994, Ecco : les Marées du Temps, une suite à laquelle Annunziata songeait déjà avant même de terminer le premier épisode. Le voyage reprend...
Ce nouvel Ecco reprend l'histoire de la série là où elle s'était arrêtée à la fin du premier épisode. Le test comporte donc de nombreuses révélations importantes sur celui-ci.
À peine revenu triomphant de ses premières aventures, Ecco ne se doute pas qu'il vient en réalité d'ouvrir la voie à une terrible menace. Peu à peu, guidé par plusieurs dauphins, il se retrouve sur les traces de phénomènes de plus en plus inquiétants... Ecco désirait simplement sauver sa famille, mais ses voyages dans le passé ont fendu le cours du temps et créé deux futurs possibles : l'un d'eux est un avenir sombre, dominé par le retour des Vortex ! Ainsi leur Reine aurait survécu. — Comme le suggère le titre du jeu, Ecco va devoir plonger à nouveau dans les marées du temps afin de restaurer l'ordre naturel de la planète. Le scénario adopte une structure moins linéaire dans cette suite, qui fait le pari audacieux de bâtir son univers sur ses paradoxes temporels plutôt que de chercher à les résoudre. Si l'ensemble n'est malheureusement pas dépourvu d'incohérences (parfois grossières), certes souvent prétextes au gameplay, il reste toutefois difficile d'en juger puisque le dernier volet de ce qui devait être une trilogie n'aura finalement jamais vu le jour. La "conclusion" du jeu risque donc d'en frustrer plus d'un ! Certains trouveront cependant peut-être logique, quelque part, que cette histoire soit laissée en suspens — points de suspension que chacun sera alors libre de relier à sa manière, en partant des éléments se faisant écho entre les deux jeux existants.
Pour se lancer dans cette nouvelle aventure, Ecco peut cette fois-ci choisir entre plusieurs chemins plus ou moins ardus. Le mode "normal" est en fait un mode évolutif qui alterne entre les deux autres en s'adaptant aux performances du joueur (le temps ou le nombre d'essais nécessaires pour terminer un niveau par exemple). Trois niveaux exclusifs et de nombreuses retouches de level design compliquant les autres niveaux sont au programme en mode difficile. En dépit d'une respiration un peu trop prolongée à mi-parcours – quelques longueurs, associées à une baisse de la difficulté –, le rythme du soft est susceptible de retenir tous les joueurs grâce à ces nouvelles options. Ecco : les Marées du Temps verse davantage dans l'action ou l'adresse à travers des niveaux aussi courts qu'intenses, mêlés aux zones plus classiques privilégiant l'exploration. Le tout nous donne une trentaine de missions pour une durée de vie semblable à celle du premier Ecco (une dizaine d'heures environ, et plus bien sûr si l'on commence directement par le mode difficile).
L'essentiel du gameplay reste en territoire connu pour les amateurs de la série : jauge d'oxygène, accélérations et usages du sonar sont toujours de la partie. Ecco maîtrise d'entrée de jeu la charge-sonar et la double-charge, et peut encore renforcer son chant le temps d'un niveau grâce à des pulsars lui permettant d'attaquer à distance dans plusieurs directions à la fois ! La carte créée grâce à l'écholocation de notre dauphin a grandi en même temps que lui et couvre maintenant une bonne partie des environs. Très vite, Ecco découvrira les joies d'anneaux téléporteurs prévus pour accélérer ses voyages dans le vaste océan, l'occasion pour le studio Novotrade d'exhiber de nouveaux passages jouables en fausse 3D, façon Space Harrier. Il s'agit alors de traverser un certain nombre d'anneaux tout en évitant les dangers de la mer, une épreuve rafraîchissante facile à prendre en mains (même si là encore les choses se corsent en mode difficile, avec des anneaux plus mobiles et moins de droits à l'erreur).
Autre nouveauté, les métasphères – placées à des endroits spécifiques – transforment Ecco en différentes créatures, souvent plus à même de franchir les obstacles rencontrés. Ces moments renouvellent le gameplay et plus largement les sensations de jeu, en offrant par exemple des instants volontiers contemplatifs ou la soudaine jubilation qu'il peut y avoir à incarner l'un de ses ennemis ! On pourrait regretter que la métamorphose soit finalement peu exploitée au cours du jeu, et peut-être surtout regretter qu'elle ne soit pas davantage mise au service du scénario (l'idée s'y prête tant !), mais les quelques séquences de ce type touchent juste. La majeure partie du titre se passe sous forme de dauphin sans pour autant manquer de nous surprendre, que ce soit en réutilisant autrement des éléments bien connus, comme les glyphes de cristal, ou en élaborant ses propres moments d'anthologie, mettant par exemple à profit une nouvelle physique simplifiant les déplacements hors de l'eau (plus de souci à sauter par-dessus un récif).
À ce titre, les boss se font un peu plus nombreux dans cette suite, une chose appréciable même si tout n'est pas réussi dans ce domaine. Si on fermera les yeux sur le "monstre magique" – une sorte de mini-boss, plutôt ridicule et surtout destiné à donner un pouvoir réservé aux passages en 3D (récompense facultative encore une fois mal expliquée, mais très dispensable ici) –, il est plus difficile de comprendre certains choix opérés à la fin du jeu. En essayant de ne pas trop en dire : on a l'impression d'assister à une ou deux tentatives maladroites, voulant reproduire l'un des grands souvenirs du premier Ecco, avant d'en arriver à un boss final forcément décevant sur le moment. Un manque d'inspiration éphémère ou un acharnement que l'on doit peut-être à la concrétisation d'une (bonne) idée esquissée dans la version japonaise du précédent opus, mais qui, en l'état, n'amène rien de bien intéressant. Fort heureusement, le soft n'est pas à court d'audace et, au cas où, on insiste pour que tous les joueurs prennent la peine de suivre le générique de fin jusqu'au bout.
Ecco : les Marées du Temps peut également compter sur sa réalisation technique et artistique forte, digne de son aîné. Le soft affiche des graphismes enchanteurs, aux couleurs chatoyantes et d'aspect plus fin (le côté "blocs" a été gommé voire effacé). Tandis que des arrières-plans décidément superbes illustrent l'horizon, quand nous reprenons notre souffle en surface, le fond des mers s'est timidement éclairé, comme pour rendre plus respirables nos descentes dans les profondeurs... Les artistes du studio se sont visiblement plongés avec plaisir dans cet univers aquatique, entre utopie et dystopie. Si ce n'est un manque compréhensible de folie concernant la faune futuriste (qu'il faudrait ensuite intégrer au gameplay), il en ressort un équilibre fascinant, entre un certain réalisme voulu par la série et la liberté permise par ses détours dans le temps. Le sprite d'Ecco a naturellement évolué lui aussi, notre héros a mûri et a désormais fière allure.
La saga Ecco, c'est aussi la petite histoire de Spencer Nilsen, principal auteur des bandes originales du premier épisode et des deux versions Mega-CD. Ecco : les Marées du Temps sur Mega Drive a donc un statut un peu particulier puisqu'il est issu de la collaboration d'autres compositeurs, dont András Magyari auparavant responsable des bruitages sur Ecco the Dolphin. Pour autant, la bande son du jeu est loin de souffrir de cette absence. Le thème d'ouverture donne le ton dès l'écran-titre en osant un air à la fois pesant et majestueux, annonciateur d'une épopée aussi nécessaire qu'incertaine... Les musiques de cette suite se révèlent tout aussi excellentes et variées que celles de son aîné, toujours dans cette veine électro chargée d'émotions, propice à la contemplation voire à la mélancolie, mais sans se départir d'une certaine détermination. Même si l'on aurait préféré découvrir davantage de nouvelles pistes dans le dernier tiers du jeu, l'ensemble sublime l'atmosphère du titre et quelques morceaux tranchent si bien avec le reste (la frénésie de “Tube of Medusa” !) qu'ils nous saisissent alors en toute occasion. Enfin, précisons que les effets sonores se font beaucoup plus doux et discrets dans cette suite — laissant chacun s'immerger dans l'écoute de ces chants étranges, à jamais pris dans les marées du temps.
Points forts
- Ce sentiment d'arpenter un univers original, complexe, et percer peu à peu ses secrets.
- De nouvelles idées de gameplay dans l'esprit de la saga (boss, métasphères, effet 3D...).
- L'ajout de trois modes de difficulté.
- Le premier voyage temporel, à peine évoqué ici pour en préserver la découverte !
- Encore plus beau que son prédécesseur sur le plan technique, et toujours aussi inspiré.
- Une bande son tout simplement grandiose.
Points faibles
- Il ne faut pas regarder le scénario de trop près (incohérences prétextes au gameplay).
- Une "conclusion" originale... ou une fin en queue de poisson ?
- Quelques longueurs à la moitié du jeu.
Ecco : les Marées du Temps prolonge de façon remarquable l'expérience en optant pour une évolution dans la continuité, à la fois naturelle et audacieuse. Son scénario, faisant directement suite aux événements du premier Ecco, poursuit la construction de ce monde unique, anhumain, à la chronologie fascinante tant qu'elle ne vient pas se fracasser contre notre bon sens. Certaines nouveautés de gameplay auraient mérité d'être encore davantage développées et auraient pu, d'ailleurs, s'intégrer de plus près à l'histoire pour en combler les faiblesses. L'aventure demeure cependant très belle, et, paré une nouvelle fois d'une réalisation visuelle et sonore splendide, nous insuffle sans mal le désir de reprendre le voyage d'Ecco. Grâce à la déclinaison intéressante de la difficulté en trois modes – dont un évolutif –, chacun devrait désormais trouver sa voie dans l'immensité des océans et au-delà. Courage !