Lors de l'E3 2016, Ubisoft a fait le choix très particulier de clore sa conférence sur l'annonce d'un jeu que l'on n'attendait vraiment pas. Et pour cause : Steep est le dernier représentant en date d'un genre que l'on pensait disparu, les jeux vidéo de sport extrême. Si ce choix avait surpris, beaucoup d'observateurs avaient salué l'initiative de l'éditeur français de donner la parole à l'un de ses studios les plus respectés : Ubisoft Annecy. Basée dans les Alpes, l'équipe est composée en grande partie d'amoureux de la montagne. Un choix judicieux, qui donne à Steep un véritable charme... qui n'opère pas complètement, à notre grand regret.
Les jeux de glisse, et spécialement sur neige, ne se bousculent pas au portillon ces derniers temps. Pourtant, point de réchauffement climatique dans nos mondes virtuels bien-aimés... Mais il faut dire que le succès modeste du dernier SSX en date a un peu effrayé les éditeurs, qui sont depuis moins enclins à encourager les projets de ce genre. Côté indé', on trouve bien SNOW, mais avec la fragilité de sa réalisation technique et son contenu famélique, difficile d’appâter le chaland. Ubisoft Annecy était bien décidé à changer les choses : un jeu fait à la montagne, par des passionnés de glisse, l'équation semblait évidente. Dans les faits, nous serons plus réservés.
La montagne, ça vous gagne
Steep embarque donc le joueur dans un monde... alternatif, dirons-nous, où quelques-uns des plus grands sommets d'Europe sont collés les uns aux autres. Si les professeurs de géographie en feront probablement des cauchemars pour les années à venir, les amoureux de glisse, eux, seront ravis : Ubi Annecy a ainsi créé un domaine skiable d'une taille encore jamais vue dans un jeu vidéo. Aravis, Matterhorn, Mont-Blanc, Aiguille, Tyrol : Steep est un peu le Greatest Hits I de Queen pour fanas de poudreuse. Les joueurs découvriront un ensemble imposant une intéressante diversité d'approche. On ne ride pas le Matterhorn et le Mont-Blanc de la même manière, qu'on se le dise !
De ce point de vue là, c'est donc une belle surprise, d'autant que les développeurs donnent, dès le lancement du jeu, tous les outils nécessaires pour s'amuser. Véritable bac à sable, avec pelles, râteaux et seaux fournis, Steep vous permet d'approcher la montagne de différentes manières : par la terre, en ski et snowboard, ou via les airs, en wingsuit et parapente. Le jeu repose sur une logique plutôt respectable : laisser le joueur libre de s'amuser comme bon lui semble. En mettant en avant différents profils (freestyler, pro rider, explorateur, free-rider...), Steep permet aux riders de tout poil de s'amuser, une bonne idée sur le papier puisqu'en l'état, n'importe qui est capable de saisir la manette et de s'amuser presque instantanément. À moins d'être complètement allergique au genre, où d'avoir connu une expérience traumatisante en montagne, vous devriez donc trouver votre compte dans Steep, du moins lors des premiers instants de jeu. Comme on le verra plus tard, les choses se gâtent passablement avec le temps...
Peuf Daddy
Avec ces différents profils de riders, Ubisoft permet aux amateurs de sensations fortes de s'en donner à cœur joie. C'est particulièrement vrai en skis et en snowboard, qui utilisent un système de tricks franchement bien pensé. Sur PlayStation 4 et Xbox One, les deux gâchettes analogiques permettent d'effectuer un grab (main gauche, ou main droite, en fonction de la gâchette), tandis que les sticks influent sur la direction des spins, une fois dans les airs. Le jeu se veut volontairement plus réaliste qu'un SSX, il faudra donc oublier les 2160° Guillotine et autres Christ Air, la planche dans une main, et revenir sur terre. S'il est toujours possible d'effectuer des tricks sacrément impressionnants, il faudra soigner le timing de saut, de la rotation, et prendre en compte la puissance des rotations effectuées pour calculer quand s'arrêter, pour assurer une réception correcte. Car attention, votre rider virtuel dispose d'une jauge d'équilibre qui sera mise à mal à chaque mauvaise réception, à chaque bosse prise trop vite. On a régulièrement l'impression de marcher... de rider, pardon, sur un fil. En conséquence de quoi, en skis comme en snowboard, effectuer des tricks est un véritable plaisir. Néanmoins, les puristes reprocheront sans doute au jeu d'être trop arcade, la faute à un moteur physique plutôt généreux, tandis que les fans de SSX auront sans doute du mal avec cette approche plus crédible des sports extrêmes. Le jeu a de fait les fesses coincées entre deux téléphériques...
Gundam Wingsuit
L'autre élément essentiel de ce Steep, c'est bien entendu le parapente et le wingsuit. Le wingsuit est un ajout intéressant au gameplay classique des jeux de glisse, et permet de varier les plaisirs, en vous offrant le ciel, pas moins. Enfin, ça, c'est sur le papier. Dans les faits, et si le wingsuit assure des sensations intéressantes, on s'en lasse rapidement, et l'on aura tendance à ne l'utiliser que lors des épreuves qui le mettent en scène. Ces défis sont d'ailleurs particulièrement retors et devraient amuser les try-harders de l'extrême. Notez d'ailleurs que le jeu a, par bien des aspects, un côté presque die-and-retry ; il est possible de relancer en un clin d'oeil une épreuve, à absolument n'importe quel moment. Si vous avez loupé un saut, si vous avez mal atterri, si vous avez loupé une balise, il vous suffira de maintenir enfoncé la touche Y / la touche Triangle pour automatiquement relancer l'épreuve. La manipulation est fluide et évite toute forme de frustration, en cas d'échec. Ce qui pourra être très utile dans les épreuves dédiées au wingsuit, qui impose un pilotage précis et intelligent tout en encourageant les prises de risque.
Côté parapente, comme l'on pouvait s'y attendre, l'excitation est bien moindre. Les épreuves ne sont guère passionnantes et si l'on saluera la volonté des développeurs de proposer un gameplay plus profond qu'il n'y paraît de prime abord, force est de constater que la simulation de parapente n'est simplement pas fun. Lent et ne pouvant être déployé qu'à certains endroits, le parapente sera principalement utilisé pour atteindre des points éloignés, et rallier les nombreuses Dropzones qui peuplent la montagne. Jeu Ubisoft oblige, ces zones de largage permettront certes aux joueurs de se téléporter d'un point à l'autre de la map, mais elles sont surtout la solution ultime pour scanner des zones, et débloquer de nouvelles épreuves. Si cette mécanique fait sens dans Steep, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine forme de lassitude en retombant encore sur cette ficelle usée jusqu'au bout par Ubi, qui avait pourtant réussi à les éviter dans Watch Dogs 2.
Rencontre du 3ème Steep
La montagne, la glisse, c'est aussi et surtout une histoire de rencontres, d'amitié. Lorsque vous montez en station, c'est souvent entre amis. Après une bonne journée sur les pistes, il est même probable que vous vous repassiez le film de la journée devant une raclette, ou, si vous avez bon goût, autour d'une bonne fondue savoyarde, qui est comme chacun sait le plat des champions. Et sur YouTube, des films de session ride, ça pullule. Une mouvance alimentée notamment par les cadors de ces disciplines, et qui a inspiré les développeurs de Steep. Bien entendu, Steep vous permet de jouer avec des amis, de les inviter à participer à des défis, de battre certaines de vos performances, ou de vos chronos. Ou même, carrément, de visionner les replays de vos exploits, que vous aurez édité vous-même. Le jeu embarque un petit éditeur de vidéos qui permet de rejouer une même scène selon différentes caméras. Plutôt flexible et efficace, cet outil de replay est l'un des points forts du jeu. Le reste est moins intéressant. Ce que Steep propose de faire, de nombreux jeux l'ont déjà fait avant lui, et ce n'est pas forcément plus intéressant ici. Et c'est bien dommage puisque c'est précisément sur ce point que les développeurs voudraient séduire les joueurs, qui auront peut-être lâché le jeu avant même d'avoir envie de frimer devant leurs petits copains.
Le grand blanc
Car voilà, Steep souffre d'un véritable défaut, dans sa conception même. L'idée des développeurs, comme nous l'avons dit plus haut, est de permettre à tout un chacun de s'amuser comme ils le souhaitent, mais surtout d'apprécier la montagne et ce qu'elle a à lui offrir. À la manière d'un Stoked en son temps, Steep prend le parti de miser sur la liberté totale. Ce qui pose ici deux problèmes. Le premier, c'est que le jeu n'a pas vraiment de but clair, de carotte qui pourrait inciter le joueur à avancer toujours plus. L'idée est de gonfler une jauge de réputation pour débloquer de nouvelles épreuves, mais en montant en niveaux, on ne débloque rien d'autre. Oh, il y a bien une boutique dans laquelle acheter de nouveaux items (bonnets, manteaux, gants, nouveaux skis, etc) mais cela n'a aucun impact sur notre façon de jouer. Et puisque toutes les disciplines sont accessibles dès le lancement du jeu, on n'a même pas la joie de débloquer un nouveau sport, une nouvelle façon d'aborder la montagne. De même, puisque le jeu se veut réaliste, tous les tricks sont exécutables dès les premières minutes de jeu, alors ne pensez pas pouvoir débloquer des super tricks de folie. Si les épreuves sont assez nombreuses et plutôt variées, c'est avant tout par votre manière de les aborder que vous réussirez. Le renouvellement est finalement assez limité, ce qui entraîne inexorablement un sentiment de répétitivité.
Sans but précis, le joueur finira par errer dans un monde qui, il faut le dire, ne soulage pas vraiment la rétine. Autant le dire tout de suite, Steep n'est pas très beau, et l'on a bien du mal à se laisser embarquer par les paysages somptueux qu'il voudrait afficher. Sur consoles comme sur PC, les textures du jeu sont assez pauvres, et si l'on salue le travail effectué sur la neige, le reste est assez moyen. Difficile donc de ressentir l'ivresse des hauts sommets. Dommage, car les développeurs avaient réussi là des montagnes criant de réalisme dans leurs structures. Imaginez une Ferrari 458, dont la peinture aurait été faite à la gouache, et vous aurez une petite idée du tort que font ces graphismes tristounets à Steep. Cela étant, nous sommes à peu près certains que certains joueurs sauront passer au-dessus de ce défaut mais la majeure partie des joueurs, à raison, auront bien du mal à s'immerger dans ce monde fait d'étendues blanches trop immaculées, trop lisses.
Le Rossignol milanais
Pourtant et malgré ces défauts, difficile de ne pas trouver un certain charme à Steep, qui contrairement à ce que laissaient penser les premiers trailers, possède une vraie âme. Imaginé par de véritables amoureux de la montagne, Steep flirte par endroit avec le paganisme. Mystique à souhait, le titre n'hésite pas à faire parler celles qui sont les véritables stars du jeu, dans des épreuves spéciales dans lesquelles le joueur pourra en apprendre plus à leur sujet. Le tout est habillé par la somptueuse bande-son composée pour l'occasion, qui donne à Steep une chaleur que l'on n'attendait pas. Évoquant autant le travail effectué sur Journey, que les compositions d'Ori and the Blind Forest, ou encore les chants de Lisa Gerrard pour Gladiator, l'OST du jeu (qui comporte toutefois différents morceaux sous licence : rock, rap, pop, etc) est un véritable plaisir pour les oreilles et contribue à faire de Steep autre chose qu'un simple jeu de glisse.
Les captures d'écran utilisées pour ce test proviennent de la version Xbox One du jeu
Points forts
- Le système de tricks
- Un domaine skiable énorme
- Une bonne sensation de glisse
- La bande-son
- L'éditeur de replay
Points faibles
- Un vrai manque d'enjeu
- Réalisation technique tout juste moyenne
- La physique trop généreuse
- Menus peu ergonomiques
On avait envie de laisser sa chance à Steep, qui dès les premières présentations semblait vouloir être autre chose qu'un énième jeu de snowboard. Développé par un studio basé dans les Alpes, à quelques dizaines de minutes des meilleures stations de France, comment pouvait-il en être autrement ? Le jeu d'Ubisoft Annecy repose sur des bases solides, et malgré une réalisation technique décevante, réussit là où beaucoup ont échoué autrefois : il a une âme. Malheureusement, cela ne suffira probablement pas à séduire les joueurs qui découvriront un jeu intéressant par bien des aspects mais manquant terriblement d'enjeux, de fun. Dommage, car avec ce vaste domaine skiable et un système de tricks efficace, Steep avait les bases nécessaires pour faire un très bon jeu de glisse.