Il n'y a pas à dire, les ordinateurs et les jeux vidéo sont de formidables moyens pour appâter les parents. Si vous êtes adultes, vous faites peut-être partie de ceux qui ont glissé à leurs géniteurs que l'ordinateur était un génial outil pour se cultiver sur internet, tout en ayant accès à des encyclopédies interactives. Au final, cela se terminait par des folles parties de jeux vidéo jusqu'à tard dans la nuit, mais cette excuse, aujourd'hui remplacée par la tablette tactile, reste une arme redoutable. Aussi, on peut imaginer que la série Ace Attorney, simulation d'avocat par excellence, ait servi à certains pour vanter les atouts d'un tel jeu pour les cours de droit. Comprendre le système judiciaire par la voie ludique, plonger dans l'univers des enquêtes, des plaidoiries et des interrogatoires, c'était totalement nouveau à l'époque ! Si rien ne dit qu'elle ait fait naître des vocations, la saga de Capcom est parvenue à se faire un nom et compte bien poursuivre ses investigations.
Mine de rien, cela fait maintenant quinze longues années que la série Gyakuten Saiban (Ace Attorney dans nos contrées) nous livre ses folles enquêtes et retournements de situation. Née en 2001 au Japon sur Game Boy Advance, la saga s'est rapidement démarquée par son concept, ses personnages charismatiques et son désormais célèbre "Objection" ! Avec Spirit of Justice, la licence signe son sixième volet et compte bien redorer le blason d'un univers qui a fini par perdre son public, la faute à une accumulation de spin-offs et de choix plus ou moins efficaces de l'éditeur. Aussi, et c'est un peu triste à signaler, cet épisode n'est disponible qu'en format téléchargeable et il reste entièrement en anglais. Mais c'est le prix à payer pour s'immerger dans des affaires drôles, rocambolesques et originales par bien des aspects.
AU PAYS DES MOINES
À l'image du Tibet, Khura'in est un petit pays, régi par ses propres lois et règles, perdu dans le cœur des montagnes de l'Himalaya. Alors que Phoenix est en voyage pour revoir son amie Maya, il se retrouve mêlé à un meurtre et découvre que les autorités ont des coutumes très particulières. Et pour cause, dans cette contrée repliée sur elle-même, les avocats de la défense sont si détestés que les procès se déroulent sans leur présence. C'est dans cette atmosphère hostile que vous allez, indice après indice, tenter de sauver le jeune Ahibi. Pendant ce temps, Apollo Justice et Athena Cykes, deux autres personnages emblématiques de la série, iront eux-aussi de leurs enquêtes. Le cadre, beaucoup plus classique cette fois, ramène aux anciens épisodes de la série et ravira donc celles et ceux qui espèrent de la nouveauté, tout en gardant leurs repères. Mais avant de nous intéresser aux autres affaires, retournons à Khura'in !
LE COUPABLE PAR DIVINATION
Sans surprise, on retrouve tout ce qui fait le sel des investigations de ce bon vieux Phoenix. Le bras-de-fer avec l'avocat et le juge, les séances d'interrogatoires, l'analyse des preuves... tout y est ! Mais cette fois, Capcom a imaginé un nouveau concept reflétant l'aura spéciale de cette région enneigée. En cours de ce procès, notre grand gaillard est confronté au pouvoir d'une dénommée Rayfa, une prêtresse adepte des séances de divination. À l'image d'Athena, la demoiselle peut reproduire, en s'aidant de la surface de l'eau, les derniers instants sensoriels de la victime. Le joueur doit alors, à l'aide des cinq sens (vue, toucher, odorat, ouïe et goût), briser l'interprétation de la prêtresse pour poursuivre sa défense. Le principe est assez simple puisqu'il faut lier les évènements avec le ressenti de la victime mais le tout apporte un côté mystique vraiment agréable. C'est d'autant plus vrai que la mise en scène est toujours aussi efficace, avec un humour qui fait mouche et une traduction, dans l'ensemble, très réussie. La narration demeure le point fort de la série et cet épisode, avec sa musique qui s'accélère lorsque le procès tourne à notre avantage, ne déroge pas à la règle. Il faut tout de même avouer que la quantité astronomique de dialogues (parfois, pour pas grand-chose) peut s'avérer lassante. Quoiqu'il en soit, cette première affaire donne le ton et laisse augurer du meilleur pour la suite. Mais la réalité est sensiblement différente...
EN SURFACE
Sur les cinq affaires proposées par Spirit of Justice, la patte "Ace Attorney" est reconnaissable au premier coup d'œil. Les animations, très typées manga, exagèrent les situations et on oscille constamment entre sourire et sérieux, tant certaines intrigues sont rondement menées (avec une troisième histoire qui restera dans les mémoires). Il est d'ailleurs plutôt agréable de passer d'un personnage à un autre et de participer à des enquêtes différentes les unes des autres. En reprenant le meilleur des anciens épisodes, cette dernière itération ne prend pas de risques et offre une variété appréciable. Mais cette multiplicité de faits pose un problème de taille : chaque élément n'est exploité qu'en surface. La séance de divination, l'anneau d'Apollo (qui détecte les tics nerveux), le Mood Matrix d'Athena (une application qui décèle les sentiments lors d'un témoignage)... tous ces outils font leur apparition mais ils ne sont pas assez souvent utilisés, si bien qu'on retombe un peu trop souvent dans le schéma classique "interrogatoires/preuves". Sur un titre jouissant d'une telle durée de vie (plus d'une trentaine d'heures), il aurait fallu que ces habilités interviennent à intervalles plus réguliers. Il en est de même avec Athena. La pauvre semble avoir été parquée, entre la première et la seconde affaire, dans une investigation un peu mollassonne. Il y avait sans doute mieux à faire. Et ce n'est rien en comparaison du quatrième procès qui accumule les mauvais choix : protagonistes soporifiques, intrigue longuette, manque de rythme... Heureusement, le final, très bien amené, rattrape cette sortie de virage.
SPIRITUALITÉ ET GUERRE DE CLANS
Et pourtant, la globalité de l'expérience reste très positive. Malgré ses soucis, Spirit of Justice est dans la lignée des meilleurs épisodes de la série. Le retour des personnages emblématiques, allié aux changements de décors, confèrent à la cartouche une atmosphère vraiment prenante. Le thème de la spiritualité est bien exploité et les rebondissements ne manquent pas d'intérêt. Au fil des affaires, on comprend que le pays de Khura'in est en proie à des problèmes bien plus complexes que la simple "haine" des avocats et des coutumes juridiques. Très bien réalisé, avec des animations toujours aussi criantes (et délirantes) de réalisme, le sixième épisode de la célèbre simulation d'avocat peut porter fièrement sa toge. Il a tous les atouts pour devenir un ténor du barreau.
Points forts
- La séance de divination
- Réalisation qui place "la barre" haut
- La qualité d"écriture
- Une troisième affaire complètement folle
- Les retournements de situation omniprésents
- Intrigues et personnages charismatiques...
Points faibles
- ... sauf pour la quatrième affaire
- Des dialogues interminables par moments
- Entièrement en anglais (et pas un anglais de 6ème)
- Habilités (Divination, Mood Matrix...) pas assez exploitées
Bien qu'inégale sur la longueur, cette nouvelle aventure des avocats s'avère bien plus maîtrisée que le dernier épisode en date. En choisissant le thème de la spiritualité, tout en offrant une destination inédite, les développeurs sont parvenus à un compromis intéressant entre les méthodes occidentales et celles, plus mystiques, d'un peuple pris entre deux eaux. Porté par une écriture de grande qualité et des rebondissements omniprésents, Spirit of Justice fait briller ses qualités, sans nous faire oublier ses quelques défauts. Si l'on met de côté la pauvre apparition d'Athena et la quatrième affaire, le jeu s'avère passionnant et offre une vraie bouffée d'oxygène entre les jeux de sport et de course du moment. En somme, le palliatif parfait à un bon bouquin sur la table de chevet.