Studio indépendant à l’origine de l’énigmatique Datura sorti sur PlayStation 3 en mai 2012, Plastic Studios renouvelle son partenariat avec Sony et collabore avec son studio basé à Santa Monica (saga God of War, The Unfinished Swan) à la production d’un nouveau jeu d’aventure poétique et exclusif à la PlayStation 4 répondant au nom de Bound. Chaussez vos ballerines, ce périple dansant ne fait que commencer.
Les facéties de la mémoire sélective
Platformer en 3D, Bound nous propulse dans un monde en ruine où l’altération des souvenirs prend une dimension physique. Tout débute en bord de mer. Une jeune femme enceinte arpente une plage et laisse traîner ses pieds dans le sable fin tout en se remémorant son enfance à l’aide d’un calepin truffé de dessins d’enfant, un carnet jouant les madeleines de Proust. Et la mémoire humaine est diablement sélective, préférant effacer des pans entiers du passé au profit du moment présent. Se remémorer n’est pas chose aisée et notre héroïne l’apprendra à ses dépens.
Chaque instant de vie oublié nécessite de se plonger dans cette mémoire récalcitrante afin de recomposer un souvenir émietté petit à petit au fil des années et représenté par l’un des dessins du carnet chaudement conservé par cette femme dont nous ignorons jusqu’au nom. Et l’épopée ne sera pas de tout repos. La mémoire de cette dernière est en ruine à l’image de l’univers parcouru par cette princesse servant d’avatar à notre protagoniste. Les structures se désagrègent, les débris flottent dans les airs… tandis qu’un monstre détruit morceau par morceau ce monde.
Subtile dans son approche, la narration est à l’image du récit qu’elle conte, à savoir minimaliste. Avare en texte et séquences de dialogues, le scénario se déroule avant tout par le visuel. Un visage, une teinte chaude, un dessin, une expression faciale… des détails naît une histoire touchante à même de nous émouvoir dans laquelle les personnages sont le moteur de l'histoire. La Princesse, sa Mère et les monstres vagabondant distillent habilement cette chasse aux souvenirs sans même se lancer dans des tirades sans fin. Et pourtant cette mise en scène sobre enchaîne les plans iconiques. Travelling, plongée et mouvements complexes transportent le joueur dans une spirale mélancolique capable de titiller votre équilibre aussi bien psychique que physique.
Un jeu de plate-forme envoûtant
La danse pour exutoire
Dextérité et réflexion seront vos plus fidèles alliés face aux environnements et énigmes imaginés par les créatifs de Plastic Studios. Jeu de plate-forme se terminant en 3 heures et 15 minutes (un mode Speedrun se débloque après avoir terminé l’aventure une première fois), Bound s’arme des mécaniques inhérentes au genre tout en innovant ne serait-ce que par l’absence d’ennemis à proprement parler et la présence de séquences de surf et de vol plané sur avion en papier rafraîchissantes. Notre Princesse saute donc de plate-forme en plate-forme, pousse des blocs de pierre, se balance de ruban en ruban, monte aux échelles, effectue des « wall jump »… avec pour objectif de traverser ces dédales et atteindre une sortie, synonyme de souvenir retrouvé. Car la véritable difficulté de Bound réside dans l’orientation au sein des décors et les chutes mortelles prenant au premier degré l’expression « tomber dans l’oubli ».
L’héroïne se dandine de pas graciles en figures de style, toujours prompt à déclencher un saut, un entrechat et autres mouvements tirés de la danse classique, mais surtout de la gymnastique rythmique sportive (GRS) à première vue. Pour vous défendre, la danse sera d’une aide secourable en ces temps défavorables. D’un simple geste, notre danseuse repousse un ennemi la contraignant à rester sur place. Et lorsque la menace s’intensifie, le maniement du ruban produira une aura protectrice autour de cette dernière. Faune, flore et flammes resteront ainsi à distance et se casseront les dents sur ce bouclier virevoltant au gré du vent.
Malheureusement, la mise en scène ternit parfois un tableau pour le moment idyllique avec des dispositions de caméras et des transitions abruptes annihilant toute perception de distances et de profondeur, causant la chute de l'héroïne encore et encore… Malgré tout, ces approximations restent rares et ne gâchent jamais ce plaisir naissant à mesure que le scénario se dévoile.
Séance de surf en apesanteur
Un périple sensoriel
L’univers de Bound se désintègre sous nos yeux. Les débris deviennent poussière à l’image des souvenirs érodés de notre héroïne. Des structures désassemblées flottant dans les airs s’entrechoquent dans le chaos ambiant. Voxel (pixel 3D) à l’appui, les environnements s’agitent sous nos yeux. L’ensemble des éléments semble avoir été coupé à la serpe à l’image de Grow Home, jeu d’aventure développé par Reflections. Amas de formes géométriques, cette architecture répond ainsi à la perte d’orientation de l’héroïne de la plus belle des manières. Et le patchwork de couleurs affichées à l’écran exacerbe ce sentiment. Chaque niveau se distingue par une teinte spécifique (bleue, orange, gris…), ce qui évite un effet de redondance malgré la faible durée de vie du jeu.
Plastic Studios poursuit dans cette voie avec des effets de particules, miroir de la direction artistique choisie. Flammes, gouttes de pluie, oiseaux… optent pour des formes simples et ciselées. Les artistes osent à juste titre. Certes ce choix pourra en rebuter plus d’un et pourtant l’ambiance est belle et bien présente. Mais Bound ne serait pas cette petite perle sans sa Princesse et ses aptitudes de danseuse émérite. Le travail effectué sur les animations est tout simplement bluffant. La grâce qui se dégage de la protagoniste n’a d’égale que la finesse des mouvements transposés à l’écran. La Motion Capture étant passée par là, le jeu de plate-forme se mue en ballet virtuel envoûtant. Seul un Z Fight trop présent nuit par moment au plaisir des yeux.
Toute épopée mérite une bande originale à la hauteur du spectacle offert et l’ambiance sonore complète à merveille la formule de Plastic Studios. Les notes de piano flottent dans les airs, arrivant au fil de la progression avant de s’intensifier via une production électro à l’approche d'un danger. Vue et ouïe chantent donc à l’unisson au cours d’une aventure qui restera gravée dans nos mémoires (ou tout du moins la mienne).
Rencontre du troisième type sous la pluie
Points forts
- Un périple dansant et artistique
- Un récit poétique et émouvant sur les failles de la mémoire
- Un univers en ruine à l'image de l'érosion des souvenirs de l'héroïne
- Une direction artistique atypique et somptueuse
- Une danseuse virtuose à la grâce omniprésente
- Une bande-son subtile chantant à l'unisson avec le visuel
Points faibles
- Une caméra capricieuse
- Une faible durée de vie (3h15)
- Un gameplay manquant de variété
Caution « indé » de Sony, les développeurs de Plastic Studios en collaboration avec Santa Monica nous livre une épopée émouvante aux confins d’une mémoire victime de l’érosion des souvenirs entassés. Ce récital frôle la perfection de par sa direction artistique atypique, son récit touchant et la grâce qui se dégage de l'héroïne. Cependant, une caméra récalcitrante et une faible durée de vie entachent ce sentiment de bien-être et de béatitude qui s'empare de nous tout au long d'une épopée avant tout sensorielle.