C'est vrai, il subsiste ce rêve de voir un jour des jeux aussi prémonitoires que les romans de Tom Clancy. Prémonitoires dans leur façon d'aborder leur gameplay, car au fond la substance d'un jeu se définit par sa constitution, son positionnement par rapport à un genre, et sa façon de s'en substituer pour lui donner ce twist inattendu qui en ferait un nouvel édifice du panorama du jeu vidéo. Avec Rainbow Six, Tom Clancy réinventait le concept de super héros, à défaut de porter des collants et jouer du vent dans leurs capes, les hommes qui ont fait le renom des romans de Clancy usaient de matériels sophistiqués et de gilets par balles lors d'événements particuliers où les forces spéciales et les services secrets déjouaient des attaques terroristes dans le monde. Clancy a toujours habillé ses bouquins d'une puissance narrative symptomatique de son écriture, bavarde, documentée et riche en action. Avec Rainbow Six Siege, Ubisoft débarque à la Noël avec cette proposition posthume, afin de replonger les joueurs dans une série qu'ils n'avaient plus revue depuis 8 ans sur leurs écrans. Retour gagnant ?
Notre test de Rainbow Six Siege a été réalisé sur PC dans des conditions de LAN, le jeu tournait avec les settings poussés au maximum durant nos parties en solo ou en ligne. Et force est de constater que les versions consoles ne sont pas en berne. En effet la version PlayStation 4 que nous avons pu tester durant toute une journée nous aura révélé que le jeu d'Ubisoft était aussi agréable sur machines current-gen. Les commandes du jeu sont bien implémentées sur ces machines, le feedback des armes est là aussi différent pour chacune d'entre elles. Aucun problème côté connexion, le jeu tournait impeccablement sur la machine de Sony. Un jeu à conseiller pour les fêtes à tous les amateurs de shooters en ligne pointus.
Rainbow Six Siege est un jeu pour le moins surprenant. Il a le muscle fin et l'allure féline quand il introduit ses nouvelles modularités ingame mais déploie avec assez de générosité le tout, pour ne pas en faire un soft typiquement dédié aux élitistes. Ne fuyez pas pour autant si vous pensez que par là nous proclamons que ce jeu de tir à la première personne est un shooter casual. C'est bien plus nuancé que ça. Car comme pour tout bon shooter ce sont les heures de pratique sur les cartes de ce nouvel épisode qui définiront la tonicité de l'expérience et sa valeur in fine. Une expérience pour le moins complète même si elle s'inscrit pour les besoins ponctuels de cette production sur un seul et même segment : celui du jeu en ligne.
A ce titre le prix affiché du jeu pourra paraître lourd à beaucoup de candidats à son adoption, c'est un fait avéré le contenu de Siege à son lancement n'est peut être pas encore des plus étoffés, mais Ubisoft promet en marge du suivi de son soft des DLC de contenus gratuits durant sa première année de commercialisation. Car un suivi poussé, Siege en aura besoin, un peu comme tous les jeux consacrés uniquement à l'online il a ses petits bugs qui créent ces insatisfactions passagères comme de fugaces éclairs chargés de désappointement. Mais dans sa constitution primaire, dans son ambition de jeu de tir et son envie de retrouver les bases du FPS tactique, Rainbow Six Siege ravit car il parle la langue du puriste et son vocabulaire chargé au plomb.
Dans toutes les situations sans inhibition
Pour se lancer sur le jeu et aussi surprenant que cela puisse paraître, Siege propose de se faire la main sur un tuto lourdement grimé pour faire le tour de ses possibilités. Beaucoup ricaneront en se disant que rares sont les shooters ayant besoin d'une notice, Siege n'a rien d'un casse tête chinois, sa vocation est plutôt à envisager du côté du casse-brique. Le Mode Situation sera pour beaucoup une introduction aux bases et au modèle du jeu de ce R6. Il met en scène durant onze cartes toutes les formes de modes de jeu que le joueur pourra rencontrer, en plus de l'introduire à ces personnages qui revêtiront un rôle clef dans le jeu : les Opérateurs. Ces Opérateurs sont autant de profils distincts que les joueurs auront la capacité d'incarner. Au nombre de 20 ces derniers sont tous issus des unités d'élites des forces spéciales mondiales (GIGN, SWAT, Spetsnaz, SAS ou GSG9) et se singularisent par des traits physiques ou des capacités bien particulières à utiliser parcimonieusement durant les parties.
C'est une donnée en vogue ces dernières années, l'eSport a ouvert des brèches dans le monde du jeu vidéo. Les softs les plus populaires de cette scène :League of Legends, Counter-Strike : Global Offensive ou Dota 2 sont aujourd'hui des références pour des populations de gamers de plus en plus hétéroclites. Siege remmanche cette idéologie du MOBA et ses héros à incarner en l'adaptant au terreau du FPS. Une idée qui a du sens tant qu'elle respecte un certain équilibre et un sens du pratique hors norme...
Le mode Situations "extraction d'otage" de Rainbow Six joué en Réaliste
Ainsi dès le mode Situation les utilisateurs découvriront les joies du pilotage de drones et le maniement d'explosifs pour créer des brèches dans les décors. Ils s'apercevront aussi que l'IA du jeu est acceptable en mode réaliste (le mode de difficulté le plus élevé de Siege) puisque cette dernière sait tout de même manquer certaines de ses balles pour ne pas paraître totalement fumée. Exfiltrer un otage, désamorcer une bombe, nettoyer un bâtiment dans lequel se trouvent des terroristes, c'est le quotidien d'un commando des forces spéciales, et à chaque carte passée ce sont expérience et renommée qui rétribuent le joueur. Selon le mode de difficulté et les objectifs réalisés des multiplicateurs garantissent des récompenses plus ou moins intéressantes. Car si débloquer un Opérateur peut s'avérer être la plus gratifiante des opérations, customiser ses armes d'accessoires en tout genre : poignée, silencieux ou même skin (camouflage de l'arme) est tout aussi possible.
I love Destruction
Jouable en grande partie en solo, le mode Situation sert le joueur dans l'adoption des patterns qu'il devra réaliser un peu plus tard sur le jeu. Ce didacticiel est utile, car il définit assez rapidement les formats de jeu à adopter. Rainbow Six Siege ne se jouera définitivement pas comme un run and gun, à part peut être pour les plus skillés d'entre tous. Ce qu'il met très vite en évidence c'est son ingéniosité à avoir utilisé la destruction des décors comme une couche opérante de son game design. C'est à travers cette nomenclature de l'érosion que le jeu d'Ubisoft se trouve une personnalité touchante. Cette épaisseur de l'environnement peut à tout moment se volatiliser, presque manipulable à outrance, sa désintégration est synonyme à la fois de prudence extrême pour les défenseurs et d'intrications contextuelles pour les attaquants, ces derniers pouvant accéder au zones défendues par plus d'une voie.
Effectivement , et traditionnellement, Rainbow Six Siege oppose deux équipes dans un dispositif asymétrique au niveau de son gameplay. Mais la colonne vertébrale de la partie est finalement la carte sur laquelle ces deux équipes évolueront. Souvent constitué d'un bâtiment central à attaquer, le décor de Siege est plutôt urbain ou péri urbain avec tout de même des paysages un peu plus exotiques mais ultra clichés dans le milieu du FPS comme ce 747 Jumbo qui accueillera son petit monde pour des tours de pistes avec ou sans passeport. A chaque fois ces unités de lieu sont constituées de cubes dans lesquels certains murs sont indestructibles, complexifiant ainsi la structure final du réseau dans lequel on peut évoluer. Car l'univers interne de Rainbow Six Siege est constitué de strates et de pellicules escamotables, autant verticalement, qu'horizontalement.
L 'accession aux tops des maps peut être réalisé à l'aide d'un grappin, et il est tout à fait possible de faire sauter le sol des pièces à certains des endroits que l'on arpente afin de pénétrer les espaces inférieurs. Le tout est rythmé diaboliquement par des timers sur certains modes de jeu, donnant ainsi une urgence et une dynamique des plus diaboliques au jeu.
Cette possibilité discursive de détruire les murs les plus fragiles, rend bien plus organique le gameplay de ce R6. En fonction de la matière ou des matériaux traversés par les balles, le moteur physique du jeu d'Ubisoft rend service à la fois à la cosmétique du jeu et à son gameplay. Car véritablement, la désagrégation de l'apparence de la carte est utile aux approches que vous pourrez développer ingame.
Créer des meurtrières dans les murs en défense donne une visibilité sur les passages qu'emprunteront les équipes adverses. A ce niveau on sent aussi qu'Ubisoft a travaillé la dispersion des projectiles des armes. Avec une petite SMG (mitraillette) les trous qu'engendreront vos armes seront minuscules, tandis qu'avec un fusil à pompe c'est un trou béant dans les cloisons de bois ou de ciment que vous générerez. Le tout s'organise toujours de manière tactique, un couloir à zieuter, un escalier à défendre, une fenêtre à garder dans la mire, le jeu tolère et invite même dans sa fonction « passive », à rendre possible le conflit immédiat.
Le véritable but pour la défense est de se calfeutrer près d'un otage à maintenir dans son camp, ou alors de bombes à protéger - le Team Deathmach est aussi présent, qu'on se rassure - et pour cela vous avez le droit à bien plus de matériel qu'une entreprise de BTP normale. Fils barbelés, renforcement blindé de portes ou fenêtres, pièges en tout genre allant de grenades toxiques à des dispositifs infra rouge placés malicieusement sur des cloisons pour faire péter tout ce qui passera dans son rayon d'action ou encore des systèmes électrifiant les murs ou barbelés et occasionnant des dégâts au contact. Toutes ces capacités ne sont pas accessibles à tous, ce sont vos profils d'Opérateurs qui rendront possibles ou non ces actions. En ne permettant qu'à un seul profil d'être utilisé durant une game, Ubisoft Montréal équilibre les débats. 20 Opérateurs, 10 profils d'attaquants et 10 profils de défenseurs sont ainsi personnalisables au niveau de leurs équipements afin de donner une plus value réelle à l'expérience dans la durée.
No Remorse, No Respawn
Et toute la dimension du jeu prend du sens dès lors qu'il est joué conjointement avec des personnes communiquant avec vous en ligne. Le jeu n'aura que très peu d'intérêt pour les loups solitaires. Ici la cohésion est reine en mode TerroHunt (le PVE du jeu) ou sur le PVP (les parties en lignes usuelles contre de vrais joueurs). L'aspect tactique du jeu est renforcé par une ambiance impeccable au niveau du son des armes et des sons 3D produits en jeu. Les bruits de pas aux étages inférieurs ou supérieurs, le bois qui casse sous un coup de crosse, les bruits de perceuses au déploiement d'un piège, mais aussi l'adaptation des sons au type de surfaces donnent une surcouche sensorielle plutôt bienvenue au jeu. Les feedbacks nombreux permettent ainsi de localiser ou d'apprécier les mouvements des adversaires, afin de les anticiper. Et à ce niveau le mindgame marche plutôt bien. Une flash dans un coin, un coup dans une porte pour faire diversion, un back pour prendre à revers les joueurs focus sur ce qu'ils pensent être votre voie d'accès et c'est le full team. Vivre ou mourir, n'est pas un choix à prendre à la légères dans ces circonstances.
C'est un fait, si les rounds d'une partie se jouent à 5 contre 5 sur Rainbow Six Siege, le jeu se joue principalement sans respawn à la manière d'un Counter Strike ou d'une Recherche et Destruction sur Call of Duty. Cet aménagement dérangera les têtes brûlées, mais sur Rainbow Six Siege chaque action doit être coordonnée avec précision, les informations dans chaque équipe se doivent de circuler le plus vite possible. Entre tension et taunt, on se prend fréquemment au jeu.
Quand l'un des joueurs meurt il peut tout de même participer à la partie, et aider ses coéquipiers. Car en plus des drones que certains prendront plaisir à déployer, les caméras à l'intérieur et à l’extérieur des battisses dispenseront de nombreuses informations sur les déplacements des équipes. Si l'on pensait l'agencement complètement OP (over powered comprendre : bien craqué), il n'en est rien, puisqu'il est très simple de détruire ces caméras. Avec de l'expérience elles seront dénichables très rapidement.
Un sans faute ?
Pas tout à fait. Car oui les plus virulents défenseurs de R6 regretteront l'animation contextuelle qui usait d'une caméra à la troisième personne lorsque vous vous plaquiez contre un mur. Cette dernière n'existe plus, mais a été remplacée désormais. Le joueur peut se pencher à droite ou a gauche pour trouver des angles de tir avec sa vue à la première personne. Si via cet arrangement, les usagers du soft perdront en visibilité, le palliatif n'a pas pour autant abandonné.
Autres soucis : les bugs pouvant parasiter les parties. Glitch de textures, passages sous les maps des drones en début de round pour les attaquants, sont autant de petits désagréments qui parasitent notre appréciation très positive du jeu. Car graphiquement sur PC, le jeu loin d'être un parangon technique est très propre et tourne impeccablement en plus d'offrir des sensations de tirs bien raides et pleines de punch. Mais le point qui risque de faire grincer des dents est ce système de microtransactions, car grinder un jeu n'est pas véritablement un problème pour tout amateur d'exposition longue durée à un qu'il apprécie.
Ce qui l'est moins, c'est de mécaniquement devenir moins performant qu'un utilisateur usant de boosters à outrance pour débloquer les accessoires de ses armes et ainsi définir plus rapidement ce qui fera augmenter significativement son niveau de jeu. Ubisoft nous a confirmé avoir été très prudent à ce niveau mais durant nos sessions de tests nous n'avons pas pu juger de cette intention. Rainbow Six Siege se construira sur la durée, reste à savoir s'ils seront assez nombreux sur ses serveurs pour le maintenir en vie. Un jeu avec assez de potentiel et de personnalité pour convaincre les aficionados.
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Points forts
- Un gameplay calibré
- Le rôle des Opérateurs
- Une destruction des décors qui n'est pas uniquement cosmétique
- Des cartes au level design astucieux
- Un jeu qui pousse au teamplay
- L'ambiance sonore bien contextualisée
- Un maniement des armes accessible tout en restant pointu
Points faibles
- Quelques glitchs assez perturbants
- Ça arrive qu'une équipe puisse partir avec l'otage ?
- Un contenu juste pour le prix affiché
Ubisoft l'avait annoncé, Rainbow Six Siege serait un jeu dédié au multijoueur. Racé dans son approche, percutant dans les déploiements de ses dispositifs de jeu, tactique par essence et faisant la part belle au teamplay et à la communication ingame, Siege arrive dans le même temps à introduire avec discretion les mécaniques de jeu des MOBA dans son arborescence de propositions asymétriques. Avec ses Opérateurs, ces avatars aux talents particuliers et aux armes originales, le jeu irrigue ses intentions sans le déséquilibrer. Organique, grâce à son moteur physique autorisant destructions et utilisations du cadre de ses décors pour servir ses fins, le gameplay du soft se voit doper d'une profondeur intéressante. Entre urgence et temporisation, R6 Siege ne met pas sur la touche les joueurs occasionnels pour autant, lesquels auront très peu de mal à manier les armes du jeu tant elles restent précises et fun à manipuler. Reste à définir désormais ce qui fera le socle du jeu : son netcode. Nous avons constaté quelques bugs durant nos sessions de jeu, les développeurs d'Ubisoft Montréal ont très vite été confiants sur leur correction, réaffirmant leur volonté de suivre leur jeu sur la durée. Si le contenu du jeu est correct au lancement, son prix est un poil excessif. Ubisoft promet du contenu additionnel gratuit durant un an aux utilisateurs. Gare aux promesses non tenues. Rainbow Six Siege offre en tous les cas une expérience de jeu convaincante, en mettant en place des idées assez intéressantes pour le genre. Une bonne livrée.